Roxane ne put s’empêcher de jeter un regard surpris à son professeur. Elle trouvait cela bizarre qu’il lui raconte ça. Après tout, elle n’était que son étudiante, rien d’autre. Et lui, il lui racontait tranquillement qu’il avait du mal à gérer sa colère… Elle ne savait pas trop ce qu’elle devait en penser. Mais au fond d’elle-même, elle était toujours avide d’en apprendre plus sur lui, même si c’était de tels détails par forcément très utiles. Enfin si, elle venait d’apprendre quelque chose : elle n’avait clairement pas intérêt à l’énerver, car ça pouvait clairement mal finir.

« En tout cas, vous êtes un bon professeur, comme pour l’histoire des arts. »

C’était quand même étonnant qu’il enseigne une telle matière par rapport à ce qu’elle découvrait de plus en plus sur lui… Les professeurs qu’elle avait eu précédemment étaient plutôt du genre vieux, pas très intéressants et plus que banals. Enfin, elle n’allait pas s’en plaindre.

Ils travaillèrent encore un peu avant qu’elle ne demande une pause. Elle s’assit sur le sol. Elle était trempée de sueur, il avait mal aux muscles mais au moins, ça prouvait qu’elle travaillait.

« Vous m’avez tuée ! »

En même temps, vu sa carrure… Elle n’avait pas énormément de réserve d’énergie. Elle était clairement plus mentale que physique. Mais ça pouvait changer ! Elle avait bien envie de faire des efforts et de, pourquoi pas, le surprendre ?

« Les autres étudiants ont plutôt une bonne opinion de vous. Contrairement à beaucoup trop de professeurs, vous n’êtes pas là juste pour étaler votre savoir, mais vraiment pour nous apprendre quelque chose, c’est franchement appréciable. En tout cas, je les ai jamais entendu mal parler de vous. »

Alors que sur les autres professeurs, ça y allait joyeusement et même si elle ne disait jamais rien, elle n’en pensait pas moins, à vrai dire. Elle avait de plus en plus de mal à se forcer à aller en cours. Elle savait que son diplôme en dépendait mais souvent, elle était bien plus tentée à rester chez elle pour dessiner ou peindre que de venir assister à des cours barbants.

Elle finit par déclarer forfait. Il lui apporta une bouteille d’eau qu’elle prit en le remerciant. Après quelque gorgées bien fraîche, ça allait beaucoup mieux.

« Ne vous en faites pas, je m’en doute… Ah ? Je ne pensais pas, merci. On verra bien la prochaine fois que ça m’arrive, mais je me sens en effet plus en confiance et je ne resterai plus paralysée à ne pas savoir quoi faire. »

Elle but encore un peu avant de refermer la bouteille. Elle ne réussit pas à garder plus longtemps les questions qui lui brûlaient la langue :

« Et ça fait longtemps que vous êtes professeur et que vous êtes ici, à la Nouvelle-Orléans ? »

Elle se demandait aussi s’il vivait seul avec juste son chien ou s’il y avait quelqu’un… À son âge, il pouvait très bien avoir des enfants. Il n’avait pas d’alliance, mais peut-être qu’il était divorcé ou veuf. Mais ça, elle se rendait compte que c’était dépasser les limites, alors elle ne dit rien, commençant par des choses plus banales et acceptables.

Ce devait tout de même être plus agréable d’avoir en face de lui des gens qui étaient attentifs plutôt qu’une bande de grosses larves. Elle savait qu’elle, en tout cas, elle n’aurait clairement pas apprécié. Mais peut-être qu’il disait vrai, que son auditoire lui importait peu et que tout ce qu’il voulait, c’était de pouvoir parler de sa passion et espérer que ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.

« J’espère pas non plus, de toute façon, ça a jamais été très violent, mais s’ils voient que je sais me défendre maintenant, ils me laisseront peut-être tranquille en permanence. »

Elle, tout ce qu’elle voulait, c’était avoir la paix. Etait-ce trop demandé ?

« C’est quand même une vocation sur le tard… Professeur et tatoueur ? C’est assez peu commun ça. J’aimerais bien voir ce que vous faites. Je suis justement en train de réfléchir comment améliorer celui-là. »

Elle retourna son avant-bras, dévoilant l’intérieur où s’étalait un lettrage du creux du coude au poignet. Never give up. Comme un rappel quotidien qu’elle avait bien fait de suivre ses envies et de s’y accrocher, et non pas de suivre ce que ses parents lui avaient dit. Même si parfois, c’était dur.

« Oui, je suis née ici et j’ai d’ailleurs jamais quitté la ville. J’aimerais bien partir une fois que j’aurais mon diplôme, aller voir un peu le monde. Vous avez eu l’occasion de voyager un peu ? »

Si elle pouvait, elle partirait faire le tour du monde. Elle dessinerait tous les endroits où elle irait, jusqu’au moment où elle trouverait un endroit où se poser. Ici, pas grand-chose ne la retenait, si ce n’est sa famille et quelques personnes qu’elle aimait bien. Mais ça, elle était sûre que la distance n’empêcherait rien.

Dans sa tête, Roxane remettait les pièces du puzzle dans le bon ordre. Il avait donc dû avoir ses ennuis avec la justice avant de devenir professeur. Elle trouvait cela étonnant de la part de l’université de lui avoir dans ce cas-là fait confiance, ils n’étaient peut-être pas tous aussi fermés d’esprit qu’elle le pensait. En tout cas, ils n’avaient clairement pas fait un mauvais choix…

Elle sentait les doigts de l’homme sur sa peau, mais elle réussit à ne rien laisser paraître. On pourrait se faire la réflexion qu’elle s’émoustillait pour pas grand chose… Mais monsieur Telford était tout de même particulièrement attirant, on ne pouvait pas décemment dire le contraire.

« C’est vrai ? Merci beaucoup… Je vous fais confiance, je suis sûre que vous allez faire quelque chose qui va me plaire du premier coup. C’est vous qui avez dessiné les vôtres ? »

Il lâcha son bras et elle le ramena contre elle, un peu à regret.

« C’est exactement ce que je me disais. La Nouvelle-Orléans est très inspirante par son architecture, son histoire, son lien à la musique… mais je pense que ça fait pas de mal de se renouveler un peu de temps en temps et de voir autre chose, autrement que sur un écran ou sur du papier. »

Roxane ne rêvait que de ça : être libre. Dès qu’elle le pourrait, elle prendrait un sac à dos et elle irait à l’aventure. C’était une idée qui la tentait de plus en plus. Enfin, il lui restait encore au moins trois ans ici avant de pouvoir faire ce qu’elle voulait. Elle n’était pas sûre que ses parents acceptent qu’elle abandonne une seconde fois ses études…

« Professeur, tatoueur, mécano sur votre temps libre… Vous devez pas avoir le temps de faire grand chose d’autre ! »

« Je vous fais confiance. »

Elle ne disait pas ça comme ça, c’était vrai. Et pourtant, Roxane n’était pas du genre à accorder sa confiance facilement. Son esprit retors lui soufflait toujours que la personne en face d’elle pouvait très bien être toute aussi vicieuse qu’elle-même, ce qui la poussait à se méfier.

Elle sourit doucement, presque timidement. Ca changeait de toutes les autres personnes qui l’entouraient et qui lui disaient de penser à ses études, à trouver un travail, à fonder une famille… Sauf que ce n’était pas ça qu’elle voulait. La vie rangée… Pas pour maintenant. Elle était jeune, elle avait encore le temps de profiter de la vie et ensuite, elle verrait pour le reste. Ca faisait du bien de discuter avec quelqu’un qui ne semblait pas complètement désabusé par la vie.

« Bah… Je dessine. »

Le dessin était toute sa vie, elle passait son temps le nez collé à une feuille. Si les travaux imposés par l’université était souvent une contrainte, elle adorait développer son style et son univers durant son temps libre, ainsi que d’expérimenter de nouvelles techniques.

« J’ai tout le temps le cerveau qui marche à mille à l’heure alors au moins, quand je suis devant une feuille, je peux juste le laisser s’exprimer. Je laisse ma main tracer les lignes qu’elle veut. Je sais que ça peut paraître un peu bizarre dit comme ça… et promis, je me drogue pas. »

Elle n’en avait pas besoin pour rentrer dans une sorte de transe quand elle se concentrait suffisamment. La jeune artiste vivait souvent dans un autre monde. Elle finit par se lever et adresser un sourire timide à son professeur.

« Il se fait tard… Je ferai peut-être mieux de rentrer, vous allez pas passer la soirée avec moi. »

Quoique ce serait intéressant..

Roxane avait l’impression d’enfin trouver quelqu’un à qui parler en la personne d’Alexander. Il ne la jugeait pas, ne la critiquait pas et comprenait parfaitement ce qu’elle ressentait. C’était nouveau, mais surtout, ça faisait beaucoup de bien. Elle n’avait jamais rencontré quelqu’un réellement passionné par son art et ça l’avait toujours un peu frustré.

« D’accord, je n’hésiterai pas alors. Merci encore pour tout. »

Se rendait-il compte de la confiance qu’il lui donnait en lui accordant son attention ? Sûrement pas. Mais à présent, Roxane était déterminée à devenir autre chose à ses yeux qu’une simple étudiante un peu paumée. Elle ne pouvait pas clairement expliquer ce qu’elle ressentait, c’était compliqué et elle n’était pas sûre de réellement vouloir comprendre. Elle voulait juste prendre de l’importance à ses yeux. Et pour ça, elle avait un plan, qui avait émergé doucement au fur et à mesure de cette séance. Elle savait ce qu’elle allait faire. Ce n’était clairement pas sain, mais si ça pouvait faire en sorte que les yeux d’Alexander se pose sur elle, alors elle ferait sans rechigner.

Elle reprit ses affaires et après un dernier sourire, elle quitta la maison de son professeur, bien satisfaite. Elle avait appris beaucoup de choses utiles en peu de temps, il ne suffisait plus qu’à exploiter tout ça à présent…