Quelques jours s’étaient écoulés depuis l’accord qu’elle avait passé avec Alexander. Elle en avait profité pour aller se chercher une tenue de sport adéquate pour un sport de combat. Parce que le mini-short et la brassière, c’était bien beau pour aller faire un tour de parc dans la chaleur de la Nouvelle-Orléans, mais pour aller apprendre à se défendre… non, vraiment pas. Surtout pas avec un homme qui ne laissait visiblement pas indifférente. Elle avait eu plusieurs cours avec ce cher monsieur Telford depuis, et elle se rendait bien compte qu’il y avait quelque chose. Elle ne savait pas quoi, elle ne savait pas quel mot poser sur ce qu’elle ressentait, mais elle ne pouvait plus se voiler la face et juste se dire que c’était quelque chose d’intéressant. Non, c’était plus.

Mais aujourd’hui, elle n’allait pas avoir le temps de réfléchir pendant des heures à cette question. Ses cours finirent assez tard et elle eut juste le temps de repasser chez elle se changer et prendre un sac avec une bouteille d’eau et une veste avant de repartir, direction la maison d’Alexander. Il l’avait contacté plus tôt dans la semaine pour lui proposer un entraînement ce soir-là. Elle appréhendait un peu, parce qu’elle avait vraiment une forme physique de mollusque. Si en temps normal, elle portait des vêtements assez amples qui masquaient plutôt bien sa minceur, ses nouveaux leggings et t-shirt lui collaient à la peau. Elle n’était pas très à l’aise dans cette tenue, mais elle allait faire un effort.

Alexander n’habitait en réalité qu’à quelques maisons de chez elle. Bon à savoir, elle pourrait facilement le surveiller, l’air de rien. Elle finit par frapper à la porte de la petite maison. Quand il ouvrit, elle réussit à lui faire un sourire un peu détendu.

« Bonsoir ! J’espère que vous êtes toujours partant… »

Elle ne s’attendait absolument pas à ce qu’Alexander lui ouvre la porte en étant torse nu et elle dut se concentrer pour regarder son visage et pour que ses yeux ne vagabondent pas sur les multiples tatouages qui lui recouvraient la peau (les tatouages étant clairement une excuse pour tout simplement regarder ce cœur qu’elle trouvait plutôt bien taillé…).

« Toujours partante ! Non, j’en ai pas peur du tout, je les aime beaucoup. »

Elle ne tarda pas à faire la connaissance avec Hulk. Il était massif, mais ça avait l’air d’être un gentil tout de même. Elle posa tout de même son sac sur la table en faisant attention à ce que le chien ne puisse pas l’attraper. Elle regardait discrètement la maison. Elle trouvait que les intérieurs étaient toujours représentatifs des personnes qui y vivaient. Il suffisait de voir son appartement pour comprendre qu’il appartenait à une jeune artiste probablement un peu déséquilibré.

« Vous étiez en train de faire de la mécanique ? »

Elle avait remarqué les traces de cambouis qui se trouvaient encore sur ses mains. Elle-même n’y connaissait pas grand-chose. Elle n’avait même pas passé son permis… Elle n’en voyait pas l’intérêt. Elle préférait se déplacer à pied ou en transport. Voir les autres ou le monde qui l’entoure, ce qui l’inspirait parfois pour des dessins. Mais bizarrement, vu le style de son professeur, ça ne l’étonnerait pas qu’il soit un féru de mécanique… Enfin, elle allait faire attention, parce que si elle commençait à lui poser toutes les questions qui lui passaient par la tête…

Alexander s'éclipsa pour aller enfiler un t-shirt et Roxane ne savait pas si elle devait être soulagée parce qu'elle allait ainsi eviter d'avoir le regard un peu trop bas, ou déçue, même si ce n'était clairement pas raisonnable.

« Ah, vous la réparez, carrément ? Vous devez vous y connaître... Absolument pas, je ne suis pas très manuelle en dehors du dessin. Mais j'aime bien les motos. Peut-être qu'un jour, je me déciderai à passer mon permis. »

Mais tiens, c'est qu'elle se montrait beaucoup plus loquace quand ils n'étaient que tous les deux que quand elle était en cours. Mais ça, ça n'avait rien à voir avec le fait que son interlocuteur était un homme qui commençait à lui plaire, c'est surtout qu'en tête-à-tête, elle avait tout de suite moins de mal à parler.

« On peut commencer tout de suite, vous m'offrirez quelque chose à boire quand je serai desséchée sur votre sol. »

Elle sentait que ça allait être bien dur... Elle avait beau avoir toujours vécu à la Nouvelle-Orléans, le climat restait rude. Et encore, c'était l'hiver, si on pouvait appeler ça comme ça. Elle vit le chien lorgner sur son sac et réussit à l'attraper avant lui.

« Mmh j'espère que son nom ne reflète pas son caractère... »

Non parce qu'il se transformait en enragé quand il était contrarié, elle risquait de vite s'enfuir. Roxane avait facilement peur des gros chiens un peu agressifs. Mais en tout cas, elle avait hâte de commencer cet entraînement et de voir ce que ça donnait. Elle restait quelqu'un de très curieux par nature, toujours prête à tenter de nouvelles choses...

« Ouais, je vois ce que vous voulez dire, ça doit être une sensation incroyable... Oh vous savez, pas le temps, pas l'argent. Mais c'est vrai que ça serait bien, ça me permettrait d'être autonome. »

Pour l'instant, elle n'en avait pas besoin car elle ne sortait pas de la Nouvelle-Orléans. Mais à la fin de l'année, elle serait diplômée et elle devrait peut-être alors aller voir un peu plus loin que sa ville. A la blague certes très spéciale de son professeur, elle rit doucement. Roxane était elle-même particulière, alors elle aimait bien ce jour d'humour un peu noir.

« En plus, je suis pas grosse, vous auriez encore la place de mettre le reste de votre nourriture. »

Ah. Son chien semblait être un sacré élément tout de même. Elle n'aimerait pas devoir le garder... Ce devait être un enfer. Ne plus oser le quitter des yeux au cas où il détruise tout. Elle suivit son professeur dehors, impatiente de commencer.

« J'attends vos ordres, chef. »

Elle se rendait compte qu'elle était peut-être un peu trop familière. Elle avait encore du mal à juger jusqu'où elle pouvait aller avec lui. Elle n'arrivait pas à le décerner. Alors elle se reprit presque tout de suite :

« Pardon. Je voulais dire monsieur. Telford. »

En espérant qu'il n'allait pas lui faire une remarque... Ce serait bien mal débuter la séance. Mais en même temps, ils n'étaient pas à l'université, alors elle était obligée de faire preuve de ce respect soumis que le corps professoral imposait ? Que c'était compliqué...

Ca, elle n’en était pas sûre. Artiste n’était pas un métier qui payait extrêmement bien, à moins d’être bien connu. Mais elle ne perdait pas l’espoir d’économiser suffisamment un jour pour pouvoir se le payer. Elle ne dit rien quand il parla de prison, mais cela confirma les rumeurs qu’elle avait entendues à son sujet. Il avait bien passé du temps à l’ombre… Elle serait bien curieuse de savoir pourquoi, mais ce n’était clairement pas le bon moment.

Ils finirent par se retrouver dans le jardin. Elle n’eut cette fois aucune réaction physique quand il la toucha, même si son cœur battit un peu plus fort. Elle était très sensible au toucher et avait d’ailleurs du mal avec ça. Elle ne supportait pas qu’un inconnu ne fasse que l’effleurer. Mais lui… elle n’avait aucun problème. C’était ce qu’il lui faisait penser qu’il n’était pas qu’un intérêt passager… Elle se plaça comme il lui demanda. Elle hocha la tête, les sourcils légèrement froncés car elle se concentrait pour retenir les informations.

« Compris. Et promis, je vais essayer de pas vous castrer. »

Elle aimerait bien que sa relation avec son professeur reste au beau fixe… Ce qui ne risquait pas d’arriver si elle le privait de sa virilité. Quand il lui dit le mouvement qu’il allait lui apprendre, elle eut un doute. Est-ce que c’était vraiment une bonne idée finalement, tout ça ? Parce que quand elle regardait les mains de son professeur, elle voyait d’énormes paluches capables de la briser sans effort… Elle était sûre qu’il pouvait faire le tour de son bras avec deux doigts. Mais elle ne montra rien (ne venait-il pas de lui dire de dissimuler sa peur ?).

« Très bien, comment on fait alors ? »

Elle fit ce qu’il lui disait, comprenant rapidement où il voulait en venir. Elle ne résistait pas du tout dans ses mouvements pour éviter de se blesser. Ses mains étaient ses outils de travail alors si elle s’en fichait de se casser un pied, elle était très précautionneuse dès qu’il s’agissait de ses doigts.

Elle exécuta le mouvement à plusieurs reprises, se corrigeant quand il lui indiquait des erreurs qu’elle faisait. Mais elle ne se sentait vraiment pas à l’aise. Elle grogna entre ses dents/

« Je me sens tellement naine à côté de vous. »

Entre la taille et la carrure, elle avait l’impression d’être une lilliputienne qu’il pourrait écraser d’un doigt s’il le voulait. Heureusement que c’était un gentil et qu’il n’abuserait pas de sa force sur elle. Elle l’espérait du moins. Non, quand même, s’il était aussi détraqué qu’elle, elle s’en serait rendu compte, non ?

« J’ai quand même un peu de mal à croire que ça marche vraiment en situation réelle… Je veux dire, là, vous vous laissez faire, mais si vous mettiez toute votre force, jamais je ne réussirai à vous faire bouger, non ? »

Elle était très sceptique. Elle ne serait convaincue que le jour où elle réussirait à mettre l’homme au sol, K.O. ou en tout cas (pour ne pas tomber dans un extrême), dans une très mauvaise posture. Parce que là… même en lui bloquant le bras dans le dos, elle avait l’impression qu’il pouvait se dégager comme il le voulait.

Ah oui tiens, on y pensant bien, il n’avait pas tort. Elle n’avait jamais vu sa petite taille comme un avantage, mais ça pouvait clairement l’être. Après tout, tous les maîtres d’arts martiaux ne disaient-ils pas que ce n’était pas le physique qui comptait, mais la technique ? Ou quelque chose dans ce genre-là ?


Elle sentit les doigts d’Alexander se resserrer autour de son poignet et elle eut un mouvement de recul instinctif avant de se détendre. Il n’était pas un agresseur, bien au contraire. Elle tenta d’appliquer la technique, mais ça ne marchait pas vraiment, se contentant de faire bouger le bras de son professeur dans tous les sens. Bon Dieu, qu’elle se sentait ridicule. Elle finit par s’agacer un peu et mettre plus de force dans ses mouvements. En fait, c’est qu’elle n’osait pas trop mais en faisant des mouvements secs, elle s’en sortit. Finalement, elle apprenait vite. Il faudrait qu’elle s’exerce pour que ça devienne un automatisme.


« Et comment je fais s’ils m’attrapent par derrière ? »


C’était surtout ça qu’il lui faisait peur. Si on l’attaquait frontalement, elle trouverait toujours un moyen pour se défendre en frappant dans le tas. Mais par derrière, elle était totalement impuissante. Et elle détestait ça plus que tout.

Elle fit ce qu’il lui demanda. Avec un bras, elle arrivait à peine à le tenir. Heureusement que ce n’était pas une technique de dégagement, sinon, en deux secondes, il aurait été libre. Elle sentait la chaleur du corps de son professeur contre elle… et ça la troublait. Elle serra les dents, se morigénant intérieurement. Elle n’était plus adolescente, enfin. Heureusement, elle était capable d’une grande capacité de concentration et elle réussit à chasser toutes pensées nuisibles, se contentant d’enregistrer ce qu’il lui montrait.

Ils échangèrent les rôles et elle se retrouva avec l’homme derrière elle. Elle sentait sa présence imposante. Ses agresseurs n’étaient jamais aussi baraqués, heureusement. Elle enchaîna les coups de coude. Pour les coups de pieds, c’était plus compliqué, n’arrivant pas à lever la jambe assez haut. Néanmoins, elle ne se débrouillait pas si mal. Elle espérait. Elle n’avait pas envie de se ridiculiser.

« Vous avez fait des arts martiaux pendant longtemps pour connaître ça ? Vous m’aviez parlé de karaté, mais là, c’est autre chose. »

Elle avait entendu parler du Krav Maga, un art martial utilisé par l’armée israélienne et légèrement modifié pour répondre au besoin d’une population civile. En tout cas, elle se découvrait un intérêt certain pour tout ça, contre toute attente.