Je n’ai pas tellement l’habitude de jouer les chevaliers servants ou les chauffeurs de taxi, mais pour les beaux yeux de Sara, je ne peux pas vraiment dire non. A vrai dire, je suis bien content quand quelqu’un peut m’occuper l’esprit et m’aider à ne pas penser à la disparition de Cléo. J’aimerai savoir, j’aimerai comprendre. Même Sullivan ne sait rien, j’ai bien vu l’inquiétude paternelle qu’il avait dans le regard. Je n’arrive même pas être en colère, je suis juste complètement inquiet. Au moins, j’ai arrêté de faire des rondes de nuits autours de la ville dans l’espoir de la voir. Pas parce qu’elle n’en vaut pas la peine, mais parce que je sais que ce n’est pas comme ça que je la retrouverai. Cléo… Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu en viennes à tout quitter comme ça ? Une main dans mes cheveux et je secoue doucement la tête en baillant. « Eli, ton repas est au frais, t’as juste à le réchauffer d’accord ? J’t’ai mis un réveil sur ton téléphone pour que tu penses à manger et pas seulement à étudier ! » Un rire m’échappe et je viens le voir, hochant la tête à ses petites recommandations. Il ne me dira jamais qu’il m’aime. Jamais, mais rien qu’en me disant : roule bien, et sois prudent, ça montre combien il peut tenir à moi. Il est spécial mon Eli, mais malgré ce que les gens peuvent dire, je ne voudrai pas d’un autre frère que lui. Un dernier regard sur le bipper des pompiers qui reste calme et j’enfile ma veste en cuir pour rejoindre la voiture et prendre la route afin d’arriver devant le lieu de vie des filles et d’envoyer un message à Sunee pour lui signaler ma présence en bas et l’attendre sagement. Lorsqu’elle débarque, un sourire m’échappe et je me penche pour lui ouvrir la portière de la jeep et la laisser entrer avant de la saluer dans son langage à elle. Je suis encore débutant, mais j’essaie au moins.

J’observe la blondinette arriver avant de lui décrocher un sourire à la fois timide, effacé, mais présent. Je n’ai jamais trop eu l’habitude de sourire, pas parce que ça n’en vaut pas la peine. Non. Juste que… je ne sais pas. Eli ne sourit pas vraiment non plus et on a fait avec. Les risettes forcées n’arrivent pas vraiment dans notre mode de vie, mais parfois, ils s’affichent quand même. Parce que l’autre nous fait sourire. Cléo me faisait sourire… Je me tourne légèrement vers elle lorsqu’elle me parle avec la bouche et les mains, pas vraiment surpris, mais toujours fasciné de voir qu’elle a réussi à passer ça. Vraiment, c’est plaisant pour elle, sincèrement. Au moins, son handicap peut être pris en charge et corrigé. Elle a cette chance et c’est tout le bien que je peux lui souhaiter. « Pardon, c’est vrai, j’oublie constamment. » Un bref sourire, puis je m’étire avant de nous mettre en route, laissant la radio allumée dans un faible fond sonore. Je n’ai pas demandé à Sara pourquoi elle voulait absolument que quelqu’un accompagne Sunee, mais je suis assez content de pouvoir le faire à vrai dire. « C’est la première fois qu’on passe un moment en tête à tête. » Est-ce que c’est étrange ? Un peu, mais pas non plus désagréable. Au contraire. Il faut juste que je fasse un peu d’efforts pour tenir la conversation, parce qu’autrement, avec ma gueule de dino, je ne vais rien dire jusqu’à l’arrivée. C’est pas contre elle, c’est juste que je ne sais jamais quoi dire… « J’me demandais, samedi on fait un concert avec les gars, tu veux venir ? » Après tout, elle aime la musique. « On sera au port en plus, le long du Mississippi, ça sera sympa. »

« Tu t’en fous si ça fait bizarre aux gens, l’important, c’est que toi, tu passes un bon moment. » Je me concentre sur la route avant de lui offrir un maigre sourire. Elle n’avait pas à faire sa vie en fonction de ce que les gens pouvaient bien penser d’elle, au contraire. Eli essayait de faire la sienne après tout. « Et puis, je serais là tu sais, si quelqu’un t’embête, je grogne, ça passera. » Je ris légèrement, une rare fois ou je m’autorise à le faire si spontanément avant de me reconcentrer à nouveau. Fondamentalement, c’est pas très loin son rendez-vous, mais on tombe en plein dans l’heure des bouchons, alors avancer au ralenti, c’est chiant. Je hoche la tête au rythme de la musique avant de me mettre un peu mieux dans le fond du siège, puis de soupirer vaguement en voyant la file devant nous. « Heureusement qu’on est partis avec un peu d’avance. » Je la regarde à nouveau et tapote le rythme sur mes cuisses cette fois, lâchant le volant à cause de notre vitesse à zéro. « Sinon, dans la vie, ça va ? » J’pourrai ne pas faire d’efforts mais pas avec elle. Déjà rien que par respect pour Sara, et puis, Sunee, elle est gentille. Eli passe toujours des bons moments avec elle à vrai dire. J’me suis souvent demandé si y’avait pas moyen d’avoir quelque chose de mignon entre eux parfois. « Niveau boulot, loisirs, tout ça, tu fais c’que tu veux ? » Je me doute que son handicap ne doit pas aider par moment, mais elle semble avoir assez de caractère pour passer tout ça.