« Solaaaaange ! » Du bas des escaliers, Madeline attendait patiemment que sa soeur montre le bout de son nez. Du bout des doigts, l’inspectrice tapotait la rambarde. Non pas d’impatience, mais plus par habitude. Les yeux rivés sur l’étage, elle se permit de la relancer : « On va finir par être en retard ! » Car oui, désormais elles partaient assez souvent ensemble le matin, se rendant au même endroit pour travailler. Cela avait d’ailleurs été particulièrement étrange de croiser sa cadette dans l’enceinte du commissariat ! La trouver ici pour son premier jour avait été une vraie surprise, faisant naître quelques petites angoisses. Madeline s’était demandée ce qu’elle faisait ici… Avait-elle eu des soucis ? Avait-elle choisi de suivre le même chemin qu’elle et d’embrasser une carrière dans la police ? Par chance, ça n’était aucune de ces options, sans quoi Mad’s aurait été morte d’inquiétude. C’était peut-être à ce moment précis qu’elle avait compris les appréhensions qu’avaient eu son père et sa mère à l’annonce de ses projets professionnels. Là, Solange avait opté pour rester dans les coulisses et depuis qu’elles avaient longuement discuté à ce sujet, les choses se déroulaient simplement. Tout semblait finalement naturel et presque évident. Solange se faisait petit à petit sa place, Madeline gardait un oeil bienveillant sur elle et la complicité des deux femmes en était comme décuplée.

« Bon, je vais bient… » Mad’s n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’une petite tornade brune descendit les escaliers à toute vitesse. Un sourire étira les lèvres de la jeune femme, alors qu’elle s’emparait de son sac à dos et de ses clés. Elles étaient fin prête pour monter en voiture et prendre la direction du commissariat. Ces trajets étaient des petits moments durant lesquels les deux soeurs papotaient, échangeaient sur leurs vies respectives, se confiaient… Elles avaient toujours pris soin l’une de l’autre, en veillant à connaitre les soucis et bonheurs qui animaient leurs quotidiens et se soutenir. Mad’s s’installa derrière le volant, alors que Solange était déjà attachée, motivée comme jamais. « Je ne sais pas où tu trouves toute cette énergie ! » -commenta l’aînée, en rigolant doucement.

À la réponse de sa cadette, Madeline ne pu s’empêcher d’afficher un air faussement surpris et vexé. Les sourcils froncés avec la fameuse ride du lion accentuée, un air légèrement sévère… Ce sous-entendu sur sa prétendue vieillesse était une blague, elle le savait bien et c’est pour cela qu’un sourire étira très rapidement ses lèvres rosées. Comme à chaque fois, elle aurait pu être prête à prouver qu’elle tenait encore la route, en tout temps ! Solange s’amusait parfois de son statut de petite dernière et provoquait sa soeur, qui entrait volontiers dans son jeu. Cela entrainait par moment des situations cocasses ou encore des petites compétitions amusantes entre les deux brunettes. Ce matin, malheureusement, elles n’en auraient probablement pas le temps, à cause -entre autre- d’un gros dossier que devait reprendre Madeline. « On va se détendre, jeune fille ! » -lança-t-elle avec ce sourire constant au bord des lèvres, accentuant volontairement la fin de sa réplique comme si elle s’adressait à une fillette. Après tout, Solange allait à tout jamais rester sa petite chipie adorée, sa cadette, sa princesse… Un petit ange sur qui il fallait veiller !

D’ailleurs, Mads n’avait pas manqué une seule de ses mimiques, de ses sourires, de ses petits gestes… Sa sœur était captivée par son portable, prête à le dégainer à la moindre notification. Mais la jeune femme n’avait pas fait la moindre remarque à ce sujet. Même si ça la démangeait, elle préférait prendre le temps d’évaluer encore un peu la situation. C’était son côté « enquêtrice » qui faisait ça ! Quoique c’était peut-être un truc de famille, puisque Solange y allait elle aussi de ses interrogations, au sujet de son couple. « Honnêtement ? - Elle émit une toute petite pause et reprit aussitôt : …Ça va ! Bien mieux que ce que j’aurais pu imaginer. » Les dernières révélations au sein de leur relation avaient été surmontées avec moins de difficultés que ce que Madeline avait pu penser durant toutes ses années de silence et de secret. Elle avait tellement angoissé à l’idée de parler de cette fausse-couche qu’elle en était sûrement arrivée à amplifier ses craintes. Et là, Valentino avait été d’une telle compréhension… D’une telle bienveillance… Qu’elle avait encore du mal à réaliser que tout ne s’était pas écrouler comme un château de cartes malmené par le vent. « Tu t'inquiètes ? » -demanda-t-elle, d'une voix attendrie.

« Série dramatique »… Les mots employés par sa cadette n’étaient pas anodins et ils résonnaient dans l’esprit de Madeline. Il était vrai que leur couple avait traversé pas mal d’épreuves et qu’avec une bonne dose d’autodérision l’inspectrice pouvait aisément se comparer à l’une de ces héroïnes de séries télévisées. Pourtant rien n’était faux et joué entre eux. Rien n’était exagéré mais simplement vécu pleinement, avec sincérité et passion. C’était peut-être ça qui les avait mené si loin : des sentiments puissants, retenus trop longtemps et exprimés avec brutalité. Que Solange se soit inquiétée de la situation touchait profondément la jeune femme. Même si elle savait que sa petite soeur avait été et serait probablement toujours là pour elle, elle ne pouvait s’empêcher d’être attendrie par cette bienveillance. Depuis ce qui lui était arrivé, Madeline avait une sensibilité exacerbée, à tel point qu’elle en venait à douter de mériter ces attentions. « Tu crois ? » - demanda-t-elle innocemment. Oui, elle avait tendance à faire barrage à tout un tas de souvenirs et de douloureuses émotions, par crainte qu’on ne lui porte une bienveillance que soit disant elle ne méritait peut-être pas. Avoir retrouvé Valentino relevait déjà d’un sacré travail sur elle-même, saupoudré d’une pincée de chance. Jamais elle n’aurait pu imaginer qu’il prenne les choses ainsi, ayant toujours pensé que la blessure et le choc d’une telle annonce auraient indéniablement fini de tout briser entre eux. L’effet inverse s’était produit et désormais elle s’efforçait de davantage communiquer avec elle, sans craindre l’abandon. Si la confiance revenait pour de bon entre eux, alors peut-être que la culpabilité de la brunette finirait par s’envoler. Réalisant aussi qu’elle allait mieux en partie grâce au soutien infaillible de sa petite soeur, Madeline posa instinctivement sa main sur la sienne, la serrant d’une douce pression. « Je voulais te remercier ma puce… Je ne le dis pas assez à mon goût, et tu mérites de l’entendre beaucoup plus souvent. » Si elle n’avait pas été au volant, elle aurait sûrement pris ce petit ange gardien dans ses bras, l’enveloppant d’une attention et d’un amour tout particulier, ceux d’une grande soeur reconnaissante. Madeline pouvait défendre sa soeur contre le monde entier, la protéger et veiller sur elle, mais parfois elle devait reconnaitre que les rôles avaient été inversé et qu’elle n’aurait peut-être pas surmonté tout ça sans elle.

Le soupire et la question qui suivirent piquèrent à vif la curiosité de Madeline, un peu surprise par l’attitude de sa petite soeur. Et ça n’était pas une petite question anodine ! Le regard de l’inspectrice se détourna de la route quelques secondes pour se poser sur la jeune femme, qui pour sa part regardait ailleurs. Impossible de cerner son état d’esprit ainsi… « Tu vas sûrement trouver ça cul-cul mais… Je l’ai su quand j’ai eu cet énorme et indescriptible boule au ventre à l’idée de le perdre. » En expliquant cela, Madeline esquissa un sourire en coin. Elle n’avait jamais cessé d’aimer Valentino. « Quand il te manque alors qu’il vient de quitter la pièce… Que tu as hâte de le retrouver alors que vous vous êtes dit au revoir deux heures auparavant… Que tu trouves un abris dans la chaleur de ses bras et qu’il n’y a aucun autre endroit au monde où tu te sens si bien. » Elle avait détailler ces petites choses d’une voix douce, tout en regardant droit devant elle. Comme si elle avait confier tout ça à Valentino. Mais pour détendre l’atmosphère et éviter que sa soeur se retourne le cerveau en cherchant à savoir si elle ressentait tout ça pour quelqu’un, Madeline teinta son discours d’une pointe d’humour. « Je suis devenue une vraie guimauve, c’est incroyable ! Bébé -comme elle la surnommait souvent- qu’est-ce qui te tracasse ? »