ake avait passé une semaine assez fatigante. Il avait eu de tous les côtés des demandes de sa famille pour se motiver. Le lundi avec son père. Le mardi, avec son ainée. Le mercredi avec sa cadette, le jeudi avec sa mère, et le vendredi avec sa chérie. En sachant, qu'un soir sur deux, il allait au kiné du coin pour essayer de ne pas laisser ses jambes s'engourdir. Il avait besoin de repos. Mais c'était sans compter sur les séances de rééducations du week-end. Il devait y aller pour essayer de marcher. Le fauteuil, ce n’était vraiment pas pour lui. Du coup, la seule solution qu'il lui restait, c'était de se battre. Les médecins étaient sceptiques, ils ne savaient même pas déterminer la possibilité de retrouver l'usage de ses jambes. Mais Jake avait besoin d'y croire. Besoin d'en rêver. Besoin d'oser, et de se battre. Pas que pour lui, mais aussi pour que sa famille arrête de n'avoir de cesse de s’inquiéter, encore et encore pour lui. Pour qu'ils recommencent tous à vivre. Parce que d'être considéré comme un handicapé, et de lire la tristesse et la pitié pour lui, parce qu'il avait perdu ses rêves, mais aussi de les avoir vus abandonner les leurs, c'était encore pire que d'être prisonnier de ce fauteuil. Alors, dès qu’il avait une séance à l’hôpital, il s’y rendait. Il n’avait encore dit à personne d’autre que Jen, sa petite sœur, qu’il commençait à voir des résultats. Oui, Jake arrivait à bouger ses jambes. Bon, elles n’étaient pas encore assez musclées pour le soutenir, et lui permettre de se déplacer. Mais à force de volonté, mais surtout de fatigue dans ses bras, qui le soutenaient, en appuyant sur les barres qui l’encadraient quand il essayait de marcher et de ne pas tomber, il avait pu voir le début d’un résultat pointer le bout de son nez. Alors, il avait été remotivé, et un élan d’espoir s’était emparé de lui. Peut-être un espoir fou, et qu’il resterait à jamais lui, Jake le mec qui ne pouvait pas bouger. Ou peut-être que non. Peut-être qu’il pourrait un jour recommencer à se déplacer. Et à faire du sport. Certes, il doutait du sport de compétition, ce serait inné de pouvoir en pratiquer à nouveau. Mais est-ce qu’il en avait vraiment envie ? Il avait toujours pratiqué le foot de niveau avec son « meilleur » ami, Alexander. Alexander qui avait avoué avoir couché avec Jen. Alors qu’il protégeait du mieux qu’il le pouvait sa sœur, il n’avait pas su empêcher le loup que son meilleur ami était de se jeter sur la vulnérable Jen. Jake l’avait toujours vue comme une poupée en porcelaine qu’il fallait protéger. Ce qu’il ne savait pas, c’était que Jen n’était pas forcément de cette trempe là. Enfin, peut-être qu’au fond de lui, il le savait. Mais il ne souhaitait pas le réaliser.
Quoi qu’il en fût, Jake ne savait pas vraiment s’il souhaitait reprendre le sport de compétition, si ça lui était permis, un beau jour. Il avait toujours été habitué à jouer avec Alexander. Mais il ne savait plus s’il serait capable d’être partenaire du jeune homme. Il l’appréciait, et il se sentait trahi. Il serait prêt à pardonner. Mais oublier, c’était une toute autre chose. Non, c’était bien plus compliqué, en fait.
Alors qu’il pensait à tout ça, Jake soupira. Le taxi était arrivé devant l’hôpital. Il allait devoir descendre, et se rendre à l’étage. Après que le chauffeur n’ait sorti son fauteuil, Jake le remercia, et s’y installa, commençant à le faire rouler jusqu’à l’entrée, avant d’aller attendre l’ascenseur pour monter au troisième étage, où se trouvait la salle où il faisait la rééducation.

a réponse était non. Non, il ne pourrait pas reprendre le foot.

Ce n’était pas exactement ce que lui avait dit le médecin, évidemment. Non, le médecin, lui, avait dit « on verra bien. ». Mais les médecins s’expriment comme des femmes, au final ; et les « on verra » sont toujours très loin de signifier une possibilité, dans leur langue. Non seulement la rotule n’était pas encore totalement ressoudée, mais ses ligaments croisés étaient toujours trop lâches – c’était trop risqué, il pouvait se les léser ou se démettre la rotule à nouveau à n’importe quel moment. Il faudrait un an, deux sûrement, avant de pouvoir espérer courir sur un terrain. Il aurait alors 26 ans et serait une véritable bombe à retardement médicale. Quelle équipe voudrait de lui dans ces conditions ?

Alexander passa le doigt sur la radio, suivant lentement le cercle clair que dessinait la broche dans sa rotule. Et puis, dans un soupir, il la glissa dans l’immense pochette jaune qu’on lui avait donnée. La vie était cruelle, parfois. Il avait toujours ce petit sourire indifférent, comme si rien ne l’atteignait ni n’avait la moindre importance, mais le fait qu’il prévoyait de passer la soirée à regarder les vidéos de ses anciens matchs tout en rageant sur le nombre de followers qu’il avait encore perdu sur twitter indiquait probablement le contraire.

Il jeta un œil aux numéros lumineux au-dessus de la porte de l’ascenseur, constatant qu’il arrivait au rez-de-chaussée. Réajustant la bandoulière de sac sur son épaule, il se prépara à se précipiter hors de l’ascenseur dès l’ouverture des portes. Il était en retard, il n’avait plus qu’à courir pour attraper son bus ; sauf qu’apparemment, le destin avait d’autres projets pour lui.

« Jake ?! » Depuis le temps qu’il espérait revoir son pote, il aurait probablement dû être fou de joie. Sauf que le voir en fauteuil lui fit l’effet d’un coup de poing au ventre, et croiser son regard lui rappela douloureusement leur dernière conversation. Il se balança d’un pied sur l’autre, ne sachant pas vraiment quoi faire. Il avait envie de lui donner une tape amicale sur l’épaule, mais le fauteuil le bloquait. Oh, il était au courant depuis longtemps, pourtant, mais à l’évidence, il y avait un véritable fossé entre savoir et voir. Et puis, il connaissait son pote ; il détestait sûrement qu’une vieille connaissance le voie dans cet état – trop de fierté. En y pensant, Alexander était peut-être même la dernière personne qu’il voulait voir en ce monde.

« Attends, je te fais monter ! » Sans se soucier d’attendre une quelconque réponse, il lui lança sa pochette de radios sur ses genoux, contourna le fauteuil et attrapa les poignées, le poussant sans ménagement dans l’ascenseur. Il avait vaguement conscience d’être potentiellement en train d’empirer les choses ; mais Jake ne lui avait jamais donné l’opportunité de s’expliquer, et il comptait bien la saisir coûte que coûte.

Ouais, coûte que coûte - mais peut-être pas tout de suite. Une anxiété qu’il connaissait mal lui enserra la gorge, et alors que les lourdes portes se refermèrent derrière eux, il fut incapable de trouver par quoi commencer. « Tu vas à quel étage ? » Une banalité. Il retrouvait son meilleur pote après tant de temps, et il ne savait que lui sortir une saloperie de banalité, comme s’ils n’étaient que de simples inconnus.

ascenceur de l'hôpital n'était vraiment pas le préféré de Jake. Souvent plein de monde, et bien trop rapide. Enfin, dans un autre sens, il n'avait pas vraiment le choix. L'usage de ses jambes était tel qu'il n'avait comme option que l'ascenseur sauf s'il souhaitait ramper dans les escaliers jusqu'au sixième étage, en tirant la chaise roulante avec lui. Le jeune homme attendait que l'engin ait fini de descendre, regardant les chiffres danser, affirmant qu'il se rapprochait de lui, et qu'il n'aurait bientôt plus qu'à monter. C'était étrange. Si les séances de rééducation étaient pour lui une bouffée d'espoir, se disant qu'il pourrait bientôt revenir en étant sur ses pieds, c'était également une source incroyable de stress et de détresse. Et si le docteur lui disait au bout d'un moment que ça ne servait plus à rien d'essayer, que désormais, il serait à jamais bloqué en posture assis pour passer la journée ? Déjà que c'était assez difficile comme ça, d'autant qu'il avait l'impression que son corps s'engoudissait, il suffisait de lui dire que cette sensation risquait d'arriver toute sa vie pour mettre le jeune homme au fond du trou.
En un soupir, il vit qu'il ne restait plus qu'un étage, se disant que l'heure de sa déchéance arrivait peut-être. Mais cette pensée fut chassée par l'appel de son nom par une voix qu'il ne connaissait que trop bien. Alexander. Ils ne s'étaient pas parlés depuis l'accident. Alex avait fait l'irréparable : il avait touché à sa soeur, et pas pour finir avec elle ne serait-ce qu'un moment, mais juste comme ça, pour s'amuser. Et il l'avait royalement envoyé bouler après ça. Il s'en voulait, mais il lui en voulait également, ce qui faisait que c'était plus facile de se pardonner et ne pas penser à la façon dont il l'avait envoyé pêtre. Alors le revoir était assez compliqué, et se savoir en fauteuil roulant encore pendant qu'ils se revoyaient, ça n'apportait guère de bons souvenirs ou de bons sentiments. Pas forcément vis à vis de lui, mais aussi vis à vis de sa condition actuelle. Salut Alexander le saluait-il d'un air maussade, tandis que l'ascensceur arrivait. Il fallait qu'ils se retrouvent à l'hôpital, quelle joie. Quand les portes s'ouvrirent, il ne lui laissa pas le choix après avoir affirmer ce qu'il souhaitait faire : l'aider à monter. Au début, Jake avait été un peu exaspéré. Il était déjà assez peu mobile comme ça, pas la peine de l'assister plus. Mais après coup, il s'était dit qu'il souhaitait juste l'aider, et que ça n'était nullement fait à son désavantage, au contraire. Merci. lui dit-il en le regardant. Il ne lui était jamais apparu être aussi grand qu'à ce moment là. Encore, c'était parce qu'il était assis, et que son ami, quant à lui était debout, mais il se rendait enfin compte qu'il avait passé des années à se moquer de la taille d'Alex, alors qu'il était désormais assez grand pour pouvoir contrer toute sorte de remarque déplaisante. Alors qu'Alexander lui demandait à quel étage il s'arrêtait, Jake pu remarquer que ce jour-là, pour une fois, il n'y avait personne dans l'ascenseur, eux mis à part. C'était à la fois une bonne chose et à la fois pas. Parce qu'ils pouvaient parler, mais aussi parce que du coup, s'ils n'arrivaient pas à trouver les mots, la conversation tournerait de façon assez déplaisante. Au sixième ! dit-il, ne trouvant pas plus de choses à dire pendant ce court voyage. Pour Jake, c'était à Alexander de parler et pas l'inverse. Fierté ou non, ça pouvait peut-êtrre finir par porter un point à leur amitié. Ou au contraire, allonger le malaise entre les deux.