Depuis la tempête, t’avais revu personne. Autant dire, tes retrouvailles avec Seth t’ont chamboulée au point que t’as même pas eu le courage de tenir tête à quelqu’un ou même passer du temps avec ta jumelle qui est venue pour s’assurer que tout allait bien chez tes parents. En gros, vérifier que son handicapée de sœur n’a pas aggravée sa situation en allant faire du ski dehors. Du moins, tu l’avais pris comme ça car t’es remplie de mauvaise foi et que cette compétition, fausse, que t’as créé dans ta tête, te ronge toujours. Pourtant, Seth t’a clairement dit qu’il n’était pas amoureux d’Ava, mais t’as l’impression d’être dans un cercle vicieux.

Mais aujourd’hui, t’as pris ton courage en main, tu t’es lavée ─ouais ça commençait vraiment à puer dans ta chambre─, tu t’es préparée et t’as dit à tes parents que tu partais. Et en passant, t’as demandé l’adresse d’Ava, vu que Seth vit avec elle. Au final, ta mère t’a conduite là-bas car elle voulait pas que tu fasses une autre bêtise, car ouais, en faire, c’est vraiment ton genre. Elle a eu l’amabilité de te déposer quelques rues plus loin, quand même, histoire que tu sois pas trop honteuse. C’est devant la sonnette, que t’as vraiment hésité. T’as stressé, t’as commencé à te dire que si tu partais maintenant, il n’en saurait jamais rien. Mais tu ne pouvais pas, car tu lui dois la vérité. Ça y est, il est temps de révéler tes cicatrices, il est temps de lui dire que la blessure est physique et mentale. Que t’es plus réparable, et surtout, que la Asia d’avant est partie. Alors t’as sonné et t’as attendu en essayant de te calmer, mais clairement, tu tenais pas sur place, même quand il t’a ouvert la porte. Tu lui as offert un sourire un peu timide, gênée vu comment tu t’étais comportée la dernière fois.

-Hey ! Je… Je suis désolée. Pour ce qui s’est passé lors de la tempête.

Cette tempête, ça avait été quelque chose. Quelque chose d'assez effrayant, si on y réfléchissait bien. Et toi, ça ne t'avait pas plu. Et puis il y avait tellement d'incompréhensions suite à cette tempête. Perdu comme tu l'étais, difficile de trouver quelque chose de logique à tout ce qui s'était passé. Ne serait-ce que cette rencontre avec Asia... tant de choses s'étaient déroulées en si peu de temps. Et tu avais failli lui dévoiler tes sentiments. En fait, tu avais même du mal à comprendre pourquoi tu ne l'avais pas fait. Tu n'avais de cesse de ressasser ce moment, ce moment où tu aurais pu faire n'importe quoi digne des films romantiques avec lesquelles t'avaient tant bassiné tes soeurs. Tant de gestes, de paroles que tu aurais pu faire ou dire, tant d'actes que tu as gardé pour toi comme le lâche que tu as l'impression d'être. Toi, Seth l'intrépide. Mais devant Asia, tu t'es dégonflé. Le fait qu'elle soit au même niveau que toi sur de nombreux domaines, ça t'a fait peur : et si vous n'étiez pas raccords sur ce point ? Un risque que tu n'as pas su prendre. Et tu n'étais visiblement pas le seul puisqu'elle avait l'air, elle aussi, d'avoir besoin de parler.

Ce jour-là, tu étais resté avachi sur ton lit, à regarder des vidéos. De tes colocataires, tu n'avais pas vraiment parlé avec. Même Ava avait échappé à la règle, elle à qui tu confiais beaucoup... mais pas ses sentiments pour sa sœur ! Résultat, tu t'étais retrouvées seules, un peu comme si ton frère, ta meilleure amie et votre colocataire n'avaient pas eu envie de rester sous le même toi qu'un garçon silencieux qui refuse la discussion. Et puis la sonnette retentit. Tu n'avais clairement pas envie d'y aller, mais c'était très probablement Noa qui avait oublié ses clés. Quand ce n'était pas lui, c'était toi. De vrais frères, quoi qu'en dise l'ADN. Ton coeur s'était subitement arrêté à la volée de la porte. Tu t'apprêtais à sortir une bonne vanne... mais tu t'étais stoppé immédiatement dans ton élan.

- Oh... Salut. Tu marquais un temps de silence avant de reprendre. Tu veux entrer ?

Ce n’était facile pour aucun de vous deux, t’en étais consciente, t’as fait vivre un calvaire à tout le monde depuis… Depuis le départ de Seth, depuis son retour, depuis ton accident. Non, la fille simple est partie depuis longtemps et tu t’en veux un peu, de t’être perdue de la sorte, mais tu ne peux pas t’en empêcher. Ta vie sans dessus-dessous, tu te débrouilles comme tu le peux, et quand tu pensais avoir trouvé quelque chose pour te sauver de ta vie, en fait, tu n’as fait que rendre les choses encore plus graves. Tu as fuit ta vie et quand tu l’as retrouvé, elle était pire qu’avant, et ça ne peut plus continuer. Tu as besoin de quelqu’un et tu sais que personne ne t’aidera mieux que ton partenaire de crime depuis l’enfance, que personne ne saura réparer le mal qu’il t’a fait sauf lui-même… Seth. Et le voir ouvrir la porte de son logement, ça te soulage presque, car au moins tu sais qu’il est prêt à te voir malgré la crise que tu lui as piqué durant la tempête.

Aouch, premier vent, tes excuses passent un peu à côté de son attention, et tu sais pas trop si c’est parce qu’il a l’air totalement à l’ouest ou bien car ce n’est tout simplement pas assez de s’excuser de la sorte, sans aucune explication. Il va les avoir, il doit juste être encore un peu patient : car toi, t’as besoin de rassembler toutes tes forces et tout ton courage pour lui dire ce qui s’est passé pendant son absence. A sa proposition, tu hoches positivement la tête en le remerciant, rentrant dans le lieu de colocation. Tu n’étais encore jamais venue, et autant dire, rien que d’ici tu pouvais voir la touche d’Ava dans la décoration et t’as une petite moue, mais t’es satisfaite de voir que tu n’es plus la seule à devoir supporter les goûts de ta jumelle.

Très vite, plantée devant lui, tu te rends compte que ça y est, c’est le moment. Plus de retour en arrière possible, car quand tu regardes dans ses yeux, tu sais que tu ne peux plus rien lui cacher, tu ne peux plus faire comme avant : un coup tu ne sais pas te passer de lui, et le coup d’après, tu l’ignores jusqu’à que tu veuilles à nouveau lui parler. Non, c’est pas comme ça que ça doit fonctionner entre vous, et c’est ta connerie, alors tu dois la réparer. Tu soupires et tu continues à le regarder dans les yeux.

-Ecoute, Seth… Je… Je te dois des explications. Beaucoup d’explications même, tu ris amèrement. Pendant que t’étais pas là… J’ai eu du mal, et à l’université, j’ai cru qu’en allant faire la fête, tout allait s’arranger, et j’ai dépassé les bornes. En dehors de mes entrainements, j’étais jamais sobre, je faisais que m’amuser, et… Un soir, on a eu un accident de voiture avec mes potes. Celui qui était au volant est mort.

Et tu t’arrêtes un moment là, car ça fait déjà assez mal. Les larmes te montent aux yeux, c’est comme si tu t’en souvenais parfaitement malgré le fait que t’étais pas mal bourrée, tu te souviens du choc, de la douleur, tu hurlais, tu pleurais et tu disais aux ambulanciers que tu avais hyper mal à ta jambe gauche, comment la sentence est tombée le lendemain à ton réveil, plâtrée. Incapable de marcher pendant un bout de temps, et plus jamais capable de faire du sport professionnellement.

-Je me suis cassée la jambe. Et tu sais ce que ça veut dire, hein, quand un sportif se pète ce qui est essentiel pour son sport ? tu demandes rhétoriquement, tremblotante.

C’est injuste, beaucoup trop injuste. On pense toujours que ça arrive qu’aux autres, jusqu’au jour où ça nous arrive. Et toi, t’as toujours la haine envers ce monde pourri qui te détruit, qui te réduit au chaos alors que tu luis de paillettes.

Elle était devant toi, et si la tempête de neige était terminée, c'était l'ouragan qui faisait rage en toi. Tout d'abord, l'ouragan de questions. Elle t'avait laissé si bêtement que tu ne savais plus quoi penser. Ensuite, l'ouragan de réactions. Ton estomac était aussi noué que ce qu'il ressentait les papillons, comme chaque fois que tu pensais à elle depuis ces moments de discussion au Canada. Comme chaque seconde où tu avais espéré la retrouver, la serrer dans tes bras et lui dire que tout avait changé pour toi, que tu l'aimais d'un amour irréel tant il était fort. Et tu n'en as pas eu le temps la dernière fois. Ce qui amène à ce troisième ouragan, cet ouragan de sentiments, de sensations. Tu étais perdu, quelque part désespéré mais aussi plein d'espoir, ravi de la voir et en même temps si triste de n'avoir pas pu la comprendre, de ne pas savoir ce qu'il se passait, bref, un raz de marée d'incompréhension.

Tu n'avais pas répondu à ses excuses. Plutôt impoli de ta part, mais il faut dire que, pour ta gouverne, tu ne savais pas quoi dire d'autre que "ok". Alors mieux valait te taire plutôt que de lui faire de la peine. Tu préférais en avoir toi tout seul. C'étais un peu comme si tu ne savais plus où tu habitais. Tu n'avais pas les pieds dans tes baskets, les yeux en face des trous, peu importe l'expression, en fait. Tu lui avais simplement proposé de rentrer, c'était plus simple que de rester sur ce palier, à attendre que le temps passe et faire profiter tous les voisins de ce qui ressemblait fortement à une scène de ménage à venir. Pourtant, tu n'avais jamais rien à reprocher à Asia, depuis que tu avais développé des sentiments pour elle, tu ne t'étais jamais pris la tête avec elle. Et pourtant, tu te la prenais tout seul à son sujet.

Et puis, comme si elle avait compris ô combien tu eis perdu face à elle, elle s'est expliquée d'elle même. Soulagé de n'avoir pas à dire un mot pour entendre ses raisons, ta soudaine tranquillité disparaît aussitôt ses paroles arrivées à la case "compréhension" de ton cerveau. Non loin de là se trouve le canapé que vous partagez avec tes colocs et c'est là où tu décides de te laisser tomber un court instant, encore plus paumée que quelques secondes auparavant. Tu la laisses finir, te dire qu'elle s'est cassée la jambe, qu'elle peut faire une croix sur ses espoirs sportifs. Tu passes tes mains sur ton visage, complètement incrédule.

- Asia... Tu n'as pas envie de la prendre en pitié. Tu sais qu'Asia n'est pas le genre à accepter facilement la compassion et tu es comme elle. Pour toi, ça sonne pitoyable et pas autre chose. Pourquoi tu m'en as pas parlé avant ? Je sais pas... j'aurais peut-être pu t'aider à traverser tout ça... Mais tu sais que c'est faux. À des kilomètres de là, tout ce que tu aurais pu faire pour elle, c'est écrire, lui parler. Des mots. Tu te relèves aussitôt et tu t'approches d'elle. J'aurais voulu être là pour toi, te soutenir... je suis tellement désolé de ce qui t'es arrivé... Tu n'oses pas poser la question pourtant essentielle. Tu aimerais savoir comment elle va. Pas par rapport à sa jambe. Par rapport à l'accident. La mort de son "pote", comme elle dit. Toi, tu sais plus quoi faire, les bras t'en tombent. Comment une telle chose a pu rester sous silence ? Et comment Ava a pu ne rien te dire sur tout ça si sa jumelle ne voulait pas t'en parler d'elle-même ?

Seth a toujours été le phare qui a su te ramener à bon port, qui faisait briller ta nuit. Tu as toujours pu compter sur lui, même lorsque vous vous disputiez pour des broutilles, personne d'autre ne pouvait t'embêter. A chaque fois que tu étais perdue, que tu étais un bateau terriblement seul en train de naviguer aveuglément, presque en train de couler, il a été là pour toi. Et un jour, le phare s'est éteint, et toi t'as coulé, t'as commencé une guerre contre toi-même. Ton esprit était un champs de mine, et chaque décision que tu prenais était possiblement mortelle. T'avais poussé le bouchon trop loin, dépassé les bornes, et t'en as payé le prix. Parfois, tu penses sincèrement que la mort aurait été plus douce que cette putain de vie.

Pourtant, quand tu le regardes, tu peux pas renoncer à ça. Tu ne peux pas te dire que c'est la dernière fois que tu le vois, tu peux pas te dire que votre histoire sera inachevée, comme une phrase qu'on coupe en plein milieu, une info à moitié révélée. Au fond, tu veux plus que ça, beaucoup plus, mais tu sais pas comment t'y prendre, tu ignores comment lui faire comprendre tout ce que tu ressens sans lui faire peur. Tu sais pas non plus très bien t'exprimer, t'es une personne plutôt discrète à ce niveau, pas très bavarde. Mais depuis que t'es petite, tes actions parlent plus que tes mots, c'est une chose très importante pour toi : parfois, des gestes valent mieux que des mots.

Néanmoins, tu mets des mots sur ce qui t'est arrivé. Ce que tu répètes depuis des mois, ce qu'on te dit depuis des mois. Devant Seth, tu te sens encore plus mal, tu deviens tremblotante, ta confiance s'en va, et tu es comme une enfant. Mais qui dit enfant dit petits problèmes, mais qui dit ado... Dit grands problèmes. Ah t'en as été, une source de problèmes, tes parents ne cessent de te le dire, pour rire ou pas, mais cet accident, ça les a autant achevé que toi. Tu restes silencieuse le temps qu'il parle, tu passes une main sur ton visage en essayant de te ressaisir, mais t'y arrives pas.

-Je t'en ai voulu, pour être parti si loin, tu sais. Puis j'ai réalisé... J'ai réalisé que je ne suis pas un facteur dans les décisions des gens. Je suis juste Asia. Puis j'ai réalisé que personne ne pouvait m'aider, alors.. Alors j'ai tout gardé pour moi. Et j'ai supplié Ava pour qu'elle ne te dise rien, je voulais pas que tu gâches quelque chose de ma faute, avoue-t-elle avec la voix brisée.

Les larmes coulent sur tes joues, encore et encore, c'est la première fois depuis longtemps que tu t'ouvres autant à quelqu'un, mais c'est l'aura naturel de Seth qui te fait ça, depuis l'enfance. Tous tes secrets les plus sombres, t'as pu les lui dire, tu lui voues une confiance aveugle, et avec cette confiance, t'as développé des sentiments. Sans le vouloir. Mais tu t'es dit que ça ne sera jamais réciproque, alors enfant, t'as tout simplement ignoré ça, mais en grandissant, ces sentiments sont remontés à la surface, plus forts, avec le besoin d'être ressenti. Tout comme la douleur, l'amour veut être ressenti, laisser sa trace dans toutes les âmes qu'il traverse.

Finalement, t'as explosé en sanglots, et machinalement, t'as été te nicher dans les bras du brun, dans les seuls bras que tu voulais depuis tant d'années. Le panseur de blessures, celui qui t'a toujours éclairée. Celui que, malgré toi, tu veux entièrement.

Elle a toujours été importante pour toi, elle a toujours été un véritable rayon de soleil dans tes journées maussades. Asia n'a jamais été ta meilleure amie comme l'a été Ava. Elle n'a jamais été celle avec qui tout le monde te croyait. Mais même quand tu n'avais pas de sentiments pour elle, même quand elle ne faisait pas ressortir tout type de sentiments différents en toi, elle avait sa place, au plus proche de ton coeur. Tu as toujours pu compter sur elle, comme elle a toujours pu compter sur toi. Elle a longtemps été comme une soeur pour toi avant que tu réalises qu'elle était en fait bien plus, mais que tu ne savais pas ce qu'était d'aimer plus que ce que tu aimes tes soeurs.

L'entendre te raconter tout ça, ça te brise le coeur, ça te brise de l'intérieur. Tu aimerais la prendre dans tes bras, avoir été là pour elle, avoir pu la soutenir là où elle se sentait seule. Avoir pu déceler tout ça par le biais de vos écrans interposés. Tu aurais aimer avoir ce super pouvoir pour savoir que ça n'allait pas. Mais tu ne l'as pas eu, et aujourd'hui tu le regrettes très amèrement pendant qu'elle t'annonce tout ce que tu ne voulais jamais entendre. Qu'elle a été malheureuse. Perdue. Incomprise. Et que ton absence n'a pas aidé. Que tu as été égoïste de partir, même si c'était simplement pour faire tes études. Et oui, tu le sais. Tu l'as été. Et ça te bouffe de l'intérieur comme un ver solitaire qui viendrait t'ôter tous tes espoirs. Ceux que tu avais en elle. Ce que tu tentes d'arracher à cet invertébré pour pouvoir les garder en vous.

Puis tu réalises. Tu ne perds pas espoir en vous, tu as simplement peur. Peur qu'elle te rejette, peur qu'elle t'en veuille. Peur de regretter encore plus de ne pas avoir été présent au bon moment.

- Bien sûr que non, tu n'étais pas un facteur de mon départ... Tu murmures ces mots si bas qu'elle ne les as peut-être pas entendus. Tu t'en veux de réaliser que ton silence l'a menée à penser de la sorte. Tu aurais dû... Tu n'es pas "juste Asia". Tu es plus. Mais tu ne peux pas t'en rendre compte si tu refuses de sortir de l'ombre. Pour toi, elle est lumineuse, elle est brillante et tu aimerais qu'elle te voit avec les yeux qui te font la voir. Splendide, resplendissante, entière. Scintillante, éblouissante. Oui, c'est ça, elle t'éblouis. Tout en elle t'éblouis, tu en oublies chaque défaut qui t'a un jour fait penser qu'elle était agaçante. Et chacun de ces défauts devient une qualité. Tu aimerais qu'elle se voit exactement de cette manière. Comme tu la vois et pas autrement. Mais pour ça il faudrait que tu sois capable de lui dire exactement comment tu la vois et pourquoi tu la vois ainsi. Elle est forte, courageuse, téméraire. Elle a toujours été ta complice dans tout, et tu sais qu'il ne suffit pas de grand chose pour qu'elle le redevienne un jour.

Mais tu as conscience de ce qu'elle a perdu. Et ce n'est pas toi qui vas lui faire retrouver tout ça... Tu vois les larmes couler sur sa joue et tu t'approches d'elle pour les essuyer avec ton pouce. Ce que tu fais pendant qu'elle s'écroule dans tes bras. Je suis désolé Asia... je suis désolé que tu aies ressenti les choses de cette manière, que tu n'aies pas pu m'en parler et... qu'il te soit arrivé tout ça. J'aurais voulu être là pour toi, te soutenir, t'aider... Mais... tu te stoppes un instant. Pour ce que ça vaut, j'aurais préféré être avec toi plutôt qu'au Canada, toutes ces années... Chaque fois que je revenais, j'étais ravi de vous revoir... de te revoir. Et partir était encore plus difficile après tout ce temps passé ensemble...

C'est clair que t'es loin de tes problèmes d'enfant, quand tu râlais car ta sœur voulait t'utiliser comme modèle pour tester des trucs trop féminins, alors que toi, tu voulais juste courir et faire une partie de foot avec les gars pour les ratatiner ─car tu renieras toujours le fait que tu t'es faite ratatiner en retour, évidemment, dans ton esprit tu as toujours gagné. Car au final, en perdant, t'as appris : mais la seule fois où t'as perdu, c'est lors de cet accident, et t'as perdu plus que tu ne pourras jamais avoir.

Et là, tout contre lui, t'as l'impression qu'il essaie de pas trop éparpiller les pièces brisées de ton être, qu'il tente de faire une mosaïque de ta personne, même s'il sait le travail que ça lui demandera. Tu sais que Seth a toujours été un courageux, quand vous étiez gosse, il était le premier à foncer tête en première pour braver le danger, et toi, tu le suivais toujours. Ou alors, pire, t'étais la source du danger à braver : dans le fond, ça n'a pas trop changé. Tu as provoqué le pire et il est toujours là, à tenter de réparer tes putains de conneries.

Tout ce que t'as pris pour acquis s'est évaporé, et maintenant tu dois tout reconstruire, dont toi-même. Tu dois retrouver les bonnes pièces à assembler, quitte à te prendre la tête, pour ressembler à quelque chose une nouvelle fois. Quand le brun recommence à parler, tu lèves la tête vers lui étant plus petite, ses pouces toujours sur tes joues pour essayer de sécher tes larmes qui coulent toujours mais moins abondamment que les minutes précédentes. Doucement, tu secoues ta tête négativement, et tu le regardes à nouveau, vos visages tellement proches que ça en serait presque tentant, à un autre moment, dans d'autres circonstances ─dans une autre vie où t'es une Asia moins compliquée, peut-être, un peu plus entière ?

-T'as bien fait de partir pour tes études, tu murmures doucement. Tu méritais mieux que moisir ici avec un brouillon comme moi, et si j'te dis ça, c'est pour que tu sois conscient que t'es pas obligé de rester avec moi si tu veux pas. J'suis une grande fille, non ? J'm'en remettrai, tu dis avec un hochement positif.

Mais tu sais pas si tu t'en sortirais si Seth venait à te repousser. En fait là, c'est toi qui le repousses car t'as peur de le blesser, et plus que ça, t'as peur de ce que l'avenir te réserve pour lui. T'as peur de te retrouver totalement conne devant lui, trop amourachée pour être la Asia Harewood qu'il a toujours connu ─eh, ça se trouve tu vas ressembler à ta jumelle et t'en as pas envie. Mais tu veux savoir maintenant s'il compte rester ou pas, s'il compte te tenir la main jusqu'à te sortir la tête hors de l'eau, même si là, dans ta tête ça pense plus au peu de proximité entre vous deux et t'en perdrais presque tes moyens si tu savais pas te contrôler.

-Alors, on le fait ensemble ou pas ? Car j'en ai marre de penser gagner alors qu'en fait, j'suis en train de mourir, finis-tu par dire.

Tu réalises que, peut-être, tu n'aurais pas dû lui dire toutes ces choses. Tu es sans doute allé un peu loin, tu espères simplement qu'elle ne t'en tiendra pas rigueur... ou qu'elle te pardonnera, le cas contraire. Vous êtes si proches et pourtant tu as l'impression d'être à des années lumières d'elle, sans comprendre comment tout ça a pu arriver un jour, sans comprendre comment elle a pu croire que vous perdiez ce lien sous prétexte de la distance... et tu culpabilises. En fait, ta culpabilité n'a de cesse de grandir encore et encore.

Elle a beau te souffler que tu as bien fait d'aller faire tes études dans ton école, comme excusant cette distance qui t'a séparé de ta famille et des personnes que tu aimes pourtant de tout ton cœur, Asia la première, toi tu n'es pas d'accord. Tu te rends compte de tout ce que tu sembles avoir perdu tout ce temps, et tu ne peux t'empêcher de te prendre pour le responsable de toutes ces emmerdes, en fin de compte.

Ca te fait mal au cœur d'entendre ses paroles. Ca te fait d'autant plus de mal que tu te dis qu'elle n'arrive pas à comprendre que ce n'est pas ainsi que tu la vois. Tu ne la vois ni comme un chiffon, ni comme un brouillon... et encore moins comme quelque chose de moisi. Alors que toi, tu la vois comme une femme idéale... ta femme idéale, quelque part... mais tu chasses fatalement cette idée de ton esprit. Tu n'es peut-être pas assez bien pour elle si elle ne comprend pas que tu ne la vois pas comme la ratée qu'elle décrit sans cesse.

- C'est vrai. Tu es une grande fille. Et ta sœur me tuerait si j'en disais autrement. Mais moi, ça me convient de rester avec toi, vraiment. Tu la gardes dans tes bras un instant de plus, parfait moment, avant de la lâcher, à contrecœur. Je suis là, Asia. Tu peux compter sur moi. J'ai toujours été là, on s'est toujours aidés l'un l'autre à se relever quand on en avait besoin, ne compte pas sur moi pour rebrousser la route.

Tu te rapproches d'elle un petit peu. Tu as envie de lui dire tellement de chose, de lui faire sentir à quel point ton cœur bat pour elle, à quel point tu es prêt à la suivre coûte que coûte et quelque soit la destination de ce tortueux chemin. Au lieu de quoi, tu n'as peur que d'une chose : qu'elle se braque, qu'elle ne veuille plus de toi dans sa vie parce que tu serais allé un peu trop loin. Mais tout en toi demande à agir à l'unisson avec elle. Tu lui prends la main. Je suis là. Compte sur moi, quelque soit l'urgence ou le besoin. Je serai toujours là. D'accord ? Tu marques une pause avant de reprendre : Mais arrête de penser que tu vaux si peu, d'accord ? Un petit sourire sur ton visage, tu te veux rassurant. Mais ton cœur est serré de voir la mine peinée sur son visage.

Un sourire, mince mais c'est tout ce que tu peux faire, se glisse sur ton visage. Bien sûr qu'il a toujours été là, parfois, t'as même l'impression que vous êtes nés de la même étoile, car à tes côtés, c'est comme s'il n'y a toujours eu que lui, malgré les disputes, les moments de doute, les gamineries, à tes côtés t'as toujours pu voir Seth. Pourquoi est-ce que ça devrait changer ? T'en sais rien, t'as juste peur de tout ce que tu ignores encore à propos de toi. A propos de tes sentiments. Tu t'es tellement enterrée et perdue, qu'à présent, tu dois te ressaisir et bordel c'est dur, mais peut-être que ça ira mieux avec lui à tes côtés. Après tout, il te reste quoi comme option, à part lui ? T'as trop tenté pour te rater encore une fois, car ça pourrait être la dernière.

-Et bien, j'imagine que les losers restent ensemble, tu murmures doucement avec un sourire un peu plus large.

Car il y avait ce temps où vous vous retrouviez toujours, peu importe les bagarres, à vous battre contre les autres pour vous deux. Vous vous êtes toujours sauvés la peau et une part de toi est soulagée de constater que c'est toujours le cas, et t'en pleurerais presque de joie, si t'étais pas autant fatiguée de pleurer pour un rien. T'étais pas comme ça avant, Asia ! Mais avant t'avais encore des rêves, une jambe à 100% disponible, et pas autant de problèmes. Grandir, c'était vraiment un piège. Ta main dans la sienne te rassure, même si un bref frisson parcourt tout ton corps et tu caches ça du mieux que tu peux, haussant doucement les épaules à la fin de ses paroles.

-Et un jour je serai peut-être quelqu'un du matin, tu rajoutes avec toute l'ironie du monde en enlevant doucement ta main, fourrant les deux dans les poches de ta veste après avoir vérifié ton téléphone. Mais en attendant, j'ai des parents qui m'espionnent et qui ne veulent pas que je sois sans eux trop longtemps, alors je dois y aller. Je m'arrangerai pour passer bientôt, après tout la dernière fois ça a tellement bien fonctionné, tu dis en roulant des yeux.

Finalement, tu te mets sur la pointe des pieds et tu déposes un baiser sur la joue de Seth, lui offrant un doux sourire, avant de te diriger vers la sortie presque hâtivement, gênée par ce geste d'affection qui ne te ressemble pas. Et pourtant, t'as l'impression que c'était trop peu par rapport à ce que tu voulais, mais suffisant par rapport à tes capacités actuelles à exprimer ce que tu ressens. Oui, cette visite chez Seth était la meilleure idée que t'as eu depuis des années, et même ta mère ne comprend pas ce qui se passe quand elle te voit rentrer ainsi dans la voiture.

Asia représente tellement pour toi... Ca a toujours été le cas. Même quand tu criais haut et fort qu'Ava était ta meilleure amie. Tu as toujours eu ce lien particulier avec Asia qui, plus tard, s'est transformé en sentiments amoureux. Tu as toujours pensé que ce n'était pas pour rien si elle était avant ta complice pour chaque bêtise que vous pouviez faire. Et tu as toujours été là pour elle, comme elle l'a toujours été également pour toi.  Tes sourcils se réhaussent en une expression qui veut tout dire ou presque.

- Sous-entendrais-tu que je suis un loser ? Bien que ta fierté pourrait en prendre un sacré coup, tu sais très bien que tu aimerais entendre un "oui", de sa part. Ce qui te donnerait un petit et mince espoir de croire qu'elle tient à toi autant que tu tiens à elle. Peut-être pas de la même manière, et tu es prêt à l'accepter si tel est le cas, mais elle est trop importante à tes yeux pour que tu doives prendre de la distance.

Tu as envie qu'elle se sente en sécurité, à l'abri. Même si ce n'est pas avec toi. Pourtant, tu ressens une vague de chaleur en la voyant sourire, quelque part rassuré que toutes ces paroles que tu viens de dire ne la fassent pas fuir ou ne la braquent pas comme tu sais qu'elle sait si bien le faire.

Tu lui as dit ce que tu pensais, à elle d'en faire autant ou presque. Tu roules des yeux devant son ironie. Avec un peu de volonté, n'importe qui peu devenir "du matin". La preuve, tu l'as fait alors qu'il t'a longtemps été impossible d'être levé avant deux heures de l'après midi. Tu restes pantois après le baiser qu'elle t'a laissé sur la joue. Ce n'est pas son genre d'agir de la sorte... mai tu sais aussi qu'Asia ne fait rien d'elle-même si elle n'en a pas envie et n'est pas contrainte. Alors, tu la laisses partir, un petit sourire stupide collé aux lèvres. Et c'est ainsi que tu fermes la porte derrière elle, retournant dans ta chambre pour t'affaler sur ton lit, l'esprit ailleurs, sans jamais que ce sourire ne disparaisse...

RAHLALAAAAA   Pardon pour cet affreux retard ma toute belle