epuis sa "séparation" avec Claire, vivre chez son frère, c'était loin d'être une bonne solution. Pourtant, je le savais, j'avais l'habitude de vivre avec ma famille, Hermès était un vrai chieur en la matière. Il aimait que tout soit rangé, mais ne faisait rien de ses journées. Chaque soir, il ramenait une fille, toujours différente de celle de la veille, et je me devais de me faire tout petit. Après tout, c'était moi qui squattait chez lui, comme il aimait tant le souligner malgré le manque de reproches qu'il me faisait. Mais, autant l'avouer, c'était assez agaçant à la longue. Je faisais un peu tout ici. Les courses, la bouffe, le ménage.

Alors que je lui en voulais plus que je n'aurais pu y croire, je me languissais presque le jour où je serais prêt à pardonner à ma petite amie de m'avoir trompé, histoire de retrouver mon chez moi. Car, sur le coup de la colère, j'avais pris mes affaires et était parti, alors qu'il s'agissait de mon appartement. Dure histoire que de bien penser malgré l'énervement. Mais, j'avais voulu l'oublier, et mon frère et ses manies plus qu'agaçantes avait toujours eu le don de me faire penser à autre chose. Au moins, pendant un temps, je m'énervais contre quelqu'un d'autre et je n'avais pas le temps de m'apitoyer sur mon sort.

Depuis notre aller-retour à Las Vegas après l'annonce de la tromperie de ma copine, plus de six mois auparavant, j'avais étrangement trouvé de quoi écrire. C'était aussi un moyen de me vider encore plus l'esprit des mauvaises pensées, d'essayer de passer à autre chose, mais surtout de défouler ma colère sur quelque chose qui n'aurait probablement pas plus mal qu'un être humain. Les choses s'étaient bien tassées et, après avoir envoyé les premiers chapitres de l'histoire à mon éditeur, il m'avait signé pour un roman complet. Je n'avais pas vraiment à me plaindre à ce niveau, il fallait l'avouer. Je faisais partie de cette toute petite minorité d'auteurs qui étaient capables de vivre de leur plume. Enfin, de la machine à écrire de mon grand père, mais c'était considérablement pareil. Et cette chance, je la devais aussi à mes deux frères. Eros avait décidé de mettre en moi tous ses espoirs d'être un bon manager, ce qu'il était bien plus que ce que j'étais un bon auteur, et Hermès avait cet avantage, en tant que coach sportif, de m'aider psychologiquement à tenir, et de toujours me pousser à faire mieux. C'était grâce à eux que, ce jour-là, j'attendais avec impatience la venue de mon éditeur, avec qui j'étais ami, qui se déplaçait, comme toujours, pour savoir où j'en étais dans l'avancée du roman, et parler de la promotion du livre une fois publié.

C'est donc avec un naturel considérable, quand la sonnerie de l'appartement de mon frère retentit, que je me dirigeais vers la porte. « Bah dis donc t'en a mis du t... » Je m'interrompis une fois que je me rendis compte, la porte ouverte, qu'il ne s'agissait pas de mon éditeur, mais d'une jeune femme blonde, dont le visage m'évoquait vaguement quelque chose sans être capable de me rappeler quoi. « Bonjour, je peux vous aider? »

tait-ce possible de se sentir plus stupide qu’à ce moment précis ? Elle était arrivée à la Nouvelle-Orléans il y a deux jours, mais ne s’était pas immédiatement mise à la recherche de celui qui était visiblement son mari depuis maintenant six mois sans qu’elle n’en sache rien. Mais ce matin elle avait été frapper à sa porte – après avoir mis la main sur son adresse – déterminée à lui dire qu’elle était devenue sa femme après une soirée beaucoup trop arrosée à Las Vegas. Voilà qu’elle se retrouvait donc sur le pas de sa porte, nez à nez avec une jeune femme. Ok… Sa petite amie peut-être ? « Je peux vous aider ? » Sûrement que oui. « Je cherche Arès Tremblay, on m’a dit qu’il vivait ici. » Au vu de l’expression qui passa sur le visage de la jeune femme, cette dernière le connaissait. Mais Reine ne parvint pas à déterminer de quelle manière. « Oui, c’est son appartement. Mais il ne vit plus ici pour le moment. Qui êtes-vous ? » Attention terrain glissant. C’était LA question piège. Que répondre ? Elle n’allait pas lui balancer qu’elle était sa femme aux yeux de la loi, surtout si cette jeune femme avait bel et bien une relation intime avec l’écrivain. Pour le coup, elle se sentait stupide, elle qui ne s’attendait nullement à trouver une présence féminine dans cet appartement. « Oh euh… Juste une très vieille amie. Vous savez où je peux le trouver ? » Pas vraiment convaincue par sa réponse – d’autant plus que Reine était une piètre menteuse, elle qui détestait le mensonge - la jeune femme plissa les yeux mais ne fit aucune remarque. « Non, pas vraiment. Essayez chez son frère. » Elle lui donna l’adresse puis referma la porte, laissant Reine sur le pas de la porte, un peu perdue. Bon… L’adresse en main, elle sortit de l’immeuble pour remonter dans son véhicule et se diriger vers le lieu où elle pourrait potentiellement trouver Arès.

L’endroit n’était pas spécialement très éloigné du précédent et elle y parvint assez rapidement. Jetant un coup d’œil à l’adresse, elle pénétra dans l’immeuble et monta l’escalier quatre à quatre jusqu’à l’appartement où se trouvait possiblement l’écrivain. Bon, elle espérait vraiment qu’elle allait le trouver là. Elle n’avait pas envie de courir aux quatre coins de la ville pour mettre la main dessus. Mais la chance semblait être avec elle, car lorsqu’elle frappa à la porte, un homme vint lui ouvrir et, au vu des photos qu’elle avait trouvées sur Google, ce dernier était bel et bien Arès. Elle le détailla quelques secondes, un mince sourire aux lèvres. Hum… Au moins elle n’était pas tombée sur un thon, c’était déjà ça. « Je peux vous aider ? » Bon sang, ils avaient tous ce mot à la bouche ou bien ? Mais oui en effet, pour le coup il pouvait vraiment l’aider. « Si vous êtes Arès Bastian Tremblay, et je suis sûre que vous l’êtes aux dires de mon très cher ami Google, alors oui, vous pouvez m’aider. » Elle pénétra dans l’appartement sans même avoir été invitée à entrer, puis se retourna pour lui faire face, les bras croisés sur sa poitrine. « Je m’appelle Reine Oliver… Apparemment Tremblay depuis peu. Ça vous dit quelque chose ? »

es journées auprès d'Hermès n'étaient vraiment pas simples. Je me demandais parfois comment quelqu'un qui faisait si peu de ses journées pouvait avoir autant de manies et un train de vie aussi réglé. C'était peut être ce qui lui permettait d'avoir une fille différente chaque soir. Personnellement, je me demandais comment il avait réussi à tenir jusque là. Pour ma part, je n'avais eu que Claire de "notable" et c'était ma plus longue relation. Mais je n'étais pas le style d'homme à changer de conquête comme on change de caleçon.

Mais, c'est pour cette raison que, ce matin-là, quand la sonnette de l'appartement retentit, je ne m'étonnais pas de voir une jolie blonde à la porte de mon frère. Et la familiarité de son visage me confortait assez dans l'idée qu'il s'agissait d'une des bien trop nombreuses aventures de mon grand frère. Puis c'était tout à fait son genre. Belle, jeune, "fraîche" comme il disait pour exprimer une femme élégante et rafraîchissante, classe et avec ce petit quelque chose qui donne l'impression de ne pas pouvoir détacher son regard d'elle. Bref, une femme qu'on ne croise malheureusement pas tous les jours dans la rue.

Après lui avoir demandé si je pouvais l'aider elle me répondit que c'était moi qu'elle cherchait, à condition de bien répondre à mon propre nom. Super, une fan en plus de ça! Pitié, pas d'autographe aussi tôt dans la journée. La Nouvelle Orléans était, en plus, supposé être l'endroit où on me fichait la paix. « Juste Bastian, ça suffit. Bastian Tremblay. » La suite le laissa sans voix. Cette femme magnifique en face de lui se trouvait être sa belle soeur? Quelle connerie avait encore faite Hermès.« Euh... Veuillez m'excuser quelques secondes. » Sans lui fermer la porte au nez, je lui proposais d'entrer et de s'installer si elle le voulait un instant pendant que j'accourais à la chambre de mon frère, encore profondément endormi et, à mon soulagement, complètement seul. « Herm? Herm? Réveille-toi! je crois que t'as fait une connerie, debout! »

Après des longues minutes pour que mon frère ne se réveille, j'avais obtenu de lui qu'il regarde discrètement la tête de Reine. Son prénom nous disait tous les deux quelque chose, mais Hermès niait catégoriquement la connaître. Bro, tu m'excuseras, mais je vais me préparer, faut que j'aille courir, tu t'occupes de régler ça? Merci, t'es un frère! Oh punaise, mais qu'allais-je donc pouvoir faire. Je revenais rapidement au salon, histoire de ne pas faire attendre Reine trop longtemps. « Excusez-moi, il a fallu que je demande quelque chose à mon frère... Puis-je vous servir à boire? » Joignant la parole au geste, je me pris ma limonade faite maison et en versai dans un verre, attendant une réponse de sa part. « Vous me disiez donc que vous veniez pour...? Un autographe? Que vous étiez mariée avec un de mes frères? » Mais, pas un seul instant je ne me serais attendu à la réponse qui risquait de venir faisant éclater une vérité que j'ignorais totalement. Pire, que j'avais occultée à cause de l'alcool.

lle ne connaissait rien de cet individu, et pourtant il lui semblait étrangement familier. Cela contribuait à remuer certaines choses en elle, vestiges oubliés de sa soirée bien trop arrosée à Las Vegas. La seule chose dont elle se souvenait, c’était avoir quitté son hôtel pour se rendre dans un premier bar. Au début elle avait encore les idées claires, mais au bout de quelques verres déjà, les souvenirs s’étaient littéralement évaporés. Dire qu’elle avait été assez stupide pour épouser un homme qu’elle ne connaissait même pas, simplement sous le coup de l’alcool. On se serait cru dans un Very Bad Trip revisité, mais en beaucoup moins drôle. « Je préfère Arès, c’est mieux. Et plus… sexy. » Oui parce que clairement, Bastian c’était un peu le prénom passe partout qui n’avait rien d’accrocheur. Elle avait donc décidé de l’appeler Arès, même si monsieur préférait Bastian. De toute façon ils ne se connaissaient pas – ou presque pas – et il n’avait donc rien à lui imposer. Cependant ce n’était pas sa manière de l’appeler qui sembla le déranger le plus, mais surtout le début de révélation qu’elle lui fit, et il eut tôt fait de disparaître, la laissant seule. Haussant les épaules face à sa réaction, elle en profita pour gagner le salon et déambuler dans celui-ci, observant les quelques rares photos qui étaient posées çà et là. Elle aurait pu se montrer un peu plus « polie » et rester en place, mais après tout si cet homme était son mari, autant qu’elle découvre son univers dès maintenant, non ? Pas qu’elle avait l’intention de rester mariée à lui éternellement, mais un divorce ne se faisait pas en un claquement de doigts, pas comme un mariage réalisé par un Elvis Presley.

Elle patienta un moment, qui lui parut d’ailleurs une éternité. Elle aperçut les quelques coups d’œil jetés rapidement dans sa direction par Arès et celui qui, au vu de la ressemblance frappante entre eux, devait à coup sûr être son frère. Ils se voulaient discrets, mais tous les deux semblaient tellement choqués et désorientés que l’opération « espionnage » ne fut pas vraiment un franc succès. Leur réaction eut au moins l’effet d’amuser quelque peu la jeune femme, qui entre temps s’était permis de s’installer sur le canapé. Elle patientait sagement, jambes croisées, le regard se promenant toujours dans la pièce. Finalement, l’écrivain revint, visiblement encore plus embêté que lorsqu’il s’était éclipsé, un moment auparavant. « J’espère qu’il a su vous répondre dans ce cas. » Une pointe d’ironie dans la voix, elle se leva pour être à sa hauteur et de nouveau lui faire face. « Pourquoi pas. Jus de fruits, soda, alcool… Peu importe, je ne suis pas difficile. » Il ne semblait toujours pas avoir compris la raison de sa venue. Ou tout du moins, ne l’avait pas associée à lui. Et pourtant c’était bel et bien pour lui qu’elle était là, et non pas pour son frère, aussi sexy soit-il. « Sans vouloir vous vexer, je n’ai même pas lu vos livres et à vrai dire vous étiez un presque inconnu pour moi jusqu’à il y a quelques jours. Alors pour l’autographe, on repassera. » Et même si elle avait lu tous ses bouquins et qu’elle était fan de lui, elle n’était pas le genre de femme à se rendre chez son « idole ». On ne pouvait pas faire pire dans le genre harceleuse et elle avait en horreur toutes ces fangirls hystériques qui étaient prêtes à tout pour rencontrer la personne qu’elles adulaient. « Oh non, rien de tout ça. C’est à vous que je suis mariée. » Un sourire satisfait sur les lèvres après la bombe qu’elle venait de lâcher, elle croisa une nouvelle fois ses bras sur sa poitrine, dans l’attente de la réaction du brun. Peut-être que le choc allait lui rafraîchir la mémoire, faute d’avoir pu rafraîchir la sienne.

on prénom avait été la source de beaucoup de discussions pour mes défunts parents. Après avoir nommé deux fils selon les prénoms de deux dieux grecs, mes parents ne s'étaient jamais lassés d'en avoir un troisième avec un nom du même genre.
Pourtant, je leur avais fait une misère sans nom, en grandissant, parce que je préférais Bastian. Même mes frères m'appelaient rarement par mon premier prénom, mais pas non plus par mon deuxième, se contentant de "Bass" à tire-larigot. Ca me convenait très bien. Mais, jusque là, excepté deux ou trois personnes qui avaient lu mes livres et connaissaient ma vie de fond en comble, personne ne m'appelait Arès. Alors, la réflexion de la jeune femme en face de moi m'avait fait sourire. « À votre guise. »

Ce n'était pas vraiment mon genre de m'enfuir d'un salon appartenant à l'endroit où je vivais en laissant en plan les personnes externes à l'endroit en question. Mais là, la surprise avait pris le dessus et, sans mots, je m'étais contenté d'agir, tout bonnement, machinalement. J'avais agi comme un adolescent pris au dépourvu, un petit garçon qui ne savait pas quoi faire devant une situation qui lui échappe. Et, complètement innocemment, j'avais remis la faute sur mon grand tombeur de frère qui, après coup, m'avait confirmé qu'il ne s'agissait pas d'une femme avec qui il se serait marié. Pourtant, si Hermès avait la main lourde sur la bouteille, j'aurais dû y penser. Il n'oubliait pas souvent le visage des personnes qu'il voyait en soirée, même s'il oubliait la soirée elle-même.

J'étais revenu, la queue entre les jambes, assez déçu par l'annonce de mon frère. Les choses se gâtaient et, même si je ne me doutais pas encore de ce qui allait me tomber dessus, l'évidence semblait me frapper sans que je ne m'en rende compte. « Plus ou moins, même si ce n'était pas la réponse que j'attendais. » Je me contentais de lui sourire. Au moins, ça faisait comme si je savais ce qu'il se passait, alors qu'en fait, ce n'était pas du tout le cas.

Après lui avoir servi un scotch, j'en pris un double. Mon coeur commençait sérieusement à s'emballer et la raison de la présence de la blonde ne m'aidait pas vraiment à savoir pourquoi. Je bus une gorgée de mon nectar. « Ah bon? Non non, je ne me vexe pas. Je me dois même d'avouer que ça ne me choque pas vraiment. Peu de gens, ici, lisent mes romans. Tant mieux, d'un côté, au moins je suis tranquille. Puis je n'avais aucune envie de signer d'autographe, pour être honnête. » C'était vrai. J'étais angoissé parce que mon éditeur n'était toujours pas arrivé, et ce n'était pas le genre de situation qui m'aidait à être plus sympathique.

Puis, la sentence tomba. Nette. Comme un tranchoir pour vous couper la tête. Et, pendant que je me laissais tomber sur le fauteuil à mes côtés, j'avalais, d'une seule traite mon verre, sans même grimacer, plus sonné par sa phrase que par le degré d'alcool ingurgité. Reine me regardait et soudain je levais les yeux vers elle. Que que... comment? Quand? Où ? Rien à faire, je ne me souvenais pas. Mais ça expliquait peut être bien pourquoi son visage m'était aussi familier.

enant son verre du bout des doigts, elle faisait lentement tourner le liquide qu’il contenait. Comment annoncer à cet homme qu’elle était sa femme sans trop le brusquer ? A vrai dire elle ne voyait aucun moyen qui permettrait de faire passer la pilule plus facilement. Elle-même avait eu du mal à l’avaler et à se remettre du choc que ça avait été lorsqu’on lui avait annoncé qu’elle était mariée. Elle avait tout d’abord pensé que c’était une erreur, c’est d’ailleurs ce qu’elle avait dit, mais on lui avait affirmé que non. Pour le coup, elle avait certainement été la risée de tous les employés de la mairie dans laquelle elle s’était rendue. Après tout, c’était assez drôle de se marier mais de ne pas s’en souvenir, non ? En fait, non. C’était loin de l’être. Mais c’était assez amusant de l’annoncer à quelqu’un et c’est pour cette raison qu’après avoir avalé une grande gorgée de scotch, elle prit la décision de ne finalement pas prendre de gants et lui balança la nouvelle au visage comme si de rien n’était. Voilà, au moins c’était une bonne chose de faite. « Il y a un peu plus de six mois, à Las Vegas. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit, je ne me souviens de rien concernant la soirée que nous avons passée ensemble. » Elle haussa légèrement les épaules et avala une nouvelle gorgée d’alcool. Le fait de ne pas se souvenir d’une chose si importante l’exaspérait, malheureusement elle avait beau chercher dans sa mémoire, rien ne lui revenait. « Je ne sais pas ce qui nous a poussé à agir de la sorte mais… c’est chose faite, et aux yeux de la loi je suis votre femme. » Allez Reine, enfonce un peu plus le clou. L’homme assis face à elle semblait déjà bien sonné par la révélation qu’elle venait de lui faire, il n’était apparemment pas nécessaire d’en rajouter. Bah, il s’en remettrait. Sa première idée serait sûrement la même que celle que la jeune femme avait eue, faire annuler ce mariage. Bonne idée en soi, mais pour ça il aurait fallu se rendre compte plus tôt qu’ils étaient mariés. Désormais le délai était dépassé et le seul recours possible était le divorce. Tss, comme si elle avait les moyens de s’en offrir un. Pour lui ça ne poserait sûrement pas de problème, il était écrivain – et un écrivain célèbre en plus – il devait bien gagner sa vie. Elle… autant ne pas en parler. Disons qu’elle vivait comme elle pouvait. « Vous ne vous souvenez de rien ? Car j’avoue que je comptais un peu sur vous pour me rafraîchir la mémoire sur cette foutue soirée. » Elle poussa un léger soupir et se leva, allant ensuite se laisser tomber dans le canapé près du beau brun. Après tout s’ils étaient mariés, autant commencer à faire connaissance dès à présent, non ? Ça faciliterait les relations. Vidant son verre, elle leva ses grands yeux bleus vers lui, comme dans l’attente d’une révélation, d’un retour de souvenirs soudain. Mais rien ne vain, c’était toujours le trou noir dans sa tête. Comment pouvait-on oublier une soirée complète, merde à la fin ! Elle qui pensait que ça n’arrivait que dans les films, elle n’était pas ravie de découvrir que ça faisait aussi partie de la réalité. Sa réalité. « Donc euh… que fait-on vis-à-vis de ce… problème ? » Elle n’était pas certaine qu’il soit capable de lui fournir une réponse dans l’immédiat, vu le choc qui se lisait toujours sur son visage, mais elle avait besoin que quelqu’un d’autre qu’elle prenne les choses en main et puisqu’il était son mari, il était le mieux placé pour ça.

a nouvelle avait fait l'effet d'un choc électrique. Moi? Marié? En quel honneur? C'était insensé, j'étais quelqu'un de réfléchit, je pesais toujours le pour et le contre pendant des heures, des jours, des semaines pour, la plupart du temps, me rallier aux contres. J'avais beau raconter des épopées toutes les plus folles les unes que les autres dans certains de mes romans, les vivre, ça n'avait jamais été mon truc. Alors en entraîner une aussi grotesque, c'était plus le genre de mes frères.
Pourtant, à l'entendre me raconter tout ça, ça ne semblait pas si insensé que ça. Las Vegas. Il y a un certain temps effectivement. Cette pensée me rappela la trahison de Claire, avec qui je n'avais pas vraiment repris contact depuis à vrai dire. J'avais d'ailleurs changé d'éditeur. Enfin, bien grand mot, puisque j'étais toujours dans la même maison d'édition mais ne travaillais plus qu'en collaboration avec un seul des associés, mon ami d'enfance qui, lui, n'avait pas trouvée drôle l'idée de me faire cocu par ma fiancé. Et là, sans pour autant me rappeler quoi que ce soit, je tombais d'encore plus haut. Reine! Voilà d'où je me rappelais d'elle. J'avais effectivement passé ma soirée à copiner avec la bouteille de whisky et une jolie blonde, du même nom. Pour être honnête, derrière la brume que l'alcool avait insinuée dans mon esprit, effectivement, elle ressemblait au souvenir que j'avais d'elle. Ce qui signifiait que ce n'était pas du tout un canular et qu'elle était aussi embêtée que moi par cette situation. Je baissais la tête. « Effectivement, je me rappelle de cette soirée... enfin, je m'en rappelle jusqu'à un certain moment. »

J'avais beau essayer, réfléchir ne me menait à rien. Si j'avais été fiancé à Claire, nous n'étions jamais allé jusqu'à nous marier puisqu'elle était suffisamment infidèle pour être allée voir ailleurs. Ses raisons, peu m'importait, mais elle l'avait fait, c'était tout ce qui comptait à mes yeux rancuniers. Moi non plus, je n'avais aucune idée de ce qui avait pu nous pousser à agir ainsi. « Eh bien, c'est une des rencontres les plus étranges de toute ma vie. Ou peut-être la plus étrange d'ailleurs... » Je n'arrivais pas à me mettre à l'idée que la situation ne devait pas simplement me laisser perplexe mais m'affoler. Je haussais les épaules, assez pris au dépourvu. « Si, un peu, mais je dois avouer ne pas être certain de me rappeler de l'essentiel. » Si, c'était l'essentiel. MON essentiel, pas l'essentiel à notre histoire en commun à cette femme et moi. J'avais de la peine pour elle. Pire, j'avais de la peine pour nous. Comment en étions nous arrivés là? Deux parfaits inconnus? C'était bien pire qu'improbable comme situation. Pourtant, il avait fallu qu'elle tombe sur moi, moi qui suivait toujours tout à la règle, et ne prenais que rarement des risques. Voilà où ça nous mène.

Alors qu'elle était assise à côté de moi, je ne pouvais m'empêcher de la regarder. Elle était vraiment belle. Mais c'était plus le genre de femmes qu'Hermès aurait dragué. Pas moi. J'étais plutôt solitaire en fait. Claire avait été une exception. « On doit pouvoir faire annuler le mariage non? Ca fait combien de temps?» C'était combien de temps d'ailleurs pour annuler un mariage? Un an? Ca va, ils étaient larges, pourquoi elle ne l'avait pas annulé en le laissant dans l'ignorance? À moins que... « C'est trop tard, c'est ça ? » Outch! Je n'avais pas les moyens de divorcer. Je les avais à peine pour me marier, organiser tout ça.... seul le King avait pu me faire économiser, apparemment.

es propos de l’homme lui arrachèrent un petit sourire, bien que la situation n’ait rien de drôle. Alors comme ça elle était la rencontre la plus étrange de sa vie ? Devait-elle le prendre de manière positive ou négative ? Bah, qu’importe. Ce n’était pas comme si elle allait devoir passer sa vie avec lui de toute façon. Ils s’offriraient un divorce dès qu’ils le pourraient et le tour serait joué, non ? Au pire ils pouvaient simplement se séparer après cette rencontre et reprendre le cours de leur vie, mais ça allait poser problème le jour où ils voudraient vraiment se marier avec quelqu’un d’autre. D’autant plus qu’il avait sûrement une petite amie. Un homme comme lui ne pouvait pas rester célibataire, si ? Car ne nous voilons pas la face, il était sexy à souhait. Peut-être un peu timide et coincé – tout du moins c’était sa première impression et tout le monde savait qu’il ne fallait jamais s’arrêter dessus – mais sexy tout de même. Et si elle était un obstacle à son futur mariage ? Elle, elle n’avait personne dans sa vie, alors ce n’était pas un problème. Mais peut-être qu’elle se faisait des idées vis-à-vis de cet homme, après tout il vivait quand même avec son frère. Quel homme normalement constitué vivait avec son frère s’il avait une copine ? Personnellement, elle n’ne connaissait aucun, mais il y a des premières fois à tout. « Et bien ça fait un peu plus de six mois maintenant… » Le beau brun avait commencé à raisonner, réfléchissant visiblement à toute allure, jusqu’à ce que l’évidence lui saute aux yeux quand il remarqua l’expression de la jeune femme. Bingo mon grand ! Ils allaient rester coincés ensemble un moment. « J’aurais bien aimé vous répondre par l’affirmatif, malheureusement non, en effet, on ne peut pas annuler ce mariage. A votre avis, pourquoi suis-je venue jusqu’ici ? J’ai bien essayé de le faire annuler, mais on m’a répondu que c’était trop tard. Je me devais donc de rencontrer l’homme auquel je m’étais liée, afin de lui soumettre le problème et qu’on trouve une solution. » Même s’il n’y avait pas trente-six millions de solutions au final. Bordel, elle n’avait aucune idée de comment elle allait se sortir de ce mauvais pas. Même si elle réunissait toutes ses économies, elle n’avait pas assez pour divorcer. Et elle n’allait pas aller pleurer auprès de sa famille pour qu’ils l’aident, elle avait définitivement tiré un trait sur eux. Et puis après ce qu’elle avait fait, pas sûre qu’ils acceptent encore de lui reparler. Bref, elle était clairement dans la merde. « On peut divorcer, ça prendra du temps mais au moins on sera débarrassé. Par contre autant vous prévenir immédiatement, pour ma part je n’ai pas les moyens de m’offrir un divorce. De votre côté je doute que ça soit un problème, m’enfin… » Elle leva les yeux au ciel, sans même se douter que c’était aussi un problème pour lui. Après tout pourquoi en aurait-ce été un ? Attrapant la bouteille d’alcool restée sur la table, elle se servit un second scotch qu’elle avala cul sec cette fois-ci. Ayant toujours la bouteille en main, elle se tourna vers celui qui était son mari. « Je vous resserre ? » Pas sûre que ça soit une bonne idée, au vu de ce qu’ils avaient fait la dernière fois qu’ils s’étaient retrouvés ensemble et qu’ils avaient bu. Qui sait ce qu’ils pourraient faire cette fois-ci s’ils se retrouvaient à nouveau sous l’emprise de l’alcool ? Après le mariage, le bébé ? Vous imaginez le comble ? Mariée et enceinte d’un homme qu’elle avait vu deux fois dans sa vie ? Brr, elle ne préférait même pas y penser, et elle reposa donc sagement la bouteille sur la table, ainsi que son verre. La prochaine fois elle boirait de l’eau, au moins elle ne risquait pas de faire des choses qu’elle pourrait ensuite regretter. « En tout cas j’espère que vous n’aviez pas prévu de vous marier prochainement, parce que pour le coup, c’est raté. » Un petit rire nerveux lui échappa et elle passa une main dans sa crinière blonde, commençant à enrouler quelques mèches autour de ses doigts, comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’elle ne savait pas gérer une situation et qu’elle se retrouvait dans la merde. Et là, elle était vraiment dans la merde.

i quelques jours auparavant on m'avait dit que je me retrouverai dans une situation aussi improbable que celle-ci, j'aurais probablement ri aux éclats et me serai détourné avec un sérieux inébranlable. Pas drôle. Pas drôle du tout, même. Toutefois, avec une pensée des plus puériles, je ne pouvais m'empêcher de me dire que je faisais à ma petite-amie-qui-n'était-plus-vraiment-ma-petite-amie un bon retour de balle. Je n'avais jamais eu l'intention de la tromper ou quoi, mais au moins, si elle venait ramper vers moi et me reparlait de mariage, j'avais une excuse pour lui dire non. Oui, c'était dégueulasse de me servir de Reine de la sorte, mais j'étais quasiment sûr que, dans le fond, elle s'en foutrait passablement. « C'est bien ce dont je me doutais. Je ne m'y connais pas suffisamment en droit pour être certain de trouver une alternative à ça -en dehors du divorce, j'entends, bien sûr- mais si les six mois sont passés, je crains que nous n'ayons pas beaucoup d'alternatives pour... réguler tout ça. » J'inspirai profondément. Allez Bas', ça va passez, tu vas voir. Si ça se trouve tu vas te réveiller ça ne sera qu'une bonne blague. Et tu te rappelles simplement du visage de Reine parce que tu rêves encore de ce moment précis de ta vie parce que Claire te manque. C'est ça, ouais, elle te manque. Et puis quoi encore?! « Et, si ce n'est pas trop indiscret... Comment avez-vous découvert tout ça? Je veux dire, ça fait six mois, comment ne pas l'avoir découvert plus tôt, et surtout pourquoi maintenant? » Ça paraissait assez virulent de dire ça, mais mon ton calme exprimait clairement à quel point je n'avais aucunement l'intention d'être sec.

J'étais complètement perdu. Jusque là, pour tous mes problèmes, c'était mon manager et mon éditeur qui s'en occupait, mais là, ça ne relevait pas du tout de leur savoir faire. Je n'étais cependant pas contre l'avis d'Eros, qui était toujours de bon conseil. J'envoyais donc un SMS à mon frère pour qu'il me rappelle et en profitais pour en envoyer un à mon éditeur afin qu'il ne se déplace pas. Pour le coup, j'avais des chats bien plus importants à fouetter. J'inspirai profondément. « En effet, ça pourrait être une très bonne solution. Seulement, je ne sais pas pour vous, mais dans mon cas, je suis dans une très mauvaise passe. Je n'ai pas vendu depuis plus de dix-huit mois, et je ne fais pas partie de ce gros millions d'auteurs américains qui réussissent à vivre de leur plume. C'est malheureux, mais c'est comme ça. C'est pourquoi, après avoir dû quitter mon appartement pour des raisons... personnelles, mon frère a bien voulu m'héberger le temps que je trouve un moyen de mieux rebondir. » Même si ça, c'était la version officielle. La vraie version, c'était que j'avais trop peur d'affronter la famille de Claire et leur fortune pour la jeter de mon appartement que j'étais sûre qu'elle avait réintégré dans l'espoir de me revoir franchir la porte. Mais non, je ne retomberai pas dans son panneau, dans ses griffes manipulatrices. Dire que je croyais qu'elle m'aimait... « Oui, s'il vous plaît » confirmai-je en tendant mon verre pour qu'elle me resserve.

Je me contentai de sourire jaune à sa pique. Ouais, c'est ça, très drôle, vraiment. Heureusement, pour le coup, qu'avec Claire c'était plus ou moins fini et que le mariage n'était plus à prévoir. « C'est ma belle-mère qui ne serait pas contente de vous entendre dire ça. » Petite insertion délicate pour lui faire comprendre que, si, il était supposé y avoir mariage, même si en l'occurrence, il s'agissait plutôt de mon ex future belle-mère. L'imprévu n'arrêtait pas de me gâcher la vie ces derniers temps et j'espérais vraiment que ce serait pour une bonne raison, parce qu'aussi jolie et sympathique soit cette Reine, elle me mettait dans une situation délicate pour ne pas dire qu'elle me mettait sérieusement dans la merde.

omment était-elle parvenue à découvrir tout ça ? Par le plus grand des hasards, bien évidemment. Scène classique, elle avait dû se rendre à la mairie pour faire renouveler sa carte d’identité. Tout se passait bien jusqu’au moment où la femme chargée de s’occuper de ce renouvellement lui avait demandé si rien n’avait changé. Sous-entendu : s’était-elle mariée ? Parce qu’en soi, qu’est-ce qui aurait pu changer hormis ça ? Sa date de naissance était toujours la même, son prénom aussi, même sa taille n’avait pas changée. Persuadée donc qu’il n’y avait eu aucun changement, Reine avait affirmé que tout était comme avant. Autant dire qu’on lui avait presque ri au nez. Car oui, voilà, il était notifié dans les archives de la mairie qu’elle était mariée à un certain Bastian Arès Tremblay, citoyen américain résidant à la Nouvelle-Orléans. Un américain ? Quoi ? Là, c’est elle qui avait éclaté de rire. Non, elle n’était pas mariée, et encore moins à un américain, elle l’aurait su sinon, non ? Mais lui avait affirmé qu’elle était bel et bien mariée et là ça avait été un véritable choc pour elle. Comment une telle chose avait-elle pu se produire, quand était-ce arrivé ? La première chose qu’elle avait demandé, c’était s’il y avait un moyen de divorcer rapidement. Sauf que non, on lui avait fait comprendre qu’elle n’avait qu’à se réveiller plus tôt et que le délai était passé. Mais comment se réveiller plus tôt lorsqu’on ne savait même pas qu’on s’était unie à un inconnu ? Après le choc était venu le désespoir, puis l’envie de pleurer, tandis que la femme assise face à elle continuait de la regarder avec un sourire moqueur. Il faut dire que ce n’était pas tous les jours qu’on croisait des gens qui n’étaient pas au courant qu’ils étaient mariés. C’est donc totalement dépitée qu’elle avait quitté la mairie, bien décidé à tirer toute cette histoire au clair et à rencontrer celui qui lui faisait désormais office de mari. Voilà comment elle s’était retrouvée face à cet homme sexy mais dont elle ne se souvenait pas l’avoir déjà rencontré. « Je l’ai découvert en voulant refaire ma carte d’identité, et je ne l’ai pas su plus tôt car je n’avais aucune raison de l’apprendre ! Et puis vous, pourquoi vous ne vous en êtes pas rendu compte plus tôt ? » Elle fronça les sourcils tout en lui jetant un regard interrogateur. Après tout c’est vrai, pourquoi est-ce que ça aurait dû être à elle de s’en rendre compte avant que l’annulation du mariage soit impossible ?

Génial, donc lui non plus n’était pas en mesure de divorcer ? Bordel, pourquoi avait-il fallu qu’elle tombe sur le seul auteur américain qui n’était pas capable de vendre ses foutus bouquins ? Les américains étaient pour assez réputés pour leurs ouvrages, non ? Même si certains étaient totalement abracadabrants, mais au pire ce n’était qu’un détail tant que cela rapportait de l’argent. Attention, elle n’était pas en train de dire qu’elle en avait après son argent, elle n’en avait même rien à faire. Mais elle aurait bien voulu qu’il en ait assez pour qu’ils puissent divorcer et reprendre leur petite vie tranquille chacun de leur côté. « Et merde…J’ai déjà eu du mal à venir jusqu’ici pour vous rencontrer, et j’ai claqué la plupart de mes économies, donc je suis loin d’être en mesure de me payer un divorce. Je ne travaille même pas ! » Oui, parce qu’après son escapade à Las Vegas, elle était parvenue à se trouver un petit boulot de serveuse, mais on l’avait rapidement virée pour des raisons de « restrictions budgétaires ». Pff, tu parles ! De toute façon elle n’avait pas aimé faire ça. Mais au moins ça avait payé ses factures et ça lui avait permis de vivre pendant quelques mois. Aujourd’hui elle était un peu dans la merde, et elle allait devoir trouver rapidement un moyen de s’en sortir si elle ne voulait pas se retrouver comme une pauvre malheureuse dans la rue. A la demande de l’écrivain, elle lui resservit un verre, buvant ensuite le sien cul sec une nouvelle fois. « Alors on fait quoi ? Si aucun de nous n’a les moyens de divorcer... On ne va quand même pas rester mariés, je ne vous connais même pas ! » Elle se renfrogna, pas franchement enchantée à cette idée. Surtout qu’elle n’allait pas pouvoir rester ici éternellement, elle n’avait nulle part où dormir et elle n’avait emmené que très peu d’affaires avec elle. Merde, pourquoi ça n’arrivait qu’à elle ce genre de choses ?!

Elle avait décidé de faire un peu d’humour, mais visiblement ça n’amusait pas le dénommé Arès qui afficha un sourire des plus crispés. Roh allez quoi, il valait mieux rire que pleurer, non ? Même s’il était difficile de rire de la situation, encore plus pour lui qui, d’après ses dires, aurait dû se marier prochainement. Ah… Cela refroidit immédiatement la jeune femme qui baissa les yeux et haussa les épaules en signe d’excuse. « Désolée de venir contrecarrer vos plans alors. Mais c’est une raison de plus pour se dépêcher d’annuler ce mariage, je n’ai pas envie d’être un obstacle entre vous et votre fiancée. D’ailleurs je n’aimerais pas l’avoir sur le dos, je n’ai jamais été fane des « rivalités » entre femmes, vous voyez ce que je veux dire ? Donc si vous pouviez éviter de lui mentionner ce… détail, pour le moment, ça serait gentil, merci. » Elle était loin de se douter qu’il n’était actuellement plus avec cette femme et que le mariage n’était plus au goût du jour, et elle s’enfonçait un peu plus à chaque parole sans même le savoir.

allait-il vraiment que toutes ces situations déroutantes m'arrivent à moi à chaque fois qu'il y en avait une qui planait? Décidément, la réponse était oui et j'en étais d'autant plus désœuvré que je ne savais vraiment pas ce que j'avais fait au ciel pour en arriver jusque là. Je me rappelais un peu mieux la soirée maintenant, malgré les mois qui s'étaient écoulés depuis. J'avais bu tellement d'alcool que j'avais eu une chance folle de ne pas en être mort, comme il aurait dû en être si mes fiançailles avec Claire avaient toujours été au goût du jour et qu'elle l'avait appris. Seulement voilà, ce n'était plus d'actualité. Alors clairement, ça n'aurait jamais été au moment de préparer le mariage que j'aurais découvert que j'étais marié, en fin de compte. Et pas de fiancée jalouse, c'était déjà ça.

C'était tout de même bien plus "facilement" que Reine avait découvert le fin mot de l'histoire. En changeant sa carte d'identité. « Je ne côtoie pas les administrations. Je ne les côtoie plus depuis un bon nombre de mois, et j'imagine que si vous n'étiez pas au courant, nul doute que je ne l'étais pas non plus... » Après tout c'était elle et non pas moi qui avait dû changer de nom de famille après un mariage, comme ça se voyait beaucoup, malgré les quelques femmes qui "résistaient" et gardaient la totalité de leur nom de jeune fille.

Je savais que la situation pouvait déplaire à n'importe qui. Après tout, qui aurait aimé être marié(e) à un(e) auteur(e) qui n'a pas même les moyens de divorcer? Aux Etats Unis c'était tellement rare. Je ne vivais peut-être pas complètement de ce que j'écrivais, c'était vrai, mais j'avais des économies. Pour mon mariage. Enfin, mon autre mariage, celui qui aurait dû arriver et être le plus beau souvenir de ma vie. Pas le souvenir vague d'une église devant un faux Elvis... Et je ne me sentais pas de payer un divorce dont le mariage m'était complètement improbable et presque irréaliste. Si je demandais de l'aide à mes frères qui, eux, avaient les moyens, s'ils ne me diraient jamais de les rembourser, je savais que j'aurais le droit à toutes les moqueries du monde. Que j'aurais, bien évidemment, fortement mériter. Après tout, il fallait être sacrément con pour se marier avec une femme alors qu'à l'époque j'en aimais encore une autre. D'ailleurs, même aujourd'hui, je ne savais pas ce que j'éprouvais pour Claire. Ma rage était passée mais je refusais toujours d'avoir une vraie conversation ou même une vraie rencontre avec elle.

Je baissais les yeux devant les paroles de Reine. Comment dire...? « Voyez les choses du bon côté... Je n'ai pas les moyens de divorcer, mais j'ai des moyens quand même. Et en étant marié... » Je réprimais un frisson à la vérité que j'allais dire. Avec une inconnue sérieusement? « Tout ce qui est à moi est à vous. Donc si vous avez besoin de vous loger, d'argent pour rentrer chez vous... Techniquement, je suis votre banque. » Mais si elle n'avait aucune économie, peu importe ce que lui avait en réserve, comment allaient-ils finir par divorcer un jour? Reine avait beau être une femme sublime, aucun doute que si la situation stagnait, ils allaient être bloqués pendant un moment dans celle-ci.

Une idée commençait à germer dans mon esprit. J'aurais bien appelé Hermès, mais je savais d'avance qu'il dormait et que le déranger à nouveau serait probablement le signal de ma mort imminente. Et même si je lui avais dit de ne pas venir, mon éditeur ne pourrait strictement rien pour moi. Tant pis, ça attendrait sûrement. Puis c'était probablement une idée inutile, comme ça, dans le vent, et ça ne vaudrait pas grand chose.

J'avais légèrement glissé, avec beaucoup de tact et de ruse selon moi, l'annonce de mon mariage, même si j'avais largement omis de parler de l'annulation et des raisons. Pas la peine non plus de remuer le couteau dans la plaie. C'était assez douloureux. Je me contentais simplement de prendre un ton défaitiste, comme je savais bien le faire dans mes romans, mais cette fois, pour que ce soit une représentation réelle. « C'était voué à l'échec de toute façon. » Je lui souris, plutôt amusé par ce qu'elle avait eu à rajouter. « Ne vous en faites pas, je ne pense de toute façon ne plus rien à dire à ma "future femme". » Après tout ce n'était pas ma future femme. Ou du moins plus du tout et l'arrivée de Reine dans ma vie n'allait vraiment pas arranger tout ça. Point qui m'arrangeait d'ailleurs, Reine avait un petit je ne savais trop quoi de plus que Claire, ce petit plus qui risquait de bien la faire enrager si elle apprenait le tout, mais à propos de quoi elle ne pourrait finalement pas faire grand chose. Après tout, c'était bien elle qui avait jeté la pierre en premier sur notre couple. C'était de sa faute à elle si on en était arrivés là. Mais ça ne me dérangeait plus. Puis dans le cas où je me fasse écraser par un bus en sortant de chez moi, je pouvais dire que j'ai été marié à une femme exceptionnelle, même si je ne connaissais pas bien Reine. Après tout, cela faisait bien des mois que nous étions mariés. Je soupirai. Non, décidément, j'avais trop de choses en tête et je divaguais très sérieusement.