"Quand rien est prévu, tout est possible."

Feat Francesca G. Dibello

Cela faisait maintenant deux ans que Logan vivait à la Nouvelle-Orléans. Deux ans qu'il s'était instauré une routine qu'il suivait, chose qui l'aidait à y « voir » plus clair dans sa vie. Le jeune homme n'était pas quelqu'un de lunatique, pourtant, parfois, on pourrait le croire. Mais ce changement d'humeur résultait simplement des cauchemars de la nuit passée qui le mettait généralement de mauvaise humeur car il ressassait les évènements du passé. Et aujourd'hui, c'était une de ces fameuses journées.

Malgré tout, n'ayant pas envie de ne rien faire de sa journée de repos, il s'était préparé comme tout les matins et avait pris la direction de cette librairie qu'il connaissait bien maintenant, à deux rues de chez lui, qui sentait les vieux livres, à des univers du style de ces grosses librairies sans âmes. Il se rendait souvent dans cette boutique. Si bien qu'il connaissait même la personne qui la tenait. Avec le libraire, Ethan, ils voyaient ensemble quel livre Logan pouvait commander en braille, sous les conseils de ce dernier. D'ailleurs, son livre avait dû arrivé la veille. Ni une ni deux, il avait enfilé ses lunettes noires, son blouson, ses chaussures, déplié sa canne blanche et était parti de chez lui, direction la boutique.

Quelques minutes plus tard, après s'être fais bousculé par un gamin qui n'avait même pas pris la peine de s'excuser (n'aidant pas son irritabilité du jour...), Logan poussa la porte de la boutique après avoir plié et rangé sa canne à l'intérieur de son blouson. A le regarder comme ça, sa cécité n'était pas visible. On pouvait simplement imaginé que l'anglais avait passé une sale nuit, à picoler peut-être, et qu'il avait dû mal à s'en remettre, d'où les lunettes de soleil.

Le jeune homme se rendit jusqu'à la caisse où il n'entendait que de bruits de touches de clavier, et il ne semblait pas y avoir de client. D'ailleurs le libraire le salua avant même qu'il n'ait eu le temps de le faire «Bonjour Logan, vous allez bien aujourd'hui ? Vous allez être content, votre livre est arrivé et je pense qu'il va vous plaire.». Trop de bonne humeur dans sa voix. Malgré tout, le jeune homme se fit violence pour être un minimum poli. Même si la fatigue et la morosité de Logan se lisait parfaitement dans l'intonation de sa voix et sur son visage, même caché par des lunettes. « Bonjour. J'avais hâte de le recevoir. Vous avez trouvé autre chose qui pourrait me plaire ? », demanda l'anglais, avare de lecture, tout en attrapant le livre que lui tendait le libraire.

Même le libraire avait pris l'habitude de certaines choses. Comme par exemple, et simplement lui dire « Tenez » en lui tendant le livre pour ne pas se retrouver à tenir un livre pendant cent sept ans. Ou bien le saluer en premier pour lui faire comprendre qu'il pouvait s'avancer, que c'était son tour. Tout un tas de petites choses avaient été mise en place sans qu'aucun des deux ne s'en rende compte en réalité, s'adaptant tout deux à l'autre.

Le jeune homme glissa ses doigts sur la couverture, découvrant les petits points. Il sentait aussi sous ses doigts une écriture en majuscule sans doute, qui était en relief. Sans doute le titre écris pour que les voyants, comme son libraire, puissent savoir de quoi il s'agissait. Sa sœur lui avait expliqué que sa bibliothèque faisait très froide parce que le meuble était blanc ainsi que les couvertures des livres. Seules les écritures noires ressortaient. D'ailleurs, Camille lui avait dis, un jour, que son appartement aussi faisait froid. Il n'y avait pas de tableaux, d'affiches ou de photos accrochés au mur, pas de bibelots non plus ni de cadre posés sur les meubles. Mais honnêtement, il s'en fichait un peu puisqu'il n'y voyait rien.

 

"Quand rien est prévu, tout est possible."

Feat Francesca G. Dibello

Le jeune anglais réajusta son sac à dos sur son épaule, tenant le livre d'une main. Alors qu'il allait poser une question à Ethan, le libraire, il sentit quelqu'un derrière lui. N'ayant plus le sens de la vue, ses autres sens s'étaient développés. Bon, ce n'était pas un super héros, même avec ce prénom, loin de là même. Et encore moins les jours comme aujourd'hui. «Vous avez fait un bon choix ! Vous n'allez pas être déçu»,commença une jeune femme. Est-ce qu'elle leur parlait à eux ? A lui ? Après tout, c'est lui qui tenait le livre. «Cet auteur est en vogue ces temps-ci. Je vous conseille aussi son dernier ouvrage...quand on le commence, on ne peut plus s'arrêter...», elle continua alors sur sa lancée.

Le brun remonta ses lunettes sur son nez, se retournant à moitié vers la jeune femme. « Je vais m'en faire ma propre idée, ne vous en faites pas. », lui répondit-il avec un petit sourire ironique. Quoi ? Il était de mauvaise humeur aujourd'hui, ça ne devrait étonner personne. Mise à part la jeune femme, qui ne le connaissait pas. Et en même temps, elle s'était immiscée dans leur conversation, l'air de rien. Logan n'avait pas besoin d'un deuxième conseiller en bouquin, il avait déjà Ethan qui connaissait ses goûts en matière de livre. Elle, elle ne le connaissait pas alors comment pouvait-elle le conseiller ?

Oui, il se comportait comme un c.o.n, et ce n'était pas comme ça qu'il avait été élevé. Mais l'accident l'avait changé, et ses nuits agitées aussi. Ou alors, c'était des excuses qu'il se donnait pour avoir bonne conscience. Et puis au fond, il s'en fichait de ce qu'elle pouvait penser de lui. De ce que n'importe qui pouvait penser de lui. Est-ce que c'était seulement vrai ? Ou là aussi c'était quelque chose qu'il se disait pour sa propre conscience ?

 

"Quand rien est prévu, tout est possible."

Feat Francesca G. Dibello

Ouuuuh... Cette femme commençait réellement à lui taper sur le système. Elle était chiante non ? Ou bien c'était parce qu'il était de mauvaise humeur ! Non, ça ne pouvait pas être que ça. Il voulait bien avoir sa part de tort, mais tout ne lui revenait pas. Pourquoi diable s'était-elle mêler de leur conversation à la base ? Logan n'aimait pas les gens qui écoutaient les conversations des autres, et ça avait tout l'air d'être ça !

« Et bien, étant donné qu'Ethan connaît mes goûts, il m'est déjà de très bons conseils. », lança-t-il, son accent anglais semblant s'accentuer avec ce sarcasme que la jeune femme continuait de découvrir. Ce qu'il ne disait pas non plus, c'est que malheureusement, tous les livres n'étaient pas traduis en braille. Chose qui limitait les choix possibles.

Autre chose qu'il n'allait pas dire, c'est qu'elle était arrivée derrière lui, silencieuse, le surprenant. Il détestait les personnes qui savaient marcher en silence. Oui c'était idiot, mais lui c'était quelque chose d'essentiel pour ne pas être pris de court. Le jeune anglais entendit Ethan s'éclipser, ne souhaitant sans doute pas être le spectateur d'une petite dispute entre client. Remarque, il avait sans doute beaucoup mieux à faire que rester planter là à les regarder sans rien faire ni dire. Et lui aussi d'ailleurs non ? Pourtant non, Logan restait là, à répondre à cette jeune femme qui semblait s'être offusquée de son manque de tact. Peut-on seulement la blâmer pour ça ?

«Dites vous êtes toujours aussi mal luné ou c'est propre à moi? », lui lança-t-elle. Il se retourna finalement, face à cette petite peste qu'il ne pouvait voir. Il imaginait facilement une blonde, avec une large frange, une tresse de chaque côté de son visage, se cachant derrière d'épaisses lunettes, un style vestimentaire à revoir... Mais il savait qu'il se plantait. Enfin... peut-être pas pour tout, allez savoir... «Je ne suis pas toujours aussi mal luné non, mais je pense que vous n'aidez pas, en effet.». C'était comme lancer de l'huile sur le feu ça non ? Pourtant, il l'avait même dis avec un sourire sarcastique. Elle ne le rencontrait pas dans son meilleur jour c'était certain. Mais il l'avouait à moitié dans cette phrase en fait. Au moins, elle aurait un sujet de conversation intéressant à son bureau « le mec le plus c.o.n de la planète. Ça changerait des sujets futiles, débiles et barbants qu'elle devait avoir. Oui, il était clairement en train de lui inventer une vie médiocre. Mais elle l'agaçait ! En tout cas, plus que lorsqu'il s'était levé de ce fameux pied gauche du dicton.

Le brun rangea ce fichu livre dans son sac à dos. Pourquoi « fichu livre » ? Tout simplement parce qu'il semblait avoir attiré cette fille et cette querelle. Décidément, il aurait mieux fais de rester dans son lit ce matin. Mais non, c'était sans compter sur l'envie de faire quelque chose de sa journée au lieu de rester enfermé chez lui. Son psy, à l'époque où il restait beaucoup enfermé, lui avais dis qu'il valait mieux sortir, même pour ne pas faire grand chose, plutôt que de rester cloîtré entre quatre murs. Mais non, cette fois-ci en tout cas, il aurait mieux fais de rester enfermé dans son appartement à broyer du noir. Ça aurait été sans doute plus productif que... ça.

 

"Quand rien est prévu, tout est possible."

Feat Francesca G. Dibello

Le jeune homme faisait un effort monstre pour rester calme et ne pas l'insulter avant de partir. Mais quelle tête ! Elle devait être la pire rencontre qu'il est fait depuis qu'il était arrivé aux Etats-Unis. Elle passait même devant le gars lui ayant mis une droite alors qu'il était tranquillement installé au comptoir d'un bar. L'homme l'ayant frappé pensait qu'il le regardait de travers à travers ses lunettes noires. Un génie. Et bien non, cette femme passait devant lui, elle était du niveau supérieur de la chianterie royale ! «Je sais ! Je lui ai recommandé quelques unes de ses trouvailles...». Est-ce qu'elle était en train de se vanter d'avoir donné des noms d'ouvrages à Ethan ? «Oh, dans ce cas pardonnez-moi. Je ne savais pas que j'avais affaire à Votre Altesse de la Littérature.», plaisanta-t-il. Non décidément, si aucun des deux n'y mettait du sien, cette querelle n'allait jamais prendre fin !

«Et bien c'est bien triste pour vous..ce n'était qu'un conseil bienveillant.. mais si vous détester tant les contacts humain, les commandes sur internet ça existe.». Cette fille ne connaissait rien de sa vie et elle osait lui donner des conseils de ce type ? Le brun inspira profondément, il ne voulait pas lancer encore plus d'huile sur le feu. Ils tournaient en rond, mieux valait s'arrêter là. Logan entendit Ethan revenir et sentit la casse-pied passer devant lui, sans doute pour payer ses achats. Il fit alors un pas en arrière, bousculant très légèrement une étagère qui vacilla mais qui, fort heureusement, ne tomba pas. Le brun l'avait rapidement touchée pour constater par lui-même qu'elle était bien debout, et stable. Il ne manquerait plus que tout tombe... Mais non, la catastrophe avait été épargnée. Et ce n'était pas grâce à cette femme !

«Comme tu connais si bien ces goûts, peux-tu lui commander un exemplaire de ce livre», Logan l'entendit demander à Ethan. Elle ne manquait pas de culot décidément ! Alors qu'il allait répondre, il entendit Ethan le devancer : «Je vais voir s'il existe dans sa version.». Et oui, il avait besoin d'une version spéciale et tous les livres n'étaient pas traduit en braille. Le jeune anglais soupira légèrement et préféra partir, il en avait ras-le-bol. Il lança un petit salut à Ethan avant de partir de la boutique.

A FEW DAYS LATER...

Logan avait fini le dernier livre qu'il avait commandé. Il lui avait fallu bien une semaine et demi pour le lire, ayant pas mal travaillé puisqu'un de ses collègues à la clinique était en congés, du coup, il récupérait une partie de ses patients pendant ce temps-là. Mais voilà, il lui fallait un autre livre. Le jeune homme s'était donc rendu à sa librairie favorite pour parler à Ethan d'un livre à commander.

Le brun, toujours armé de ses lunettes noires, avait rangé sa canne pliée à l'intérieur de son blouson, en cuir, comme à son habitude. Il avait salué Ethan, lui avait demandé de ses nouvelles puis lui avait demandé s'il avait un livre à lui proposer pour qu'il le commande. «J'ai reçu le livre que Francesca t'avait commandé au fait.», il lui lança, un peu hésitant. «Francesqui ?», il lui demanda à son tour. Et c'est à ce moment-là qu'Ethan lui rappela sa discussion houleuse avec la jeune femme, la dernière fois. Donc elle s'appelait Francesca. Il avait complètement oublié qu'elle était en train de commander un livre pour lui lorsqu'il était parti... Par contre, il se souvenait parfaitement d'avoir été un super abruti mal poli ce jour-là. Même si, honnêtement, elle ne s'était pas non plus comportée comme un ange !

Ils discutèrent encore un peu, quelques instants, Logan et Ethan commandèrent un prochain livre puis le jeune homme décida d'aller à l'étage pour prendre un chocolat chaud en commençant à lire ce nouveau livre, offert par Francesca. L'anglais s'était confortablement installé dans un des fauteuils libres et avait ouvert le livre sur sa jambe repliée et appuyée sur son genou. Installé de cette façon, on pouvait simplement penser qu'il lisait en suivant la ligne avec son doigt. Pourtant, il lisait bel et bien avec ses doigts étant donné que le livre était entièrement écris en braille et, par conséquent, les pages étaient entièrement blanches.

 

"Quand rien est prévu, tout est possible."

Feat Francesca G. Dibello

Logan était un petit privilégier lorsqu'il allait à l'étage de la librairie. La dame qui tenait le côté café de la librairie, qui, en réalité, était un simple petit comptoir, venait toujours lui demander ce qu'il souhaitait boire et lui l'apportait à chaque fois. Ce n'était pas qu'il était le chouchou, même si avec elle aussi, il s'entendait plutôt bien, c'est juste qu'il était difficile (et dangereux) pour Logan, et pour les autres aussi d'ailleurs, de slalommer entre tables, chaises, fauteuils et canapés en tenant une tasse remplie d'une boisson bouillante. Alors qu'Aurore, cette jeune barista tout droit venu de France pour faire ses études, le servait, Logan sortit son porte-feuille et, après avoir touché les billets qu'il plié chacun dans un sens différent, ayant piqué cette idée à Daredevil, il lui donna un billet de 5$, lui indiquant de garder la monnaie pour elle. Ils discutèrent quelques instants de ses études, venant tous les deux d'Europe, lui d'Angleterre (largement trahi par son accent so british) et elle de France, elle lui racontait que parfois, sa famille lui manquait, mais qu'il y avait tellement de choses à faire ici que ça lui permettait de penser à autre chose. Et puis, comme elle le lui avait dis, Aurore avait déjà acheté ses billets d'avion pour aller les voir tout cet été avant de revenir pour la rentrée suivante. Elle retourna finalement vaquer à ses occupations, et il en fit de même.

Le jeune homme attrapa la tasse de chocolat chaud entre ses mains, et s'installa un peu plus confortablement dans le fauteuil, le livre sur ses genoux. S'il avait pu voir, on aurait pu penser qu'il regardait Francesca puisqu'elle était en face de lui, à quelques mètres. Mais c'était simplement qu'il « regardait » face à lui, ne voyant que la nuit. Il se rappelait très bien la fois où il avait été boire un verre avec un de ses collègues et où un gars avait pensé qu'il le regardé de travers derrière ses lunettes noires. Il avait bien failli se prendre une droite ce jour-là ! Heureusement, il avait vite compris que Logan était aveugle, et qu'il ne l'avait jamais regardé de travers, tout simplement parce qu'il ne voyait rien. Mais en même temps, il le cherchait aussi... Lorsque c'était un endroit qu'il connaissait, il repliait généralement sa canne et la rangeait à l'intérieur de sa veste. C'était plus facile que de donner des coups de canne dans les jambes des gens.

Le british se pencha légèrement en avant pour pouvoir poser la tasse sur la table, mais, alors qu'il venait de poser le chocolat chaud, il entendit les clés de son appartement tomber de la poche de sa veste, directement sur le sol. Il jura légèrement et commença à glisser sa main sur le sol, en vain. Elle n'avait pas pu glisser très loin tout de même ! Mais Logan passait à seulement quelques millimètres à chaque fois, ne les trouvant donc pas. Logan posa finalement le livre, ouvert sur la table basse afin de ne pas perdre la page et s'avança dans le fauteuil pour avoir plus de facilité afin de trouver ces fichues clés. Il y mettrait forcément la main dessus à un moment où à un autre.