Vous avez déjà eu l'impression d'être spectateur de votre propre vie ? De ne rien pouvoir faire face à ça ? D'être totalement démuni ? Parce qu'à ce moment précis, c'était exactement le sentiment que j'avais. J'étais impuissante face au débit de parole de mon père. J'avais l'impression que chaque mot m'enfermait dans une prison de verre, transparente, invisible à l'oeil nu. Une prison avec laquelle j'allais devoir apprendre à vivre. Bien que je ne le souhaite pas plus que ça. J'avais les larmes qui montaient aux yeux. Il avait peut-être trompé notre mère. Mais nous aussi. Et ce qu'il venait de briser avec cette révélation, c'était irréversible. Je comprenais totalement ce qu'on disait lors d'une trahison dans un mariage, avec ce problème de confiance. j'étais pas mariée avec lui, mais déjà, c'était fini. Il n'aurait plus ma confiance.
Je tentais de reprendre une certaine contenance. Je me redressais, et raclais ma gorge. Elle a raison, Sunee. Ca nous regarde pas vraiment, vos histoires de coucheries. Je jetais un oeil à notre mère. Elle venait d'avoir un spasme de pleurs, qu'elle avait contrôlé à merveille. Si je parlais de leurs coucheries, je me doutais, vu comme elle badait notre père, qu'elle, elle avait été fidèle jusqu'à la fin. Puis, notre père reprenait la parole. Il devait le sentir, qu'il avait trois femmes contre lui, à ce moment précis. Il en menait pas large. Il se gratta la gorge, et repris, ce qui m'en dégoûta encore plus.
- C'est à dire que... Depuis ça.. vous avez une petite soeur. dit-il en baissant la tête.
QUOI ?! Brusquement, je me levais de ma chaise, prête à partir. Alors que je tournais les talons, je fis un tour sur moi même. Et toi, tu nous dis ça comme ça, comme si c'était normal ? J'avais envie de pleurer. Il me dégoutait. Totalement.

J'aurais préféré mourir que d'entendre une telle chose. Comment il avait pu ? Comment il pouvait encore nous regarder quasiment droit dans les yeux, nous jurer que ce n'était pas de sa faute ? Et comment est-ce que notre mère faisait pour supporter ça ? Elle devait être sainte, ou alors complétement attardée pour ne pas réagir du tout face à cette humiliation, cet assassinat de la famille. Non, elle était presque pour un divorce à l'amiable, rester amis après ça. Non mais, à un moment, faut vraiment se réveiller les gars ! Je regardais notre père de la tête au pied, et d'un air vraiment dégoûté, je disais ce qui lui pendait au nez. Franchement, tu me dégoûtes. J'ai même pas d'autres mots. J'aurais pu me prendre une paire de claque pour ce que je venais de dire. Mais encore, j'étais prête pour ça. Sauf que s'il l'avait fait, il aurait disparu de ma vie à jamais. Puis, je regardais Sunee, les larmes aux yeux. Pendant un instant, en fait, pendant tout mon énervement, je n'avais même pas fait attention qu'aucun d'entre nous n'avait signé. Pas forcément pratique pour ma sœur qui n'entendait pas vraiment. D'ailleurs, ça aussi, si ça se trouvait, c'était de la faute de notre père, si elle n'entendait pas non ? De toute façon, à mes yeux, toute la misère qui avait pu un jour arriver à notre famille, il en était le responsable. Je me tournais vers Sunee, et lui signais ce qu'on venait d'apprendre. Toujours en signant, je levais les yeux au ciel et disait, en me tournant à peine vers notre cher père. Et elle a quel âge, ta fille ? C'est qui ? Ne me dis pas qu'on la connait, ou qu'on connait sa mère ? demandais-je, prête à l'étrangler. J'avais vraiment peur du pire.

J'avais toujours eu des petits soucis d'entente avec mon père. Mais en arriver à le regarder et à ne voir les traits que d'un inconnu que j'aurais pu renier à la seconde où il avait ouvert la bouche, je ne l'aurais jamais cru. On me l'aurait dit que j'aurais ri au nez de la personne, me disant qu'elle cherchait juste à me mettre le doute.
Mais savoir aujourd'hui qu'il était capable de détruire une famille, SA famille, ça me semblait tellement surréaliste. Comment avait-il pu regarder notre mère dans les yeux en lui disant qu'il l'aimait. Comment avait il pu jurer devant des témoins fidélité et honneur à notre mère le jour de leur mariage ? J'avais l'impression que ce n'était pas lui mais un étranger à lui qui avait passé des années avec nous. Comme si tout à coup, on découvrait un nouveau visage de lui. Un peu à la Docteur Jekyll et Mister Hide. Mais entre les deux, qui était-il vraiment ? j'avais l'impression que ma vie s'était transformée en cauchemar dont je n'arrivais pas à me réveiller, même en essayant de toutes mes forces. Je n'attendais même pas la réponse de mon père à toutes mes questions, qu'une larme fit son apparition sur ma joue. Je l'essuyais à la volée. Je ne montrerais pas de faiblesse face à mon père. Même s'il me donnait la nausée.
Plus aucun mot ne souhaitait sortir de ma bouche. Alors, je signais. Et regardais Sunee signer à son tour. Elle avait compris une phrase que j'avais dite et qui me fit sursauter. Quoi ? Il avait tiqué quand j'avais demandé ça ou quoi ? On la connaissait, sa fille ? Oh non, quelle horreur !
- je ne pense pas que vous la connaissiez. Bien qu'elle, elle m'a parlé de vous récemment. Je pense qu'elle a du entendre sa mère et moi en parler.. ou qu'elle a fait des recherches..
Je retenais un haut le coeur. Ah, parce que son autre meuf, elle savait qu'il avait une autre famille. Et sinon, ça ne le choquait pas tout ça ? Je vois même pas pourquoi on reste là à en parler. finissais-je par articuler, en me levant. Si t'es si bien avec ton autre famille, pourquoi tu vas pas la rejoindre ?En disant ça, je jetais un regard triste à maman. La pauvre,
elle devait vivre tout ça, elle était presque spectatrice de sa propre vie.
Et elle n'avait pas pipé mot depuis la grande révélation.. Je soupirais.
Je ne me voyais pas la laisser ici. J'aurais bien dit à mon père de faire ses valises et de se casser, pendant qu'on l'amènerait se promener.
Mais c'était pas comme si, dans leur relation et dans tout ça,
j'avais vraiment mon mot à dire. Mais elle, elle semblait tellement impassible. Comme si elle était figée dans un monde de pensée.
Et ça m'attristait profondément. Je jetais un regard lourd de sens à ma soeur. Qu'est-ce qu'elle pensait qu'on devait faire ?

J'avais feint la paix intérieur, en écoutant notre cher paternel. En fait, je bouillais tellement intérieurement, que je ne l'écoutais plus. J'espérais bien ne pas connaître son autre fille. La pauvre n'y étais pour rien, mais je ne voudrais jamais la rencontrer, elle paierait des épreuves de son père, de notre père. Mais j'avais quand même tendu l'oreille, et du peu que j'avais écouté et entendu, j'avais compris qu'on ne la connaissais pas.

De voir notre mère comme ça, comme à attendre que sa vie ne passe, ça me faisait un mal de chien. Et pareil, de regarder le visage de ma soeur se décomposer à chaque fois que le bruit sourd de la voix de mon père résonnait me perçait l'estomac. Il ne manquait qu'un quasiment rien, et j'aurais été capable de me jeter sur lui, pour nous venger, toutes les trois, de la trahison, de l'affront qu'il faisait à maman.
J'avais juste lancé une phrase, celle qui voulait dire qu'on partait. J'avais le coeur lourd, l'impression que toute ma vie s'effrondrait. J'osais donc à peine imaginé ce qu'il en était pour maman, ou même pour Sunee. C'était dur, c'était violent, c'était injuste. Mais c'était comme ça.

Je ne savais que faire, je ne me voyais pas laisser notre mère ici, seule avec lui. Mais la faire venir chez nous ? C'était pas forcément non plus une super idée, vu que, me connaissant, j'allais pester pendant un moment, lui remémorant le souvenir de cette vie abîmée par l'homme qu'elle aimait. Quand Sunee vint a ma rescousse et avait finalement attrapé le bras de notre mère pour la faire venir avec nous, je lançais un regard à notre père. Si ma soeur savait ne pas se montrer froide, juste déçue, je savais me montrer telle un vrai glaçon. Adieu. avais-je lancé, avant de me lancer à la suite de ma famille, et de claquer la porte, laissant notre père en arrière.