Après mes drôles d'aventures, les "retrouvailles" avec Kris et mes délires incompréhensibles et fanatiques avec Thiago, ma vie avait fini par retrouver son calme. Ou du moins, de ce qu'on en veut. J'avais réussi à mettre la rage que me faisait éprouver Kris de côté, quant à Thiago, j'avais accepté qu'il s'écarte un peu de tout un instant. Je n'avais pas besoin de me faire plus de mal que ça.
Cependant, après avoir réussi à me faire par Kris le temps que Thiago ne m'adresse plus la parole, j'avais à mon plus grand désarroi et ma plus grande honte, fini par me retrouver dans le même lit que lui, sans être capable un seul instant de me rappeler ce qu'il s'était vraiment passé. Et connaissant cet infréquentable salaud qu'était Kris, je n'avais pas voulu me fier à ses paroles. De toute façon, il n'aurait jamais été capable de me toucher, les gens "avec une tare", comme il disait, ce n'était pas trop son cercle de fréquentation. Moi, j'étais juste sa cible quand il avait besoin de se défouler.
Mais, en remarquant que j'avais du retard, je n'avais pas pu m'empêcher de me poser la question de savoir s'il n'avait pas eu vrai. Dieu merci, en faisant un test, j'avais vu que c'était un simple retard et non pas plus. Cependant, je n'avais pas pensé que laisser la boite et le bâtonnet dans la salle de bain aurait pu causer autant de dégâts.
« Mais enfin, Bianca, pourquoi tu t'inquiètes? De toute façon, je suis majeure, c'est ma vie, c'est moi qui gère! » En vidant les poubelles, Bianca avait trouvé mon test et, comme le résultat ne restait pas ad vitam aeternam sur le bâtonnet, elle n'avait pas arrêté de me questionné dans les trente minutes qui avaient précédé et rien ne semblait vouloir lui faire entendre raison.

La situation aurait pu être risible si elle n'avait pas été aussi dramatique. Le fait que Bianca se retrouve à me faire la moral n'était pas inhabituel, loin de là, mais d'habitude, elle me faisait confiance. Peut être que l'angoisse de la santé de Nonna n'aidait pas, mais, jusque là, c'était la première fois que j'avais l'impression d'avoir réellement fait une bétise.
Il fallait dire qu'avec toutes ces années d'anorexie, l'anxiété était généralement à mon propos et jamais à celui des autres. Je n'avais le droit qu'à de petites remontrances et les regards soucieux de ma soeur et de ma grand-mère me donnaient l'impression que quoi que je fasse, j'avais toujours droit à tout. Et là, je n'avais même plus le droit à l'erreur.
J'avais levé les yeux au ciel et soupiré à m'en déchirer l'âme tant la situation m'exaspérait. « Bi, je t'aime mais ce ne sont pas tes affaires. » avais-je répondu à toutes ses questions avec une froideur exceptionnelle, que je ne me connaissais pas. La conversation ne semblait pas être engagée sur un conflit et, pourtant, je restais déjà sur la défensive. Je soupirai d'autant plus. « Mais de quoi tu te mêles Bi? J'ai vingt trois ans, c'est vrai, mais je fais encore ce que je veux de ma vie. T'es pas ma mère, j'en ai jamais eu, je n'en ai pas besoin aujourd'hui. » Non, aujourd'hui, j'avais besoin de ma grande soeur, celle qui savait me rassurer, pas celle qui savait me faire des reproches. 

Bianca avait toujours eu un rôle de mère et de soeur vis à vis de moi. C'était toujours mieux de l'avoir comme figure de modèle que notre mère junkie derrière les barreaux. Mais parfois, elle y mettait tellement de coeur que ça en était trop. J'adorais Bi, mais j'avais du mal à me dire qu'elle ne se rendait pas vraiment compte que j'étais une adulte désormais et que j'étais capable de faire mes propres choix. Et c'était dans une situation comme celle-ci que c'était encore plus visible. Non, je n'étais pas insensée, sans raison aucune, j'étais complètement saine d'esprit, même si ma soeur avait du mal à s'en rendre compte d'elle-même sans qu'on le lui fasse remarquer.
Ce n'était pas vraiment mon genre de ne pas en parler avec Bianca quand il se passait quelque chose d'aussi important dans ma vie, mais, pour une fois, j'avais simplement eu besoin d'air et l'angoisse que j'avais eu m'avait été largement suffisante pour ne pas la partager et subir deux fois plus d'angoisse que prévu. Puis de toute façon, tout était bien qui se finissait bien. Thiago hors de ma vie pour l'instant, Kris dégagé, je n'avais aucun souci à me faire d'avantage. Déjà que j'étais assez chanceuse de ne plus voir cette tête à claque qu'était Kris. Mais il fallait l'avouer, Thiago me manquait réellement. Je n'étais pas sûre que l'on pouvait appeler ça de l'amour, vu comment notre relation avait toujours été chaotique, mais nos moments de déconne passés ensemble me manquaient, la présence d'un vrai ami me manquait. Alors ma soeur n'avait aucun souci à se faire quant à ma santé et surtout quant à la présence d'un petit embryon inconnu dans mon utérus. « Bi, s'il te plaît... J'ai assez eu à m'inquiéter et à vous inquiéter pour toute ma vie, tu sais? » j'avais soupiré. C'était assez virulent et à la fois calme comme parole et j'essayais de ne pas froisser ma soeur. Mais c'était vraiment difficile. Je secouais la tête. « S'il te plaît ne commence pas... » C'était bien la première fois que je lui cachais quelque chose -mes débuts d'anorexique mis à part- fallait-il vraiment qu'elle complique les choses à tout prix? 

En temps normal, j'étais bien contente d'avoir Bianca de mon côté, c'était toujours un plus non négociable, d'autant qu'elle n'était pas seulement ma soeur aînée, elle était surtout une amie indéfectible, et c'était en ça que j'adorais notre relation, vraiment. Mais je n'avais pas besoin de vivre ça tous les jours, sans arrêt. Et je n'avais pas besoin qu'elle se mette à s'inquiéter pour moi davantage que ce qu'elle le faisait déjà. Elle se tuait déjà suffisamment à faire le gendarme et la maman à ma place, je lui en étais suffisamment reconnaissante, mais tout de même! Je n'avais pas besoin de la tuer encore plus avec des débilités. Surtout parce qu'en l'occurrence, j'avais refusé d'aller voir mon gynéco pour comprendre ce qu'il s'était passé ou non.« C'est vrai, excuse moi, mais en l'occurrence, j'espère que tu comprendras sans te vexer que je n'avais pas forcément envie d'en discuter...» La situation me gavait complètement. je comprenais l'inquiétude de ma soeur, mais elle n'avait vraiment pas lieu d'être et j'aurais préféré partir sur complètement autre chose comme discussion. « Ne t'en fais pas, je sais, et j'apprécie vraiment. » Un peu calmée par rapport à précédemment, je m'approchais de Bianca pour lui faire un câlin Je ne supportais pas qu'elle fourre son nez dans mes affaires, mais je pouvais comprendre qu'elle s'inquiète et j'appréciais le fait qu'elle soit toujours là pour moi. Sinon, je n'étais pas du tout paradoxale !

pardon pardon pardon, j'ai totalement zappé, tu as le droit de me taper

Bianca semblait au fur et à mesure prendre conscience de ce que je lui demandais pendant que mon malaise grandissait encore et encore. Jamais je n'avais été aussi froide avec ma soeur. Même à l'époque où j'avais eu besoin d'aide sans l'accepter, je m'étais laissée faire en comparaison. Et elle se prenait ça en pleine face, je la plaignais sincèrement. Fallait-il vraiment qu'elle ait une vie aussi difficile, à m'aider à grandir, moi qui ne lui laissais même pas le temps de souffler quelques instants?

Mais rapidement, je m'étais calmée. j'avais repris le dessus sur mes émotions et j'étais redevenue presque aimable, ma colère m'ayant subitement quitter, me montrant sous un caractère bipolaire que je n'avais jamais eu encore. Une fois ma soeur dans mes bras, j'avais feinté pour qu'elle arrête de me disputer. Je n'avais plus cinq ans et il allait falloir qu'elle le comprenne. Je n'étais plus cette gamine apeurée, en proie à chaque bêtise et chaque danger qu'elle impliquait, qui cherchait son père et sa mère toute la journée. J'avais changé, j'avais mûri, et je voulais qu'elle le sache, même si c'était à elle que je le devais. « Ouais, ouais, c'est ça. Je suis terrifiée » Dis-je dans son cou avec beaucoup d'ironie. Bianca ne m'effrayait plus depuis des années, mais son habitude de me parler ainsi me faisait toujours sourire.