Les yeux fixés dans le vide, les jambes repliées contre sa poitrine, elle tente de ressentir la sérénité de la pièce. Tout devrait la calmer et pourtant, elle se sent étouffer. La fenêtre ouverte devant elle laisser entrer un agréable courant d’air qui entremêlait doucement ses cheveux. Elle aimerait tant que son esprit soit aussi calme, mais il en est totalement le contraire. Dans sa tête, l’ouragan fait rage. Il s’y bouscule tant et tant d’idées, de sentiments, de souvenirs qu’elle aimerait tant comprendre. Rien n’y fait. Un soupir las s’échappe de ses lèvres, alors qu’elle regarde pour une énième fois son téléphone. Non rien. Bien sûr qu’il n’y a rien. Il l’a laissé tomber. Il ne compte pas revenir, mais elle s’accroche encore à un infime espoir qu’un jour, il reviendra. En attendant, ça lui fend le coeur. Personne ne le comprend de toute façon, parce que tout le monde la croit complètement folle. Massilia se sent dans cette minorité de gens opprimés que les autres respectent, mais sans plus. Elle n’a aucun doute vraiment sur ce que les gens pensent d’elle. Si d’ordinaire elle joue à l’autruche et s’efforce de faire comme si elle n’entendait strictement rien de blessant, à l’intérieur c’est une toute autre chose. Elle en veut au monde entier pour ce qui lui est arrivé, mais ne dit-on pas que rien n’arrive pour rien? La blonde en a simplement plus qu’assez de se faire prendre pour une conne. Elle ne l’est pas, elle est même brillante, mais les gens s’arrêtent à sa difficulté de langage. Jamais elle n’aurait cru que c’était une barrière si importante. Jamais elle n’aurait cru que ça lui serait arrivée à elle.

Fleuriste qu’elle est maintenant. Méchante chute à ce qu’on lui a dit, elle qui était promise à un avenir glorieux en biologie. Elle n’ose y penser, parce que de toute façon, même si elle tente de s’imaginer ce que serait sa réalité, la demoiselle ne s’en souvient pas. Tout reste obstinément bloqué derrière ce mur de brouillard. Peut-être est-ce beaucoup mieux ainsi. C’est ce qu’elle se dit pour se réconforter. Enfin… c’est toujours mieux que de se faire demander à toutes les semaines si elle a fait des progrès. Elle sait jusqu’au plus profond de son être que la famille est importante, mais elle lui est lourde à porter depuis deux ans. Sa carapace s’est formée petit à petit, mais elle n’est pas encore suffisamment rigide pour la protéger. La famille… Oui, elle adore la sienne. Ses parents tentent un peu tout ce qu’ils peuvent pour lui venir en aide, mais en même temps, comment est-ce possible d’aider une personne comme elle? Si les thérapeutes de toutes sortes n’y arrivent pas, à quoi bon mettre des milliers de dollars dans une rééducation impossible? Massilia émet un petit grognement en se relevant finalement du bord de sa fenêtre de chambre. Elle doit s’occuper en attendant que sa sœur arrive sinon elle va réellement devenir folle.

Karelle… Elle ne l’a pas facile elle non plus. Enfin, c’est ce qu’en déduit la blonde. Elle a vu la vidéo, sa sœur en est l’actrice principale. Massilia ne comprend pas pourquoi elle se donne ainsi en spectacle. Pourtant, ce ne semble pas être son style… Semble? Ouais, parce que sa mémoire refuse de lui dire exactement comment est sa sœur. Ses souvenirs ne veulent pas refaire surface alors que ça ne concerne même pas l’accident. C’est désespérant! Massilia y va donc avec les impressions qu’elle a de sa famille depuis quatre ans. Karelle n’aurait jamais fait ça… Elle le croyait difficilement et pourtant…. La vidéo ne pouvait pas vraiment être démentie. C’était beaucoup trop flagrant. Comment avait-elle pu s’adonner à des jeux pareils et à se faire filmer? Avait-elle été filmer contre son gré? Pourquoi avait-elle agi de la sorte? Pour attirer l’attention? Pour se croire cool avec ses amies? Les adolescents avaient de ses idées idiotes par moment… Probablement qu’elle en avait fait un tas de conneries elle aussi à l’âge de sa sœur, mais au moins, jamais elle ne s’était fait prendre… Pour tenter d’éclaircir tout ça, la blonde avait invité sa jeune sœur à venir chez elle. Sans aucune raison précise en fait. Massilia se sentait un peu seule malgré sa colocation. Ces gens, elle ne les connaissait que depuis quelques mois et d’autant plus que c’était difficile pour elle de nouer de nouvelles relations… avoir sa sœur à ses côtés l’espace de quelques heures lui ferait sans doute du bien! Oui! Elle l’espérait! Ça la changerait de ses idées moroses.

À partir de son téléphone, elle lance sa playlist avant de placer ce dernier dans la poche de son jean. Sans qu’elle ne le veuille vraiment, elle se met à sautiller dans plusieurs sens, imitant grossièrement une danse. Elle n’a jamais été la plus talentueuse dans ce domaine et ce n’était pas faute d’essayer. Elle est seule pour aujourd’hui dans l’appartement. Ses colocataires sont absents et c’est tant mieux. Elle les aime bien, mais pas de là les côtoyer intimement encore. C’est qu’elle a toujours été habituée de vivre dans sa maison avec son mari. Partager ainsi sa demeure avec deux presque inconnus, ça la rebute encore un peu. Elle s’habituera, elle le sait, mais en attendant que le tout roule sur des roulettes, Massilia semble être la sauvage de la bande. Elle saisit de nouveau son téléphone et regarde les différent contacts avant de prendre celui de Karelle. Hum… « Tu n’as qu’à entrer quand tu arriveras, c’est ouvert! » Elle le sait que ce n’est pas prudent, mais pourquoi craindrait-elle sa sœur? Elle retire le loquet de la porte et se dirige vers la cuisine se faire couler un café. Il est le milieu de la journée et alors? Elle a besoin de quelque chose pour réchauffer son âme. Surtout avant que Karelle n’arrive. Elle à l’habitude de tout cacher sous ce masque de joie, elle ne compte pas déroger à la règle. En attendant, tout ce qu’elle avait à faire c’était de tenter de danser le mieux possible sans tout casser et chanter les paroles de sa plus belle voix.

La musique résonne partout dans l’appartement, Massilia, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, continue de sauter, mais ses jambes commencent à fatiguer et son souffle s’emballe plus rapidement qu’elle ne l’aurait cru. Il faut qu’elle pense à se remettre à bouger, elle ne peut plus continuellement se cacher dans l’appartement à se morfondre de son divorce. Quoiqu’elle va beaucoup mieux qu’elle allait il y a de ça quelques semaines. C’est devenu beaucoup plus facile de cacher la vérité à tout le monde. Tout ça, ce n’est que le temps que son café soit prêt et ait commencé à refroidir sur le comptoir parce que le boire brûlant, ce n’est pas pour elle. À la limite, elle n’a que quelques minutes pour le boire avant qu’il ne soit trop froid. Mais ce n’est pas grave, elle le fait réchauffer pour ne pas le perdre, bien qu’il soit définitivement moins bon. De sa belle voix, elle hurle presque les paroles de Lollipop, la version d’Aqua. Massilia manque bien plusieurs couplets, parfois distraite dans d’autres paroles de la chanson et affirmant tout haut à sa playlist de chanter les bonnes paroles. Ce n’est pas de sa faute si la chanteuse se trompe dans ses paroles. Cette pensée lui arrache un rire cristallin pendant qu’elle se lance de nouveau vers son café pour souffler dessus.

C’est la quatrième fois que son souffle sort de ses poumons. Elle n’est pas complètement débile la blonde, seulement, elle s’occupe en attendant sa plus jeune sœur. Dans sa tête, tout tourne à une vitesse folle, cherchant une façon acceptable d’aborder un sujet qui sera probablement difficile. Bien que très près de sa fratrie, Massilia et Karelle sont celles qui ont le plus d’écart entre elles. Depuis nombre d’années que Massi a quitté la demeure familiale, faisant en sorte que les contacts étaient fort moins nombreux malgré toute sa bonne volonté. Bien sûr, elle n’était pas sans ignorer que sa sœur aussi avait quitté le nid, mais depuis moins longtemps. Son surnom résonne dans l’appartement où sa musique joue un peu trop fort. Massilia était en train d’inspirer pour lâcher une nouvelle bouffée d’air sur sa boisson. Stoppant son activité, s’armant d’un immense sourire, la blonde fonce vers la porte pour y accueillir la benjamine. « Kari! » La joie de voir sa sœur est presque palpable. Depuis son divorce et son déménagement, il faut dire que la plus vieille n’a pas tenté plus qu’il ne le faut d’entrer en contact avec sa famille, préférant vivre son deuil dans son coin sans agacer tout le monde. C’est qu’elle a l’habitude d’être pimpante, pleine de vie. Faut dire qu’elle se sentait beaucoup trop misérable pour tous les voir. « Comment vas-tu? Elle est vraiiiiiiiment contente de te voir! T’es toujours plus belle à chaque fois qu’elle te voit! C’est injuste! » Une mine amusée se peint sur son visage. « Vient entre! Reste pas planté dans le cadre de porte! Tu veux un café? Elle vient de s’en faire un! Ou autre chose? Comme tu veux! » Massilia se sent presque comme une petite fille à Noël. Elle se sait qu’elle a toujours été un peu intense, mais ce n’est pas de sa faute et ce comportement est amplifié par son amnésie. Elle dit que comme ça, elle masque un fait qu’elle n’est plus tout à fait comme tout le monde… que son handicap compte moins parce que oui, malgré tout, au fin fond d’elle-même, Massilia a peur du jugement de sa famille, bien que tout ça ne soit pas de sa faute. Personne ne semble vraiment s’habituer à son langage.