Dans ce genre de moment, on ne sait plus du tout quoi faire. On ose ni bouger, ni laisser paraître une quelconque expression sur son visage, on se contente de rester stoïque. Sauf que parfois, rester stoïque n’est pas la meilleure des solutions. Devin était debout contre la porte, la paume de sa main valide pressée contre la brûlure sur son autre main, les pieds cloués au sol et le regard perdu droit devant lui, en l’occurrence sur la jeune femme. Il aurait voulu ressortir tout de suite ou au moins baisser les yeux mais on aurait dit qu’une force surhumaine le forçait à regarder. Enfin, ‘‘forcer’’ était un bien grand mot car il fallait être honnête, c’était loin d’être un déplaisir. Il était tellement plongé dans sa contemplation qu’il en oublia même la douleur pendant un petit moment. Il savait que la belle rousse avait de jolies formes bien dessinées mais il avait là tout le loisir de s’en rendre compte. Et pendant un instant il s’estima heureux. Quand bien même il était déplacé de penser de la sorte, il s’estima heureux que le corps d’une aussi belle jeune femme lui appartienne. Il resta là à la fixer un long moment, assez longtemps pour qu’elle rougisse comme une pivoine et qu’elle s’enroule dans sa serviette. C’est seulement à cet instant que l’anglais réalisa qu’il était temps qu’il s’en remette et qu’il arrête de passer pour un vrai pervers. Il fallait dire que s’il respectait Keo pour attendre, il n’en restait pas moins un homme avec des envies et il avait déjà pris sur soi beaucoup de fois. Mais elle souhaitait que le divorce soit prononcé pour se lancer et il allait donc s’y tenir.

Devin se décala légèrement pour laisser la belle devant la glace et se mit alors dos à elle pour fouiller ses armoires à la recherche d’une crème. La voix de Keo brisa le silence gênant qui s’était installé et il haussa un sourcil en l’entendant parler d’un accident de voiture qu’elle avait eu. Il s’apprêta à demander plus de détail mais elle venait de s’apercevoir de la brulure sur sa main et bien sûr, elle le questionna à ce propos. Il ne comprenait pas vraiment ce soudain changement de sujet mais ne chercha pas plus loin, pas après ce qu’il venait de se passer. Il était clair que la jeune femme essayait comme elle pouvait de passer au dessus de ce moment embarrassant et ça l’arrangeait bien de suivre le mouvement. « Rien, ne t’inquiète pas. Le four en a après moi depuis que j’ai emménagé ici, rien de grave. » Le pot de crème enfin en main, l’anglais fit un pas vers la porte sans porter un autre regard sur Keo. Non pas qu’il était pressé de partir mais il pouvait aisément voir le malaise à travers les expressions de la belle et il ne souhaitait pas la gêner davantage. « Bon… On t’attend pour la pizza. »

Lorsqu’il revint dans le salon, sa fille était déjà en train de mettre le dvd en route et de préparer la table du salon pour cette soirée en petit comité. Sans nul doute qu’elle allait se cacher sous la couverture dès les premières minutes du film mais il la laissait faire. Parfois il était bon de se faire peur soi-même pour instaurer une limite. Emily voulait faire la grande, elle risquait d’être surprise. Déposant une noisette de crème sur sa main, Devin interrogea sa fille. « Alors… C’était bien chez Keo ? » Trop occupée à faire défiler le menu du dvd, Emily ne lui adressa pas le moindre regard. « Ouais, c’était cool. » Cette petite ressemblait de plus en plus à sa mère, c’était une évidence. Il s’en rendait surtout compte lorsqu’elle prenait certains airs, comme celui qu’elle avait juste à cet instant, alors qu’elle tentait de visionner le ‘behind the scene’ du film. L’anglais écrasa la pointe de crème sur sa main et l’étala du bout de l’index, sans quitter son enfant du regard. « Vous avez encore parlé de moi ? » La petite fille détourna ses yeux de l’écran pour lancer à son père un regard qui en disait long. « On parle pas tout le temps de toi, tu sais ? » En clair, il n’aurait aucune réponse de sa fille à ce sujet, surtout maintenant qu’elle était devenue la nouvelle grande amie de Keo.

Si un secret devrait être tenu entre les deux filles, Devin n’en saurait rien. En revanche, tout ce qu’il se passait ici finirait par arriver aux oreilles de Mary. A croire que sa fille voulait lui faire payer ses actions passées ; c’était non-négligeable après tout, Emily n’avait eu aucune réaction suite au départ de son père, il fallait bien que ça arrive à un moment. Les enfants étaient toujours plus ou moins touchés par le départ d’un des deux parents dans le divorce. A l’apparition de Keo, cette dernière fut prise en otage par la blondinette qui l’attira jusqu’au canapé pour qu’elles s’y installent toutes les deux. Pendant ce temps, Devin était tenu de surveiller la pizza au four comme le père modèle lors de la soirée pyjama de sa fille. C’était à peine s’il osait venir s’asseoir avec elles pour regarder le film. Lorsqu’enfin il fut autorisé à apporter le plat, il eut la joie de se voir réservé la partie droite du fauteuil. Mais le plus marrant était sûrement le fait que son enfant se retrouvait assise entre lui et Keo, empêchant ainsi le moindre rapprochement des deux adultes. Pendant un moment, le regard de Devin allait de sa fille à l’écran, s’attendant à ce qu’elle couvre ses yeux avec le coussin mais rien. La blonde resta impassible tout le long du film, tout comme la rouquine que l’anglais avait seulement le droit de regarder. Même sa main tendue reposant sur le dossier du canapé ne parvenait pas jusqu’à elle.