C'était étonnant cette façon qu'avaient les choses de le surprendre constamment. Il savait pertinemment que la vie prenait ce malin plaisir à toujours le laissé sidéré. Lui qui aimait sa tranquillité, désormais était toujours un peu perturbé par son acceptation si facile de Mai. Elle était toujours un peu casse-pieds sur les bords, toujours obnubilée par les carottes, et pourtant, il ne pouvait plus s'imaginer ne pas passer ses après-midis avec elle. Il aimait réviser à la bibliothèque -sans carottes- avec elle, discuter et se disputer à propos de livres pour lesquels leurs argumentations et leurs avis différaient tellement que parfois, c'était à se demander s'ils avaient au moins lu le même livre.
Mais c'était agréable d'avoir enfin quelqu'un avec qui discuter de tout cela. Jusqu'à maintenant, il avait toujours eu cette sensation d'ennuyer son monde, de ne pas être celui qu'on attendait de lui, et ça même au sein de sa famille. Etrangement, depuis qu'il avait noué ce lien avec la jeune femme, il avait l'impression que tout était désormais plus simple. Et même au sein de sa famille, les choses avaient changé. Et c'était vraiment pour le mieux. La cause était tue au sein de la famille Ibañez, et sa recomposition, afin de ne pas braquer Mael, bien qu'il était loin de s'en rendre compte. Au moins, il n'aurait qu'à la découvrir de lui même.
Et pas besoin de chercher très loin, elle était quasiment constamment sous ses yeux. Un seul regard de la jeune femme pouvait le transporter très loin. Il voyageait quand il plongeait son regard dans le sien, et il pouvait rester ainsi à la regarder pendant des longues minutes, sans qu'il n'en éprouve la moindre gêne. C'était plutôt le monde autour d'eux qui étaient gêné. Non pas que Mael ne s'en inquiète le moins du monde.

Cet après-midi là, il lui avait proposé de se retrouver à proximité du City Park. Il n'avait pas particulièrement envie de se balader dans le parc, qui lui paraissait assez boueux par cette pluie incessante qui s'abattait sur la Nouvelle-Orléans depuis une semaine. Une pluie bien agaçante, soit dit au passage, et il aurait donné tout l'or du monde pour qu'un simple rayon de soleil ne soit pas aussitôt recouvert de nuages grisonnant. Ces épisodes orageux le rendrait fou. Il avait chaud, puis besoin de s'abriter de la pluie, et ne pouvait même pas utiliser son vélo. C'était vraiment passablement énervant.
Heureusement, pour le moment, ils semblaient vivre un épisode ensoleillé. Tant mieux, c'était le moment idéal pour une sortie, en espérant être épargné, enfin, si Maiween était à l'heure, et non en retard comme bien souvent. Oui, parce qu'il fallait bien qu'il trouve de quoi râler après elle, sinon, ça n'était vraiment pas drôle. Il soupira avant de regarder sa montre. Non, pour l'instant, c'était surtout lui qui avait de l'avance.  Et finalement, quand il la vit arriver, il nota assez précisément qu'elle était loin d'être en retard. TANT MIEUX, pour une fois ! Enfin, peut-être deux ou trois, mais le fait qu'elle soit à l'heure restait tout de même anecdotique. Sauf quand il s'agissait de lui mâchouiller des carottes crues dans l'oreille, avec ce bruit particulièrement agaçant. A priori, elle ne semblait pas en avoir sur elle. Il espérait qu'elle n'allait pas sortir des noix ou autre aliment insupportable pendant qu'ils feraient la petite promenade qu'il avait prévu. Et quelle promenade ! Une visite du Zoo. Non, pour une fois qu'il n'y avait pas de sous entendu à Bugs Bunny, il était totalement innocent. Il avait juste cherché quelque chose de sympa à faire pendant le temps qu'il pleuvait, tout en étant dans un semblant de nature ouverte. Les passages étaient tantôt recouverts, tantôt ouverts. Ils auraient tout le loisir de se mettre à l'abri si la pluie grondait de nouveau. Une visite stratégique ! « Alors, Bunny, prête? » dit-il avec un sourire, alors qu'il lui prit la main doucement.. amicalement ? et qu'il reprit. «J'espère que t'es pas trop déçue d'aller au zoo. Je pensais faire la fête foraine, mais avec la pluie, c'était impossible, et puis de toute façon, même eux ont remballé pour éviter les trombes d'eau...» soupira-t-il, alors qu'ils se dirigeaient vers l'entrée où il donna les deux tickets qu'il avait acheté. Cette fois-ci, c'était lui qui régalait !

Cette situation était incroyablement plaisante. Au début, c'était vrai que c'était déroutant : Maiwenn n'arrêtait pas de se poser des tonnes de questions à propos de Mael et leur lien. Mais depuis ce repas de Noël, ce qui semblait compliqué dans sa tête, était dorénavant très facile et naturel. Elle ne s'était jamais vraiment sentie à sa place en dehors de sa famille, tout simplement car les gens la jugeait : car elle a été adoptée, puis car ils apprennent que sa mère biologique est morte, ou parce qu'elle est juste... elle. Pas très adroite, toujours un peu trop, et bizarrement après les gens la trouvent pas assez. Bref, elle n'a jamais été dans une case si facile à décrire pour les autres, mais elle n'avait jamais eu besoin de ça en compagnie de Mael. Il était unique, elle l'était aussi, et c'était très bien comme ça. Ils s'acceptaient ainsi alors que le reste du monde ne semblait pas tolérer ça.

C'était devenu presque évident de passer du temps ensemble. Que ce soit dans les couloirs de l'université ou à la bibliothèque, ou dans un tout autre endroit public, le reste devenait futile une fois qu'elle levait la tête vers lui ou qu'ils commençaient à parler, sans même se regarder. A croire que pour compenser leur première rencontre où elle avait couru pour être libre de lui, l'ironie de la vie a fait qu'elle ne voulait plus se séparer de lui. Enfin, presque...

Vu les pluies qui s'abattaient sur la Nouvelle Orléans, la brune était bien contente de sortir uniquement pour ses cours, puis rentrer chez elle pour se poser avec un livre, avec un plaid et son casque sur les oreilles. Généralement, ce qui la sortait de ses histoires, c'était un colocataire qui lui rappelait de manger ou de faire une tache ménagère, ou alors la sonnerie spéciale qu'elle avait attribué à Mael ; soit le bruit d'un lapin qui mange des carottes. Quitte à pousser le vice jusqu'au bout... C'était devenu une private joke entre eux, non ?

Donc, malgré cette sonnerie, et tout les réveils qu'elle peut mettre, peu de choses sortent May de ses lectures. Ce qui vaut souvent les foudres de Mael qui est très ponctuel, et vient à ça s'ajouter le fait qu'elle est un danger ambulant avec sa voiture, donc même les vieux roulent plus vite qu'elle. Aujourd'hui était peut-être un jour de chance ? Il ne pleuvait pas trop donc elle a pris la voiture, il y avait peu de trafic, et en prime elle avait assez vite fini son livre ! Elle avait pu arriver légèrement à l'avance au City Park, et elle était presque déçue de voir qu'il ne l'a même pas applaudi face à un tel effort. Pff ! Même pas elle a droit à la reconnaissance qu'elle mérite ! Elle lui offre quand même un sourire, toute contente, alors qu'elle réarrange son sac à dos qui contient plus ou moins la moitié de sa vie.

-Que ce soit le zoo ou la fête foraine, tant qu'on y est à deux, c'est ce qui compte non ? demande-t-elle en arquant un sourcil tandis qu'elle fait une petite pression sur sa main, liée à la sienne.

Comme dit, elle ne se posait plus aucune question sur sa relation avec le beau brun. C'était ainsi, tout ce qu'elle faisait avec lui était naturel, presque comme respirer. Est-ce que les gens se demandent pourquoi ils respirent ? Non. Tout le monde sait que c'est ce qui permet en partie de vivre, et pour elle c'est presque pareil. Enfin, elle peut vivre sans Mael : mais ça semble tellement évident de l'avoir dans sa vie.

Avec un sourire, elle le remercie et se hisse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue, tandis qu'ils se dirigent dans l'enceinte du zoo, Maiwenn soudainement pressée. Elle avait déjà envie de voir des tonnes d'animaux ! Et se moquer de Mael si jamais elle trouve qu'il ressemble à un d'eux ─un animal boudeur et plutôt solitaire.

-Alors, on va par où ? Trois chemins se dressent devant toi, grand aventurier ! Mais comment se sortir de ce labyrinthe ? demande-t-elle comme si elle était maître du jeu, se posant au milieu des trois chemins avec une mine surexcitée. Car évidemment, tu ne voudrais pas compter sur ma chance et me laisser choisir un chemin, sinon tu sais qu'il va y avoir quelque chose... Genre King Kong qui me kidnappe, qu'elle déblatère.

Il était plutôt content qu'elle ait accepté son invitation. Maiwenn était devenu un membre de sa meute très particulière : il n'y avait pas grand monde, et même les membres de sa famille n'en faisaient partie qu'à temps partiel. Elle était plutôt bien logée, la jeune femme ! Elle avait de la chance, et elle avait été suffisamment douée pour se faire une place dans la vie de Mael, bien qu'il dirait plutôt qu'elle avait forcé cette place. Ce qui n'était que partiellement vraie, il s'était tout de même poussé pour qu'elle puisse s'y installer, dans sa vie.

Et cette visite au Zoo, c'était juste une excuse pour passer du temps ensemble. Il aurait pu prétexter un exposé. Mais il n'en avait pas envie. il ne voulait pas cacher qu'il aimait bien la jeune femme, bien qu'elle ne soit parfois si détestable qu'il devait avoir l'impression d'exploser avec elle. L'important, c'était qu'en général, elle était loin d'être si détestable que ça !

Alors, bien sûr, il aurait préféré aller à la fête foraine. Mais ça, c'était un peu compromis par la pluie. Et il espérait que dans le fond, elle n'était pas déçue. C'était le genre d'avis, le genre de sentiment qui commençait à beaucoup compter de sa part aux yeux de Mael. «Oui, c'est vrai. Un point pour toi, Bunny.» dit-il en lui prenant doucement la main.. comme des amis ? Il lui offrit son plus beau sourire, avant de se mettre en route.

Il ne put s'empêcher de rire, incapable de réprimer le fou-rire qui ne demandait qu'à sortir, et se déverser autour d'eux. Ah, elle savait être surprenante, cette fille ! «Si aucun ne nous amène à une mort certaine ou une séparation brutale pendant cette visite..» séparation de corps, évidemment ! «... Alors soyons audacieux, on prend la voie du milieu.» Il jeta un coup d'oeil à la jeune femme, un sourcil arqué. «Parce que tu crois sincèrement que je laisserai King Kong te kidnapper et s'amouracher de toi ? C'est hors de question.» Mais il rit de plus belle. «Cela dit, ne prenons pas de risques. On va au milieu.» reprit-il, en serrant légèrement son emprise sur sa main, l'incitant à le suivre. «Allez, dépêêêêche toi ! Si on se prend à nouveau la pluie, ça sera entièrement de ta faute !» Il adorait la culpabiliser. Et généralement, elle lui donnait toutes les armes pour qu'il le fasse sans la moindre pitié, sans même qu'elle ne s'en rende compte.

Maiwenn a toujours été à la recherche du grand amour, sans pour autant oser se jeter dans la gueule du loup. Tomber amoureuse, paradoxalement, est sa plus grande peur, et son plus grand désir. Et il y a plusieurs raisons à ça : un rêve qui se réalise, souvent, ça se passe très mal. Le principe du rêve idéal, veut que ça ne soit qu'une idée, et qui est difficilement réalisable, et si c'est le cas, il sera décevant. Ensuite, dans les livres, la vie se passe toujours mieux. A chaque fois que le personnage vit quelque chose, il en tire une conclusion, en sort plus fort, et elle n'a pas l'impression que c'est comme ça pour elle. Elle n'est ni un personnage de livre, ni de film, et encore moins de clip. Sa vie pourrait se résumer en trois minutes, certes, mais ça serait un pauvre résumé de tout ce qu'elle peut ressentir.

De toute ce qu'elle peut ressentir pour Mael, spécialement. Elle y retrouve tout ce qu'elle lit dans ses bouquins, sans pour autant y mettre un mot dessus. Est-ce qu'elle est bête ? Oui, un peu. Mais quand on a peur, on agit toujours un peu bêtement, et c'est son cas. Et puis, tant qu'il ne se met pas à lui poser des questions... Ça devrait le faire. Aucun stress à avoir. Surtout pas quand elle sent qu'il prend sa main, surtout pas quand il dit qu'il refuserait un King Kog sauvage la kidnapper, et l'aimer. D'ailleurs, elle rougit légèrement, mais ça peut passer avec le fait qu'il pleut, et qu'il fait un peu plus frisquet, et qu'elle est frileuse. Du moins, elle espère.

-Et pourquoi celle du milieu, hum ? La voie de droite n'est pas assez bien ? Et celle de gauche, alors ? Tu ne l'as même pas regardé ! Maeeeeeel, râle-t-elle comme une grande enfant avant d'éclater de rire, tirée par le grand brun. En plus, contre la pluie, j'ai un super parapluie rose avec des cupcakes ! Je suis sûre qu'il irait très bien avec ton teint, et qu'il te donnerait l'air très viril, rajoute-t-elle en papillonnant des yeux.

Quand ils peuvent enfin voir les animaux, la Hemmings n'ose pas lâcher la main de Mael. Partout où il semble aller, elle le suit, et vice-versa. L'avantage, c'est qu'ils sont souvent sur la même longueur d'onde, et même quand ils ne le sont pas, ils trouvent des compromis. Bien sûr, le débat peut durer quelques heures, mais il n'a pas été question de ça pour la première partie de cette visite du zoo.

-Le lémurien de tout à l'heure il avait l'air vachement intéressé par toi, t'avais une touche, rit-elle en le bousculant doucement, alors qu'ils prennent une petite pause. Tu peux aller dans mon sac ? J'ai faim, et j'ai fait des pâtisseries, qu'elle demande innocemment avant de se tourner pour qu'il puisse accéder à son sac à dos. T'étais déjà venu au zoo ? Enfin, récemment, je veux dire ? qu'elle s'enquit soudainement. Peut-être un peu jalouse si elle apprenait qu'il avait déjà fait ça avec une autre.