Trop vieux pour fêter Halloween, des conneries tout ça ! On n’est jamais trop vieux pour fêter Halloween, on le fête juste différemment au fur et à mesure que les années passent, voilà tout. Autrefois pour Keo ça signifiait des bonbons à gogo, comme pour tous les gosses. Avec ses parents il faisaient le tour de l’île pour en réclamer à tout le village et autant dire que, comme celui-ci n’était pas surpeuplé, tout le monde connaissait la petite rouquine et tout le monde lui donnait quelque chose. Même le dentiste, il se contentait en général de donner des pommes, pire arnaque du siècle, mais bon, elle n’aurait jamais osé râler vu la montagne de bonbons qu’elle ramenait chaque année à la maison. Et puis au fil des ans, elle avait participé à de nombreux bals costumés organisés par des gens de son lycée où il était plus souvent question de se murger qu’autre chose mais bon, ces soirées-là n’étaient pas complètement dénuées de charme non plus et globalement, elle en gardait un bon souvenir. Maintenant qu’elle entamait sa vie d’adulte, elle aurait sans doute dû se comporter comme tel et se faire une soirée films d’horreur tranquille chez elle. Ou pas, rien que d’y penser était mortellement ennuyeux.

C’est ainsi qu’après avoir vérifié que ses finances le permettaient, elle s’était ruée sur le site d’Universal Studios pour s’acheter une entrée. Ces gens-là fêtaient Halloween comme personne et elle avait toujours voulu voir ça de ses propres yeux, c’est juste qu’Orlando n’était pas la porte à côté lorsqu’elle vivait toujours en Nouvelle-Angleterre, ça l’était un peu plus maintenant, tout de même. Toutes ses économies étaient passées dans ce voyage, ainsi que dans le rachat d’un smartphone, car oui, elle avait réellement perdu l’ancien ce fameux soir et lorsqu’elle était retournée sur place pour demander à ce gars nommé Miles s’il ne l’avait pas vu par hasard, il lui avait tendu plusieurs morceaux du téléphone en question. Inutilisable, c’était le moins que l’on puisse dire. Eh bien la prochaine fois, elle confierait ce précieux objet à Devin avant de monter sur scène. Et en parlant de Devin, c’était avec lui qu’elle projetait de se rendre à Universal Studios pour la Halloween Horror Night, bien sûr. Oui comme ça, sans lui avoir demandé si au moins ça le tentait au préalable. C’est qu’elle avait envie de tout faire avec lui en ce moment et elle ne pouvait pas concevoir de devoir appeler sa meilleure amie au cas où il aurait déjà prévu quelque chose. Ce qui n’était pas du tout impossible, c’était le risque à courir lorsqu’on sortait avec un homme qui avait eu une autre vie avant vous.

Au lieu de se tourmenter l’esprit plus longtemps, Keo avait alors envoyé plusieurs sms à Dev et sa réponse avait été tout sauf encourageante. Et effectivement, quand ils en avaient reparlé, il avait carrément fallu entrer en pourparlers tellement ça ne lui disait rien. Elle aurait mieux fait de lui poser la question avant d’acheter son billet, elle qui se faisait pourtant une telle joie… d’où sa déception, elle n’eut même pas besoin de se forcer pour bouder un peu au téléphone. Et ce stratagème marchait manifestement aussi bien sur Devin que sur ses parents car il finit par céder. Cela dit, la jeune femme ne comprenait pas pourquoi il avait fallu tant insister, ce n’était pas comme si elle lui avait suggéré d’aller passer le week-end sur son île pour qu’il fasse la connaissance de ses parents, non, elle lui proposait de lui changer les idées. Ce qui fait qu’elle avait ruminé un peu tout ça toute la semaine mais que ce sentiment s’évanouissait à chaque fois qu’elle le voyait pour laisser place à une adoration sans bornes. Elle-même n’en revenait pas.

Bref, le jour-j, ou plutôt la nuit-n en l’occurrence, la rouquine n’avait pas fermé l’œil, bien trop excitée par la journée qu’elle allait passer. Du coup, elle s’était dopée au café, ça l’aiderait à tenir toute la journée, bien qu’elle n’ait pas vraiment besoin de ça. L’idée de se déguiser lui avait bien effleuré l’esprit à de nombreuses reprises. Rien de trop compliqué, elle avait d’abord songé revêtir une robe de soirée pour faire très Bond Girl mais ça, c’était dans l’hypothèse où Devin aurait accepté d’être son James Bond, ben quoi, il avait déjà l’accent, même que c’était ça, entre autre, qui l’avait fait craquer. Puis elle avait pensé au legging satiné de Sandra Dee aussi pour enfin en arriver à la conclusion qu’elle allait dans un parc d’attractions et qu’il n’y avait pas que les maisons hantées mises en place exprès pour l’occasion, il y avait également toutes les autres attractions habituelles et qu’il valait mieux penser pratique et se contenta d’un short et d’un t-shirt tout simple. En revanche, elle eut plus de temps qu’il n’en faut pour se maquiller et se coiffer et se permit donc un truc plus sophistiqué que d’habitude. Ce qui ne plut pas du tout à sa vieille voisine qui frappa encore et toujours contre le mur pour lui faire comprendre qu’elle faisait trop de bruit. Insensé, elle n’avait même pas allumé ni la télé ni la radio, mais elle soupçonnait cette chère madame Carmichael de l’espionner de temps à autre. Vieille pie !

Quel soulagement ce fut lorsqu’elle entendit la voiture de Devin se garer devant chez elle avant même qu’il ne klaxonne. Keo n’eut qu’à écraser la cigarette qu’elle était en train de fumer dans sa jardinière, attraper son sac à dos et sa veste, au cas où, et foncer hors de chez elle, tout sourire. Ce que son amoureux ne manqua pas de remarquer, évidemment. Il faut dire que la jeune femme était tout sauf du matin et que si elle avait eu ses quelques heures de sommeil, elle serait probablement en train de tirer une tête de trois pieds de long et ce tout au long du trajet. Au moment où elle montait dans la voiture de Devin, elle entraperçut la tête de sa voisine qui, de toute évidence, cherchait à savoir qui avait bien pu oser klaxonner comme ça de si bon matin. Dès qu’elle en aurait les moyens, elle se promit qu’elle déménagerait. Elle se pencha alors pour l’embrasser, ravie qu’il ait finalement changé d’avis et répondit :

« Ouais, et tu devrais en profiter parce que c’est pas comme ça tous les matins. Bien sûr que ça en vaut la peine, c’est à Universal Studios qu’on va, c’est un peu leur job ! »

Elle parlait sans savoir puisque c’était sa première fois, mais c’était effectivement leur job de plonger leurs visiteurs dans des films. La rouquine répondit à la question qui suivit tout en s’acharnant pour ouvrir une énième bouteille de café glacé sans en mettre partout. Personne n’aimait ça, ni elle ni son boss ni Devin, elle en était sûre, mais il lui fallait sa dose de caféine. Pas égoïste pour un sou – enfin, ça dépendait – elle lui proposa même de son breuvage tandis qu’il expliquait qu’il n’avait pas parlé de leur excursion à Emily. C’était mieux, oui, la blondinette aurait probablement exigé de venir avec eux.

« On aurait dû lui proposer de venir avec nous mais j’imagine que l’ex-madame Kane n’aurait pas été d’accord. »

Keo connaissait son nom, Mary, mais elle se refusait à la nommer ainsi, ça la rendrait plus sympathique à ses yeux, or elle était convaincue qu’elles ne seraient jamais amies, toute influencée par les films qu’elle était. Puis Devin en vint à parler de l’accident qu’elle avait évoqué l’autre soir chez lui. Il est vrai qu’ils n’en avaient pas discuté plus que ça, et c’était normal, au vu de la situation.

« Ah oui, ben j’ai pris les clefs de sa Mercedes, sinon on ne serait jamais rentrés. Enfin, surtout lui. Et je roulais super prudemment quand un idiot n’a pas cru bon de démarrer au feu vert. J’ai pas fait gaffe, il était tard et y avait pas grand-monde dans les rues, ce qui fait que je lui suis rentrée dedans. Mais je me suis pas sentie trop coupable, Mark doit avoir une omnium et tout le bazar, lui. »

Contrairement à elle, donc. Puis elle racontait des conneries, elle s’était seulement persuadée qu’elle ne sentait pas sentie coupable après coup, alors que sur le moment même, elle avait complètement paniqué. Elle avait quand même défoncé l’avant de la précieuse bagnole de son patron, ce n’était pas rien. Et peut-être même que ça avait joué un rôle sur le fait qu’elle ne soit pas rentrée chez elle ce soir-là.

La tête reposant sur l’appuie-tête, Keo écoutait Devin parler sans jamais se lasser. Que ça soit son timbre de voix ou ses intonations, tout faisait qu’elle adorait l’entendre parler, même quand il ne disait que des conneries. Au bout d’un moment, elle se redressa et le dévisagea, pas certaine de comment analyser ses paroles. C’était quoi, ça ? Une crise de jalousie ? Non, elle ne pouvait y croire, mais alors c’était quoi ? Parce qu’il devait bien savoir que lorsqu’on est stagiaire, on se plierait en quatre pour plaire à son patron, ne serait-ce que pour gravir l’échelon juste au-dessus de celui de stagiaire. Cela dit, la rouquine avait bien besoin qu’on la recadre un peu à ce sujet car elle était prête à faire bien trop de choses pour dépasser ce stade, s’asseyant sur sa conscience par la même occasion. Là, on lui avait juste demandé d’aller rechercher son boss un peu lourd pour le ramener chez lui, mais si Mark l’avait appelée pour lui demander de faire disparaître un cadavre dans les bayous, elle y serait probablement allée aussi. Elle n’avait qu’une seule limite : personne ne la touchait de quelque façon que ce soit. Mais en l’occurrence, c’était moins le fait qu’elle se soit déplacée que le fait que Mark l’ait appelée elle qui ennuyait Devin. Là-dessus au moins, elle pouvait le rassurer.

« En fait, c’est pas Mark qui m’a appelée, c’est le barman qui en avait marre qu’il foute le bordel dans son bar. Mon numéro doit être celui qu’il compose le plus souvent et sûrement qu’il n’a pas précisé que je n’étais que sa stagiaire dans son répertoire. Mark, lui, n’était pas du tout content de me voir débouler, il me l’a bien fait comprendre. »

Justement, il lui avait dit mot pour mot qu’il n’avait pas besoin de photocopies et qu’elle pouvait rentrer chez elle mais Keo ne s’en était pas offusquée, tout comme elle n’avait pas mal pris les propos de son amoureux à l’instant, elle savait bien que pour l’instant, elle n’était que stagiaire, même pas assistante, alors à quoi bon se vexer ? Là-dessus elle passa délicatement la main dans les cheveux de Devin, un petit sourire aux lèvres et les yeux pétillants de malice.

« Mais c’était bien mignon. Et je peux t’assurer que je ne l’intéresse pas du tout. Il me prend pour une gamine et en plus, il n’a qu’à claquer des doigts pour avoir dix pétasses avec implants fessiers intégrés à ses pieds. »

Elle en avait vu se comporter comme de véritables dindes devant son bureau, mais loin d’elle l’idée d’émettre un quelconque jugement, chacun ses goûts, après tout. Puis surtout, ce qui lui faisait dire qu’elle n’intéressait pas Mark, c’était qu’elle était persuadée qu’il n’oserait jamais une telle approche. Il était présent la fois où elle avait collé sa main dans la figure de l’autre producteur qui travaille à la radio tout ça parce que ce vieux vicelard lui avait seulement fait des avances, alors s’il ne voulait pas subir le même sort, il garderait ses distances. D’ailleurs c’est ce qu’il avait fait ce soir-là, alors qu’il avait pourtant eu de nombreuses occasions de la draguer, chez lui. Enfin soit, ils n’allaient tout de même pas parler de Mark durant tout le trajet, c’était son jour de congé et c’était le dernier sujet qu’elle avait envie d’aborder. Ça tombait bien, puisqu’après avoir pris une gorgée de son café, Devin décréta que c’était dégueu et qu’il en voulait un chaud. La jeune femme ricana. Ce qu’il pouvait être difficile parfois, qu’il soit froid ou chaud, ça ne changeait pas grand-chose pour elle, même en intraveineuse ça lui conviendrait. Elle l’autorisa donc à s’arrêter à la première station-service venue et en profita pour faire le plein de bouteilles de coca zéro et de trucs à grignoter. Le problème avec les parcs d’attractions était qu’ils taxaient à morts sur la bouffe et les boissons, mais Keo était une jeune femme prévoyante. Enfin, c’était surtout que c’était devenu une habitude. Une habitude de pauvres.

Après quoi ils purent reprendre la route et arriver ainsi plus ou moins dans les temps. Et à peine arrivé, Dev commença à râler. Sérieusement, est-ce qu’il connaissait un seul parc où le parking n’était pas payant ? Puis il était mieux placé que quiconque pour le savoir, lui qui avait des enfants encore en âge d’y aller. Mais Keo ne releva pas, elle était bien trop excitée de voir enfin Universal Studios de ses propres yeux. Si bien qu’elle bondit hors de la voiture, bien trop heureuse de pouvoir se dégourdir les jambes. Et pourtant, elle faisait partie de ces gens qui adorent les trajets en voiture, surtout quand Devin se l’était joué Fast&Furious à un moment, mais ils venaient quand même de faire plusieurs heures de route, ce n’était pas rien. A l’en croire, il n’était plus venu depuis environ neuf ans. A l’époque, elle avait l’âge d’Emily et ça faisait bizarre de voir les choses de cette façon aussi préféra-t-elle ne pas y réfléchir plus longtemps.

« Ah ouais ? Je suis jamais venue, moi, c’était trop loin. Mais j’ai vu tellement de walkthrough sur Youtube que je devrais pouvoir me repérer sans problème. »

Et comme de juste, l’énorme globe tournant se profilait à l’horizon, mais c’était facile de trouver l’entrée. Ce qui n’allait probablement pas plaire à Dev par contre, c’était le monde. Un samedi, jour d’Halloween en plus, c’était un peu comme si toute l’Amérique s’était donnée rendez-vous là. Mais bon, il en fallait plus pour l’en dissuader et puis ça faisait partie du charme de tous les parcs d’attractions de faire la queue durant des heures, si bien qu’au final, vous ressortiez de là en ayant fait moins d’une dizaine de manèges. Puis, Keo avait une technique pour que ça aille plus vite, cette fois encore, elle s’en servirait. Resserrant sa prise sur la main de son amoureux, la jeune femme joua des coudes pour passer devant tout le monde. Oui, c’était ça, sa fameuse technique secrète et c’était risqué, c’était le moins que l’on puisse dire, mais en général, il lui suffisait de papillonner des yeux d’un air innocent tout en continuant d’avancer quand quelqu’un se rendait compte de la combine et ça passait bien. Ça se passa même très bien, de cette façon, ils avaient passé les caisses en moins de deux en se faisant insulter une seule fois. Parfait.

A l’intérieur, les employés se démenaient déjà pour plonger les visiteurs en pleine horreur. Ils étaient partout, maculés de sang, de plaies peintes, brandissant des tronçonneuses sans chaîne mais dégageant bien une super odeur d’essence. Ah c’était comme dans ses rêves ! La rouquine s’immobilisa un instant pour nouer sa veste autour de sa taille et promena son regard autour d’elle. Planifier un brin n’était jamais une mauvaise idée dans un cas pareil, il y avait des petites astuces pour profiter d’un parc même quand il y avait autant de monde. Faire le tour dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, par exemple même si là ça risquait d’être compromis parce qu’il y avait du monde absolument partout. Elle avait lu quelque part qu’il y avait une maison hantée sur le thème Freddy VS Jason et bien sûr, c’était ce qu’elle avait envie de faire le plus, Jason étant un mythe à ses yeux, mais courir d’un bout à l’autre du parc n’était sans doute pas une bonne idée, bien que ce soit tentant.
Non loin d’elle, un groupe de filles était en train de s’époumoner parce qu’une bande de clowns démoniaques leur tournait autour. Keo leur jeta un regard condescendant.

« Tss regarde ça, elles sont ridicules à hurler comme ça en plein jour. »

Oui, de nuit ça passait à cause de l’effet de surprise mais là, elle était persuadée que c’était plus un moyen de se faire remarquer qu’autre chose et elle trouvait ça pathétique. Et oui, pour l’instant, Keo faisait la fière. Normal, on ne l’avait pas encore attaquée.

« Je sais pas, peut-être qu’on devrait garder les maisons hantées pour quand la nuit sera tombée… »

Ouais, histoire de sortir de là, de ne rien y voir, de se faire attaquer par un zombie et crise cardiaque assurée.

« Ou alors on peut en tester une tout de suite… sinon on peut faire le Jurassic Park Ride tant qu’il fait chaud. »

Ils étaient en Floride, il faisait toujours chaud mais il était tout de même moins facile de sécher de nuit, enfin ! Ahhh les parcs d’attractions, toute une logistique à mettre en place. Toujours est-il qu’elle se remit en mouvement parce que sinon, indécise comme elle l’était à cet instant, ils seraient toujours plantés là le lendemain. Puis elle évitait soigneusement que son regard ne tombe sur tous les goodies qu’il y avait un peu partout, sinon, elle se connaissait trop bien, elle aurait envie de tout acheter, or c’était malheureusement impossible.

Est-ce qu’elle était en train de rêver ou bien est-ce que Devin se payait réellement sa tête ? A leur place, elle ne hurlerait pas comme une démente pour attirer l’attention, ça non, et surtout pas si ses assaillants n’étaient autre qu’une bande de clowns. Une bande de clowns, sérieusement, ça dépassait sa compréhension, ça. D’où pouvait bien venir une peur aussi stupide ? Mais le pire, c’est qu’elle le savait, ça devait venir de Gripsou, le célèbre clown qui attirait les gosses dans les égouts pour leur arracher un bras. Merci, Stephen King. Mais pour avoir autant lu le roman que vu le film, elle trouvait que c’était tout de même à pousser, d’autant que Gripsou n’était pas qu’un clown, il avait le don de se transformer en à peu près tout et n’importe quoi, alors hein. Bref, non aux clowns et ce qui pourrait éventuellement la faire hurler serait une bande de gamins déguisés en bavarois. Eh ben oui, chacun ses peurs idiotes, donc. Tout ça pour dire qu’elle répondit en levant les yeux au ciel, ce dont Devin devait être coutumier avec un fils adolescent et sans ajouter quoi que ce soit, elle le suivit jusqu’au Jurassic Park Ride.

De toute évidence, tout le monde avait eu la même idée qu’elle. Ou tout le monde avait envie de se rafraîchir, elle ne saurait trop dire. Cette fois, il ne fut pas question de resquiller parce que… eh bien parce que son amoureux n’était pas d’accord, sinon, elle l’aurait dans absolument toutes les files d’attente, elle. Oui d’accord, ce n’était pas correcte vis-à-vis des gens qui attendaient patiemment leur tour, mais c’était tellement plus rapide ! Enfin bref, elle attendrait s’il fallait attendre et c’est donc environ une heure plus tard qu’ils embarquèrent enfin. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils étaient les rois du décor à Universal Studios, si ce n’est quelques petits détails sans grande importance, on avait vraiment l’impression de se trouver à Isla Nublar. La jeune femme se cala contre Devin et enfila ses lunettes de soleil en prévision de la descente finale de l’attraction. Parce que oui, elle regardait des walkthrough sur Youtube mais aussi des ridethrough et n’avait donc plus la surprise, puisqu’elle savait exactement quand se passait quoi, comme si elle l’avait déjà fait. Et ça serait bien bête de ruiner son maquillage partiellement waterproof à la première attraction, non ?

Qu’elle l’ait vu ou non une dizaine de fois en vidéo ne l’empêchait pas de s’émerveiller devant toutes les reproductions de dinosaures qu’ils croisaient en tant qu’elle voyait son dilophosaure adoré, elle était contente. Et l’adrénaline provoquée par la descente abrupte – où elle leva les bras comme toute bonne fan de parc d’attractions et sourit pour la photo qu’elle n’achèterait pas mais qui allait inévitablement se retrouver chez quelqu’un d’autre – lui fit dire que c’était « vraiment trop génial ». Quand Dev attira son attention sur une casquette Mickey abandonnée au beau milieu du décor. Effectivement, ça faisait tache mais il y avait un million de raison à ça. Peut-être que certains étaient descendus de l’embarcation avant la fin pour faire elle ne savait quoi et elle n’avait pas envie de savoir, ou encore qu’un de ces gamins stupides et insupportables qui se levaient sans arrêt et surtout sans que leurs parents ne leur fassent de remarque alors que c’était pourtant interdit – vous n’imaginiez pas à quel point elle priait pour qu’ils tombent à la flotte pour de bon dans ces moments-là – se voit décoiffer d’un coup de vent, ainsi de suite. La rouquine haussa donc les épaules.

« J’sais pas, ils ont peut-être voulu prendre un selfie et ça s’est mal passé. »

Une fois hors du ride, Keo avait des tas d’idées pour continuer la journée. En fait, elle avait envie de tout faire. Les montagnes russes de folie qui se trouvaient à l’entrée du parc, aller boire une bièrraubeurre à Préaulard, faire toutes les maisons hantées et s’en fichait à présent qu’il fasse nuit ou non, le ride de la momie, etc, et fit part de tout ça à Devin sans même reprendre sa respiration entre chacune de ses propositions. Si bien qu’il fut obligé de la stopper pour pouvoir en placer une. Lui avait envie de faire le ride de Jaws. Jaws, un classique que ses parents avaient toujours refusé qu’elle regarde étant enfant et comme ça n’arrivait jamais, elle s’était convaincue que c’était vraiment trop moche à voir et n’avait par conséquent, jamais cherché à le regarder. Bon eh bien, c’était le moment, apparemment. Elle acquiesça et attendit sagement comme son amoureux le lui avait demandé. Ils auraient dû prendre un plan avec eux. Elle posa son sac à dos à terre le temps de boire une gorgée de coca tout en observant la scène de loin. Manifestement, Devin n’avait trouvé qu’une employée bien trop à fond dans son personnage pour lui répondre et c’était assez drôle. De son côté, c’est un épouvantail qui lui tournait autour depuis deux ou trois minutes. Okay, c’était censé lui fiche la trouille, ça ? Non parce que ça ne fonctionnait pas du tout. Mais quand l’épouvantail en question s’adressa à elle comme si de rien n’était pour lui proposer d’aller prendre un verre d’ici dix minutes, quand ça serait enfin sa pause, elle comprit que non, ce n’était pas supposé faire peur. Keo en resta sans voix parce que ça faisait drôlement bizarre de se faire draguer par un épouvantail, tout de même. Puis ça restait un employé du parc – même qu’en toute logique, s’il lui prenait l’envie d’aller le dénoncer, il pouvait se faire virer pour lui avoir parlé – et il savait où se trouvait l’attraction que Devin et elle cherchait.

« Mais là je cherche le Jaws ride, alors… »

Ce fut tout ce qu’elle eut besoin de dire pour que l’épouvantail avise une gamine qui s’apprêtait à passer devant eux avec un plan entre les mains. Sans grande conviction, il lui fit un simple « bouh ! » à l’oreille et la gamine en lâcha son plan avant de s’enfuir en hurlant de terreur. Quel métier fascinant tout de même, dommage que ce n’était qu’une fois l’an, sinon la rouquine aurait postulé. Tout dévoué qu’il était, il lui indiqua où elle se trouvait et où il fallait qu’elle aille, après quoi elle partit rejoindre Devin, après un petit merci quand même, elle était bien élevée, juste pas intéressée. Ce qui s'appelle un vent, oui.

« Le gentil épouvantail là-bas était bien plus coopératif que cette dame, il m’a donné un plan, regarde, c’est là. »

Et là, ça voulait dire pas trop loin mais pas tout à côté non plus. Tant pis pour une quelconque organisation, hein, de toute façon, ça finissait toujours comme ça. Il n’y avait plus qu’à y aller et ils se remirent en route main dans la main jusqu’à arriver devant un requin en plastique suspendu façon trophée. Des visiteurs étaient en train de se prendre en photo devant et Keo avait envie de faire exactement la même chose. Elle tira doucement sur la main de Dev tout en s’exclamant :

« Viens, on va prendre une photo nous aussi et on l’enverra à papa… enfin, ou pas. »

Comprenez que son père était pêcheur, ça serait comme un hommage mais ce n’était peut-être pas l’idée du siècle, finalement puisqu’il n’était pas au courant de la relation qu’entretenait sa fille avec un de ses potes. Ça lui ferait un choc à n’en pas douter, raison pour laquelle elle repoussait sans cesse l’annonce. Bon, pas la peine de se pourrir la journée en pensant à ça, elle mit tout ça de côté et se hâta de prendre sa photo puisque d’autres gens attendaient déjà pour prendre leur place. Puis de toute façon, la file pour l’attraction les attendait. Celle-ci fut moins longue que celle pour Jurassic Park, une chance et à l’instant où le petit bateau dans lequel ils avaient pris place s’ébranla, elle comprit pourquoi ses parents avaient tant insisté pour qu’elle ne voit pas ce film à l’époque. C’est que question décor, ça ressemblait en tout point à sa petite île, et elle aurait sûrement refusé tout net d’aller se baigner et pêcher avec son père si elle avait vu ce film. Assez troublant, tout ça. Mais Keo n’en montra rien à Devin, il la prenait déjà pour une froussarde, inutile d’en rajouter une couche, hein.