Le moins que l’on puisse dire, c’est que Devin n’y alla pas par quatre chemins ; il annonça à son fils sans tourner autour du pot qu’ils étaient ensemble, et voilà, c’était fait. Sa main avait cherché la sienne sous la table quelques secondes avant l’annonce et Keo la serra à ce moment pour lui montrer son soutien, après quoi elle retint son souffle dans l’attente d’une réponse de la part de l’adolescent. Et sa réaction ne se fit heureusement pas trop attendre. Il eut la réaction que tout le monde devrait avoir dans un cas pareil, du moins dans un premier temps, puisqu’il n’y crut pas et préféra croire à une blague. Quand elle songeait que les autres « devraient » avoir la même réaction, ce n’était clairement pas le bon mot, mais la rouquine songeait sincèrement que ça serait la réaction qu’ils verraient le plus souvent. Devin fut donc obligé de clarifier la situation et expliqua très succinctement la façon dont ils étaient arrivés à sortir ensemble. Ou à « se fréquenter », s’il voulait. Toujours est-il qu’elle montrait son approbation en hochant la tête à chacun de ses mots. Puis vint la phase deux, après le déni, la colère. C’était un peu le même procédé que lors d’un deuil, remarqua-t-elle, quant à savoir si ce genre de réflexion les aiderait d’une quelconque manière…

Enfin bref, d’une façon très vulgaire, Adrian voulut savoir depuis combien de temps ça durait et la formule employée la fit rire. C’est vrai, quoi, ils n’avaient encore rien fait à cause de ce divorce qui mettait des siècles à s’officialiser, donc littéralement, il ne se l’était jamais tapée, là était toute l’ironie. Mais ce n’était clairement pas le moment de rigoler, aussi s’empêcha-t-elle de le faire en reprenant une gorgée de sa boisson. De son côté, Devin ne semblait guère apprécier le langage de son fils et il lui en fit la remarque, comme le bon père de famille qu’il était. Et le taux de décibels grimpa alors en flèche, attirant l’attention de leurs voisins de table. Pas que Keo soit du genre à s’en soucier mais elle se mettait facilement à la place de son amoureux et savait que lui, en ce qui le concernait, ne s’en fichait pas. De plus, c’était du domaine privé et ça ne les regardait pas, aucun d’eux. Était-ce vraiment une bonne idée de faire ce genre d’annonces dans un lieu public ? On pourrait se le demander mais c’était trop tard, maintenant. Songeant qu’il était peut-être temps d’agir pour elle, la jeune femme prit la parole.

« Ecoute Adrian, je me doute que ça te fasse bizarre mais s’il y a bien un truc qu’on arrête pas de nous répéter, c’est qu’on peut aimer qui on veut. Et il se trouve que j’aime ton père… »

Wow, elle avait voulu y aller de son petit discours moralisateur mais elle ne s’attendit pas du tout à ce que ces mots en particulier sortent de sa bouche. C’était sorti tout seul et peut-être - même sûrement - que c’était vrai, mais ils n’avaient pas encore franchi ce cap et elle aurait sans doute préféré qu’il fasse le premier pas, pour le coup. Bon, ce n’était pas grave, elle pouvait encore rattraper le coup.

« Enfin, j’veux dire j’adore passer du temps avec lui, c’est vraiment un type sensas’, on s’amuse bien, je sais que je peux lui faire confiance et tout ça. Et tu le sais peut-être pas encore mais ça viendra : c’est super dur de pouvoir trouver quelqu’un en qui on peut avoir pleinement confiance. »

Était-ce mieux ? Aucune idée mais Keo sentait à ses joues qu’elle devait être aussi rouge qu’une tomate. Comme Adrian semblait être à court de mots, elle conclut :

« Qu’il ait le double de mon âge n’a aucune importance. Ce qui en a c’est qu’on se sente bien ensemble et c’est le cas. »

Elle voulut ajouter que de toute façon, elle était majeure et que ce n’était donc pas un crime mais elle jugea elle-même que c’était sans doute aller trop loin dans l’argumentation alors elle n’en fit rien mais toujours est-il qu’elle le pensait. Elle était majeure, elle faisait donc ce qui lui chantait. Soit, elle se tourna ensuite vers Devin pour qu’il appuie ses propos.