In restless dreams I walked alone

Ronald & Will

☾☾ Il fait nuit noire, il n’y a presque aucun bruit dehors, mais Will n’arrive pas à dormir. Ses muscles sont encore douloureux de la nuit qu’il a passé avec Aiden deux jours plus tôt et son crâne toujours rempli des paroles acerbes du soldat qui résonnent trop bien dans son coeur. Il se sent toujours un peu pitoyable, peut-être même plus qu’avant sa rencontre avec l’homme, mais son ego guérit doucement alors il ne l’appelle pas, ce soir. Mais rester allongé dans le noir avec ses pensées commence à le mettre de très mauvaise humeur.

Il se lève de son lit un peu brusquement, enfile un jeans sombre, un t-shirt froissé et ses rangers. Il a seulement besoin de prendre un peu l’air. Peut-être de boire un verre, trouver un homme à ramener chez lui, un truc à faire pour ne pas penser et ne pas penser à Aiden, surtout… Il quitte son appartement en ne prenant rien d’autre que ses clés et sa carte bancaire. Il fait vraiment chaud dehors et, comme d’habitude, le temps est lourd et humide au point de lui faire regretter de nouveau la Californie, où les nuits fraîches vous font oublier le climat désertique des après-midi. Il avance au hasard dans les rues du Quartier Français, passe devant de nombreux bars où, malgré l’heure tardive, la foule s’excite encore avec un verre à la main. Mais aucun ne lui donne envie de s’arrêter pour un verre, alors il continue sa errance hasardeuse, s’arrête dans un liquor strore pour s’acheter une bouteille de bourbon, passe devant la Cathédrale Saint Louis et traverse Jackson Square jusqu’à la rivière.

L’humidité semble encore pire sur les rives du Mississippi, mais ça n’a pas l’air de déranger la petite foule qui s’y presse pour partager des bières et rire entre amis. Cela rend Will encore un peu plus bougon. Au prix d’un immense effort, il trouve malgré tout un banc encore libre qui lui offre une vue imprenable sur l’eau trop calme de la rivière. Tout autour de lui, rires et musique flottent dans l’air. Il ouvre sa bouteille et s’offre une rasade d’alcool, puis ferme les yeux et écoute la vie à laquelle il n’arrive plus à appartenir, ces temps-ci. La déprime l’ennuie, l’agace. Il a besoin de passer un bon moment. Il veut rire à gorge déployée comme tous les gens autour de lui, boire jusqu’à oublier qu’il déteste le reflet qu’il voit dans le miroir chaque matin, tomber amoureux d’un homme qui ne lui donnera pas l’impression de valoir moins que rien. Il serre les paupières encore un peu plus fort et se concentre de toutes ses forces sur le bruit, jusqu’à ce qu’aucune autre pensée n’arrive à l’envahir. Quelqu’un s'assoit sur le banc près de lui, le faisant sursauter et rouvrir les yeux brusquement. C’est un homme. Pas forcément son genre. Mais c’est quelqu’un qu’il ne connaît pas, quelqu’un qui ne le déteste pas encore… “Hey !” salut-il, sa voix juste assez forte pour être entendue par dessus les bruits environnants. Il ne sait pas encore ce qu’il espère, mais l’occasion semble aussi bonne qu’une autre pour essayer, juste une fois, d’être “normal”... “T’as soif ?” demande-t-il en tendant vaguement sa bouteille vers l’inconnu. Il n’est pas sûr que ce soit le meilleur moyen d’entamer la conversation et de s’en tenir à son plan d’être sympathique pour changer, mais qu’y a-t-il de mieux qu’un verre pour briser la glace ?

In restless dreams I walked alone

Ronald & Will

☾☾ L’homme répond. Un seul mot suffit pour informer Will qu’il vient de se trouver un compagnon tout aussi joyeux que lui. La nuit rassemble peut-être les âmes errantes, après tout. Il espérait un moyen de se changer les idées, de ressentir quelque chose de positif et ça semble mal parti, mais après tout… Se préoccuper du malheur des autres, c’est une bonne façon d’oublier le sien, non ? Alors, il le laisse prendre la bouteille et profite que l’inconnu soit occupé à avaler une gorgée de bourbon pour observer son visage avec un peu plus d’attention. Il a les traits d’un homme entre deux âges. Pas jeune, pas vieux, mais usé peut-être ? Fatigué. D’un autre côté, ne l’est-on pas obligatoirement quand on traîne seul dans les rues au milieu de la nuit ? Will l’est, en tout cas. Et il se demande : est-ce qu’on voit dans les cernes sous ses yeux, dans la barbe de trois jours qui fleurit sur son menton, dans ses cheveux en bataille et ses vêtements froissés, qu’il est complètement perdu, épuisé ? Il passe une main dans sa tignasse, dans le vain espoir de remettre un peu d’ordre dans les boucles noires, ne faisant que les emmêler un peu plus. L’homme lui rend la bouteille, le remercie. Il ne se fait pas prier pour avaler une autre rasade d’alcool, avant de la poser entre eux sur le banc.

Un petit rire, à peine audible, le secoue à la remarque de l’inconnu. “Chaud ?” répète-t-il, son ton vaguement amusé. “On étouffe.” corrige-t-il. Il étouffe, en tout cas. Il manque d’air, mais de là à savoir si ça vient du climat ou de ses démons personnels, c’est une autre question qu’il n’a pas trop envie de se poser pour le moment. Hélas, il n’est pas homme à parler météo non plus et maintenant qu’il a ouvert la conversation tout seul, comme un grand, c’est un peu bizarre d’abandonner comme ça. Surtout qu’il n’a pas l’intention de laisser son banc à ce type pour l’instant et il les imagine mal restés assis côte à côte sans dire un mot, maintenant. “Je pensais être le seul idiot à venir tout seul à une petite fête sur les rives.” lance-t-il en faisant un genre de signe du menton, comme pour désigner tous les petits groupes survoltés autour d’eux, la musique, les rires, les conversations trop fortes et l’alcool dans toutes les mains. Il voit d’autres groupes plus réduits, deux, parfois trois personnes seulement, mais personne qui ne semble esseulé dans les environs. Personne comme lui, comme eux. Quoi qu’ils sont pratiquement ensemble maintenant, non ? Pour les yeux d’un ignorant, ils partagent le même banc, la même bouteille et même quelques mots. Il se demande combien d’autres gens, ici, se sentent seuls malgré leur compagnie. Combien arrivent à cacher la vérité derrière un éclat de rire. Will se demande toujours beaucoup trop de choses, c’est bien là qu’est son malheur.

Il chasse quand même les questions qui tournent dans son crâne et regarde l’homme assis près de lui. “Tu as perdu le reste de ta bande ou tu es plutôt le genre solitaire, alors ?” demande-t-il, poursuivant la conversation comme s’il ne s’était jamais interrompu. Tout à coup, c’est presque comme un test qu’il fait passer à cet étranger, un test dont le sujet n’a pas été informé. Il espère que la réponse sera à la hauteur, lui donnera envie de poursuivre plus loin, plutôt que de rentrer chez lui à se poser mille questions. “Je m’appelle Will, au fait.” ajoute-t-il en tendant une main vers l’homme. Il a déjà offert son alcool, son intérêt, alors pourquoi pas un morceau de son identité ? On ne se fait jamais d’amis de cette façon, à part peut-être dans les films et Will est certain qu’ils ne sont pas au cinéma, sinon il aurait depuis longtemps eu droit à son grand moment. À moins, bien sûr, qu’il ne soit pas le héros de cette histoire ? C’est impensable. Mais tout va tellement de travers pour lui, en ce moment, alors pourquoi toutes ces choses étranges ne pourraient pas finalement lui apporter quelque chose de bien ?