Cela faisait déjà six heures qu'Alize était devant les fourneaux, à travailler à la chaîne, sans s'être octroyée une seule pause. Elle n'en pouvait plus et était à bout de forces. Son patron lui avait proposé d'aller prendre l'air une petite demi heure auparavant, mais elle avait refusé. Elle estimait avoir accumulé un retard sur deux jours qu'elle ne pouvait combler qu'en travaillant avec plus d'acharnement qu'elle ne l'aurait dû. Cependant, elle commençait à n'en plus pouvoir. Elle n'avait pas mangé depuis presque huit heures et outre la faim, la fatigue commençait à prendre le dessus.
C'est donc après avoir vérifié que tout était hors de danger si elle s'absentait et que rien ne brûlerait en attendant, qu'elle alla voir sa collègue qui était à la caisse pour lui prendre une cigarette qu'elle lui passa volontiers.
Si la blonde ne fumait pas en temps normal, quand elle avait trop faim, ne voulait pas manger, où venait de passer des heures aussi crevante que celles qu'elle avait endurées, elle ne crachait pas sur un peu de tabac. Elle savait pertinemment que, si Bianca l'apprenait, elle la tuerait. Mais peu lui importait, elle savait aussi qu'elle était majeure et libre de ses mouvements et de ses choix.
Dans un état pathétique entre la farine qui lui collait aux cheveux ou encore les cernes qui commençaient à pointé le bout de leur nez sous ses yeux, elle se secoua rapidement histoire de faire un peu plus propre et moins fatiguée, puis se planta devant la pâtisserie, dans la rue, commençant à allumer sa cigarette.
À peine avait-elle commencé à la fumer qu'elle manqua de s'étouffer en voyant face à elle son pire cauchemar. Enfin, pire, oui et non. Elle aurait préféré voir Thiago, passer quelques minutes en sa compagnie, quitte à s'absenter quelques heures de son boulot (après tout, elle le méritait un peu, non?) pour rester un peu plus longtemps dans ses bras. Mais non, à la place de son policier, se trouvait quelqu'un d'autre, quelqu'un qui l'avait toujours sous estimée. Et apparemment il l'avait vu aussi. Quoi que ce n'était pas la distance entre eux qui l'en aurait empêché, vu combien elle n'était pas grande. Elle se racla la gorge et lui asséna le plus froidement possible une salutation comme elle savait bien les faire. « Kris. »

J’en peux plus. Je jette le crayon plus loin avant de déchirer les feuilles de dessins et de tout foutre à la poubelle en 4ème vitesse. Je suis pas un créateur et je ne le serai jamais et plus il me force à essayer de créer et moins j’arrive à le faire. J’en ai marre. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Parfois, je me demande si je reste vraiment par loyauté et admiration ou simplement parce que je n’ai pas les couilles de changer et d’envoyer valser mon paternel et ses plans. Je ne suis pas son ombre, ni lui et pourtant, j’agis comme tel. Je suis pathétique n’est-ce pas ? C’est tuant d’être constamment obligé de tenir un rôle pour ne pas couler, mais c’est ma bouée de sauvetage que je le veuille ou non. Je déteste ce sentiment. Je suis plus fort que ça non ? Alors du cran, allez. Tu peux le faire.

Je reprends un papier et le crayon pour essayer un nouveau bijou, un nouveau concept, un pendentif féminin très classieux mais rappelant les montres goussets de l’ancien temps pour donner un côté masculin tout en restant chic et classique. J’essaie, je l’ai en tête et ça lui rappellerai peut-être ses premiers amours, ses premiers succès. J’y mets de la bonne volonté, je fais attention aux détails, je finalise, ajoute des couleurs, essaie de faire un plan légèrement en 3D pour lui donner une meilleure vision de ce que ça pourrait donner avant de le dessiner autour du cou d’une femme et d’ajuster la longueur. J'y passe presque six heures, j’ai envie que ce soit parfait, je veux lui présenter un travail qu’il aimera, qu’il pensera à proposer aux clients. Je suis satisfait, un des chefs d’ateliers aussi.

Fier, je pars lui amener.

Il examine sans rien dire, je me demande si ça lui plait. Il n’est pas vraiment expressif…. Lentement, il se tourne vers moi avant de déchirer le dessin devant mes yeux. « Minable. » Minable ? Comment ça minable ? Je serre les poings de rage, de colère. Comment ça minable ? « Tu es vraiment un piètre créateur. Je crois que je vais finir par ne pas te confier cette partie du magasin et ne te laisser que la clientèle, au moins, ta belle gueule sert à quelques choses. » J’ai envie de le frapper. « Sors, et va à la pâtisserie. Nous avons des invités ce soir et la femme aime un gâteau bien spécifique, il est compliqué, je ne veux pas que notre ignare de chef le rate, alors va l’acheter. » Il me tend un papier, je le prends avant de ramasser mon croquis pour le déposer sur mon bureau. J’étais vraiment content…

Une fois dans la bonne rue, je me gare et mes yeux se posent par surprise sur une tête bien connue. « Miss James ! » Un sourire étire ma face. C’est comme de pouvoir oublier les soucis. J’avance et la prends en photo. « Mémorable ! Vraiment, je crois que je ne t’ai jamais vu AUTANT en beauté ! c’est fou ! » Je ris un peu avant de me planter devant elle. « Miss James, tu n’as pas changé…. Toujours aussi… » Ravissante. « Pathétique ! » Et je souris. « Tu travailles ici ? J’espère que ton mauvais karma n’atteint pas les pâtisseries. »

Si fumer n'était pas une action quotidienne chez la jeune femme, ni même une réaction habituelle, cela lui faisait le plus grand bien.
Sous la surprise, elle stoppa son geste, l'air lui manquant subitement, l'impression de s'étouffer l'envahissant. Elle jeta un regard froid et dédaigneux à la personne face à elle, sans savoir ce qui l'énervait le plus : sa simple présence ou le fait qu'il se donne le droit de la prendre en photo, juste pour l'humilier un peu plus plus tard ?

Elle devait se retenir, contenir sa rage afin de ne pas lui sauter à la gorge et de tout tenter pour l'étrangler. Ca ferait mal au niveau de la clientèle, et elle n'avait aucune envie que quelqu'un d'autre lui reproche sa personne, ses actes ou quoi que ce soit d'autre.
Alize se contenta alors seulement de hausser un sourcil. De toute façon, il n'était rien. Rien ni personne pour la critiquer, alors ses paroles devraient lui passer bien au delà de la tête.

« Et alors? » se contenta-t-elle de répondre, en le regardant de la tête aux pieds. Il n'avait vraiment pas de quoi fanfaronner. « T'es-tu seulement vu? On dirait que tu vas pleurer. Ce serait bête que le fiston Huang craque comme une fillette, non? Pff c'est toi qui es pathétique, ouais...! » Il sourit, de façon à ce qu'elle puisse apercevoir ses dents blanches. Elle secoua la tête d'agacement.

« Dans ce cas, si tu as peur que mon mauvais karma s'attache à ta si fabuleuse vie, tu peux faire demi tour avant même d'entrer. Parce que, OUI, je travaille ici! » Et, sans même avoir fini sa cigarette, l'éteignit et tourna les talons. Puis tourna tout de même la tête vers lui. « Puis, contrairement à ce que tu penses, les gens aiment ce qu'ils goûtent ici. Et avant que tu n'aies le temps de le dire, non, ce n'est pas parce qu'ils apprécient la médiocrité! »

« Et alors? T'es-tu seulement vu? On dirait que tu vas pleurer. Ce serait bête que le fiston Huang craque comme une fillette, non? Pff c'est toi qui es pathétique, ouais...! » Je hausse un sourcil en ayant une monstrueuse envie de lui rire au nez. Elle est sérieuse ? Hmm, elle essaie de s’en convaincre en tout cas, mais no way, ça ne prend pas avec moi. Même si j’ai passé un moment assez difficile avec le Paternel, je sais que je garde mon charisme contrairement à elle. Elle mord, elle agresse, ça la rend sexy et je l’observe avec un petit sourire en coin qui n’arrive pas déserter ma gueule, me rendant, très probablement, énervant au possible. « Dans ce cas, si tu as peur que mon mauvais karma s'attache à ta si fabuleuse vie, tu peux faire demi-tour avant même d'entrer. Parce que, OUI, je travaille ici! » Oh, elle bouge, elle pense vraiment rentrer comme ça et me laisser en plan ? Non bien sûr que non, elle a dû oublier qui je suis-je crois. Je me contente de sourire et de la regarder fièrement lorsqu’elle me lance un « dernier » regard. « Puis, contrairement à ce que tu penses, les gens aiment ce qu'ils goûtent ici. Et avant que tu n'aies le temps de le dire, non, ce n'est pas parce qu'ils apprécient la médiocrité! » Elle me connait bien, dommage, elle m’a coupé une réplique mordante sous le pied. Ça me rend boudeur, je veux un dédommagement. Elle va me le donner ? Je l’obtiendrai d’une façon ou d’une autre. Sagement, je la suis et passe par le même chemin qu’elle entrant par la porte des artistes si je puis dire et non par la boutique réellement. « Wow, c’est ça l’envers du décor ? » Je hoche la tête, faussement surpris avant de voir son patron arriver et d’attraper Miss James par les épaules dans un grand sourire. « Bonjour, je m’appelle Kris Wang, bijoutier créateur, je suis un ami d’Alize ! Elle m’a tellement parlé de vos pâtisseries en bien que je suis venu voir par moi-même ! » J’ai un sourire charmeur, des yeux rieurs et tout ça en obligeant la blonde à faire comme si elle m’appréciait pour ne pas passer pour une truffe devant son patron. « On m’a conseillé un de vos gâteaux, l’edelweiss… J’aimerai pouvoir en acheter deux si possible, surtout s’ils sont fait par cette merveilleuse demoiselle. Je n’hésiterai pas à vous recommander moi-même à mes clients ! » Je me recule pour ne pas être salis par la farine ou autre. « Je vais attendre du côté boutique qu’Alize puisse me les apporter alors ! » Un sourire et je sors pour revenir dans le coin des clients normaux, content de mon effet.

Elle le détestait. Ohoh qu'elle le détestait! Elle avait beau le vanner, lui lancer des piques pour qu'il réagisse, plus elle le faisait et plus elle ressentait la haine l'envahir. Kris était loin d'être la personne avec qui Alize était prête à avoir une discussion posée et amicale. Ca non!

Avec un sourire tant de contentement que de ravissement, elle constata qu'elle lui avait coupé l'herbe sous le pied. Oh ce qu'elle aimait ça! La déception sur son visage laissait des traces, même s'ils s'efforçait de le cacher.
Alors, sans un mot de plus, elle avait tourné les talons, mettant fin à leur discussion. Pas question que ça dure plus longtemps que ça, elle risquait de commettre un meurtre, et elle n'était pas sûre que la couleur des uniformes proposés par la prison ne lui siée au teint. Puis le orange n'était vraiment pas la couleur qu'elle préférait, sauf sur les fruits, vu qu'elle n'avait pas le choix.

Ce à quoi elle ne s'était pas attendue, c'était à ce qu'il la suive à l'intérieur, chose qu'il n'avait pas le droit de faire et pour laquelle c'était elle qui risquait d'avoir une réprimande. « Tu n'est pas supposé te trouver là, ta place est dans la boutique, pas en cuisine » siffla-t-elle entre ses dents, soudainement rouge de colère.
Quand son patron arriva elle sentit la sentence pendre à son nez, mais rien ne vint. Grâce à Kris, ce qui la répugna d'autant plus. Ses compliments la révoltait, d'autant que c'était pour ses pâtisseries lors de son stage que la boulangerie s'était agrandie pour ajouter "-pâtisserie". Ce qu'il était culotté quand même. Un de ses amis. Tellement éloigné de la réalité... Mais je me contente d'esquiver tout regard, de garder la tête basse. Je ne vais pas confirmer ses dires, mais devant mon patron, je n'ai pas la possibilité de les démentir.

Tellement ravi par la proposition de l'asiatique, le gros américain se frotta les mains, un sourire malsain sur le visage. En temps normal, Alize adorait son patron. Mais quand il s'agissait de plus de chiffre, il devenait soit plus exécrable sur le nombre de pâtisseries à réaliser, soit totalement adorable. Mais là, ce n'était clairement pas un changement positif qui risquait de se profiler. À cause de Kris. Comme toujours.

Elle profita qu'il passe de l'autre côté de la boutique pour dire à sa collègue de prendre sa pose. Elle prenait le relais. Elle se rua vers la boutique, jusqu'alors déserte de monde, excepté dans le cas du seul intrus que la blonde n'était pas prête à gérer. « Mais pour qui tu te prends? » gronda-t-elle à mi-voix, plus énervée que jamais. « Sache qu'ici tu n'es rien, et si le client est roi, alors tu n'en es pas un. Tu vas te fournir ailleurs et tu ne me refais plus jamais ça, sinon tes foutues edelweisses c'est dans la tête que tu te les prends! »