La couleur est plus forte que le langage.

Mon blog, c'était un peu toute ma vie. En fait, c'était surtout ce qui me permettait de vivre puisque, ayant peu de blogs sur la mode - bien que le mien traitait aussi de musique, ce qui, à l'inverse, était très courant en ville- à la Nouvelle Orléans, et certains sponsors ayant trouvé mes articles plutôt intéressants, j'avais pu, au delà du simple blog d'entreprise, être une travailleuse indépendante. Les récents commentaires de fans et des sponsors me demandant de remanier mon affichage et mon design, j'avais donc tenté de faire appel à des professionnels. Difficile en soi parce que tout ce qu'il y avait à changer risquait de me coûter une blinde en spécialiste. Mais, quiche comme j'étais, j'avais décidé de faire appelle à une étudiante en art graphiste.

Pas très honnête de ma part, après tout, puisque le simple fait qu'elle soit étudiante ne m'obligeait pas à la payer comme une grande professionnelle. Mais je n'étais pas non plus une arnaqueuse et je savais que selon le résultat, j'allais finalement voir si nous allions être ramenées à travailler ensemble à nouveau, même si j'étais très optimiste notamment grâce à nos échanges par mail.

J'avais évité de mentionner que ma surdité s'aggravait. Je n'étais pas complètement sourde mais j'étais gravement malentendante et le port d'appareils auditifs était devenu nécessaire pour la bonne compréhension lors de mes journées. J'avais donc installé tout le matériel qui faisait de moi un vrai robot et l'avait caché à l'aide d'un bandeau. Habillée comme je l'étais, ça me donnait un certain style hippie, mais tant pis, j'aimais la mode, et tous les styles étaient bons à prendre. Avec tout ça, l'heure passait et je risquais d'être en retard. Je partais donc et arrivais au French Coffee, où nous nous étions données rendez-vous en très peu de temps et pile à l'heure.

Par rapport à sa description, je la remarquais très vite dans le café. En même temps, elle était la seule cliente assise seule à une table et avec un ordinateur. J'avançais vers elle un sourire chaleureux sur les lèvres. « ... Roxane? » Mon coeur s'accéléra de panique quand je réalisais que je m'étais à peine entendue prononcer son prénom, en espérant que ce soit elle. Loin d'être de bonne augure...

La couleur est plus forte que le langage.

Je n'avais pas du tout imaginé ma potentielle future collaboratrice comme je la voyais. J'eus un petit sourire en me rendant compte que malgré ses habits noirs, son écharpe était un peu trop colorée, mais pour le coup, j'estimais n'avoir pas trop de quoi critiquer, vu le style que me donnait mon bandeau. Elle avait aussi l'air d'être un peu angoissée par cette rencontre, bien qu'à mes yeux, nos échanges de mails s'étaient faits sur un ton très léger dans lequel je n'avais pourtant perçu aucune inquiétude. Peut-être simplement n'était-elle pas très à l'aise avec des interactions physiques.

Pendant qu'elle me confirmait son identité je m'efforçais de lire sur ses lèvres du mieux possible. Assez difficile parce que, à mon goût, elle parlait trop vite pour que je comprenne tout sans aucune réflexion. Roxane enchaîna pourtant une fois que je fus assise à ses côtés. Je compris en grande majorité ses paroles, ce qui allait assez en me rassurant, mais je dus me concentrer plus que de raison pour ne pas décrocher un seul instant. Et je n'avais pas l'intention de régler l'intensité de mes prothèses auditives, j'avais trop peur qu'elle les voit et qu'elle décide de partir en se disant que travailler avec une handicapée ça ne le ferait pas. « C'est normal au vu de votre... ton? travail, je ne pouvais vraiment pas choisir quelqu'un d'autre. Pour une étudiante, je trouve que c'est de la superbe qualité de travail, du moins, pour ce que j'ai eu l'occasion de voir, mais je ne doute pas du tout que le reste puisse être tout aussi impressionnant! » Je lui souris. Oui, c'était évident qu'elle était enthousiaste. À sa place, si un graphiste reconnu ou comme elle tout simplement avait choisi mon blog comme futur projet, j'aurais été complètement hystérique au point de sauter partout même pendant l'entrevue. « Très bien! » Je n'avais pas pris mon ordinateur, je m'étais doutée qu'elle aurait le sien, je m'étais donc contentée de prendre ma tablette graphique. Je ne savais pas faire des choses splendides avec, mais je pouvais au moins décorer mon blog avec des lettrines faites mains pour chaque article. Je sortais aussi mon bloc notes afin de prendre un maximum d'informations que je saurais où ranger par la suite. « Voilà, je suis prête et installée! Quelles sont vos idées? » J'étais assez mal à l'aise à l'idée de la traiter comme une personne avec qui j'ai pas mal d'années d'écart alors qu'il était évident que nous avions quasiment le même âge.

La couleur est plus forte que le langage.

C'est avec un beau sourire que je lui répondis. Au moins, je ne passais pas pour une débile qui tutoie quelqu'un qui, à contrario, la vouvoie. Ce qui était déjà un grand pas. Et puis, j'avais plus de facilité avec le tutoiement pour suivre une conversation si je devais la lire sur les lèvres. Histoire de savoir de qui et de quoi on parle... et de qui et quoi on ne parle pas.

J'avais plus ou moins été obligée de la complimenter. Non pas que j'étais forcée ou que quelqu'un me forçait, mais je me devais d'admettre le talent quand je le reconnaissais et même étudiante, ce que j'avais vu relevait pour moi du miracle : si mon blog pouvait ressembler à un seul petit tiers de son travail, clairement, je pourrais mieux me débrouiller et attirer plus de sponsors à son développement, ça oui. J'acquiesçais après m'être concentrée sur chaque mot qu'elle avait prononcé. Ouf, j'avais tout compris ! « Oui, ça me semble être une très bonne idée ! » Jusque là, mon blog avait été gris et violet, bien qu'un violet assez neutre. Mais ça n'avait pas eu l'effet escompté, excepté celui de me plaire à moi et moi seule. « Peut-être ajouter la couleur justement sur les lettrines? Comme jusque là je m'amuse de temps en temps à y mettre des motifs dedans, souvent en fonction du thème de l'article, ça pourrait être une éventualité? » D'autant que j'avais l'avantage d'avoir quelques photos à ma disposition, par une amie photographe, ce qui n'était pas pour me déplaire. Leur qualité ajoutait un petit plus pour illustrer mes propos et c'était vraiment une solution qui m'avait plu. Le seule bémol, c'était que je n'avais pas toujours ni l'envie ni la possibilité de mettre des photos dans mes articles, certains dénotaient donc par rapport à ceux qui en comportaient.

En regardant les images que Roxane me montrait, j'étais d'autant plus enthousiaste qu'auparavant. J'étais certaine que mon blog allait être métamorphosé, et en bien, ce qui me soulageait vraiment. J'étais vraiment certaine, en voyant tout le mal qu'elle s'était donnée pour me présenter tout ça, que j'avais choisi la personne idéale pour m'aider.

La couleur est plus forte que le langage.

J'étais soulagée d'avoir trouvé quelqu'un pour travailler et Roxanne semblait réellement être la personne idéale pour le travail. tout ce qu'elle me proposait me mettait des petites étoiles dans les yeux une fois que j'avais réussi à décrypter les quelques sons que je percevais et la lecture que je faisais de chaque mouvement de lèvres. Je lui adressais un grand sourire. « Je te promets que je ne serai pas une cliente agaçante qui change d'avis à chaque fois que quelque chose est terminé, en tout cas! » Je n'étais pas ce genre de personne qui changeait toujours d'avis, de toute façon. Je partais du principe qu'il valait mieux tout voir au début pour y apporter des changements plutôt que de tout changer en cours de route. Je faisais pareil quand j'aménageais mon appartement. Et c'était Sara qui avait payé toutes ces frasques en premier, d'ailleurs. Néanmoins, je pouvais me vanter d'être organisée.

La façon de penser de Roxane me plaisait énormément. En même temps, c'était clair qu'elle avait compris le but d'un blog, mais le fait qu'elle me laisse autant de libertés, c'était cool, vraiment. Elle aurait pu être une de ces designeuses détestables qui imposaient leur travail à tout le monde et que j'exécrais sincèrement. Mais non, elle était sympathique et ne se mettait pas en avant au profit des gens avec qui elle travaillait. Comme je le voyais, c'était kif kif.

Elle ouvrit un dossier, me montrant des images sur lesquelles j'avais du mal à me concentrer pour capter ce qu'elle disait. « D'accord! » Avec beaucoup d'attention je regardais ce qu'elle me montrait. Et puis, dans un modèle, j'en vis un qui me plut automatiquement, un peu comme si je visitais un appartement et en avais un coup de coeur. Sauf que ce n'était pas un appartement. Les marges de couleurs dessus étaient super originales et, moi qui étais fan de tout ce qui était couleurs fluos, j'étais servies. Ca restait sobre tout en étant coloré, et j'adorais. En tournant mes yeux sur Roxane pour prévenir une éventuelle parole, je montrais du doigt l'écran. « Celui-ci, parmi tous ceux que j'ai vus jusque là, me plaît vraiment beaucoup. » Bon, je ne les avais pas tous vu, certes, mais la barre de défilement de son ordinateur avait bien consommé l'affichage quoi qu'il en soit.