Il était difficile pour Isaac de déterminer s’il était guidé par son habituel perfectionnisme - et dépendance au travail - ou s’il carburait aux pensées négatives qui le torturaient depuis les dernières semaines. Le grand brun tentait d’écarter les derniers souvenirs de sa rencontre avec la famille Reeves en emplissant son esprit d’une liste de taches sans fin, allant de l’achat de la maison qui était maintenant fait, au démarrage de son entreprise personnelle. Personnelle… Cela sonnait fou, même lorsqu’il ne le disait qu’à lui-même. Jamais il n’aurai cru se séparer de la Reeves Corporation. Jamais il n’aurait cru cela nécessaire. En tant que co-héritier, il avait toujours pensé que la transition entre le direction de son père et celle de son demi-frère se ferait en douceur, sans réellement l’affecter. Toutefois, ce n’était pas ce qui était arrivé et l’orgueil d’Isaac n’avait pas su tolérer tout ce qui aurait été sa nouvelle vie s’il n’avait pas quitté Miami. Dans les rares moments ou il tentait de se rassurer, il repensait à ses acquis : Ses contacts qu’il avait su garder à l’étranger, ses contrats prometteurs qui bourgeonnaient ici et là dans ce nouvel État… sa nouvelle maison et la chance que Kaythlin l’ai suivie dans cette aventure sans se braquer contre lui. Après tout, il y eu un temps ou ils seraient simplement partis chacun de leur côté en espérant ne plus jamais se revoir. Cela lui semblait si loin et, pourtant, leur réconciliation ne remontait qu’à peu de temps auparavant.

Isaac soupira. Assis à son nouveau bureau qu’il avait du faire faire sur mesure à cause de ses goûts toujours trop exigeants, toujours trop perfectionnistes, il tentait de lire pour la troisième fois un contrat qu’il n’arrivait pas à conclure. Lui et le client ne s’entendaient pas sur des broutilles, mais le bahaméen ne savait lâcher prise. Si l’un des deux était insatisfait de l’entente, il était certain que quelque chose ne se déroulerait pas tel que voulu durant le processus et, entre un Isaac mécontent et une mauvaise évaluation d’un nouveau client, aucune option ne plaisait à l’homme d’affaire. C’était surtout que, pour limiter les dépenses pour ce début d’entreprise, Isaac n’avait engagé que le minimum de personnel. Il faisait donc l’essentiels pour les photos, les retouches, les montages, mais aussi pour les rencontres, les contrats et tout le reste, ne laissant que très peu à un nouvel aide graphique et un nouvel assistant. Rien que s’habituer à quelqu’un d’autre que Joyce était une montagne pour lui et il espérait sincèrement faire une offre à la jeune femme restée à Miami, et cela, sous peu. Joyce le savait et ils restaient en contact, mais il ne pouvait pas encore certifier les mêmes conditions de travail que la Reeves Corp tant que l’embryon de compagnie qu’il montait n’était pas stable. Il se donnait environ 6 mois pour évaluer la rentabilité et, ainsi, faire une offre à son ancienne assistante. D’ailleurs, la finalisation de ce contrat aurait été beaucoup plus simple si son agenda était géré par la femme…

Cette dernière pensée fut interrompue par un léger tambourinage à sa porte. Il leva simplement les yeux, sachant qu’il avait précisé être disponible en tout temps les premiers temps afin de bien gérer les questions et incertitudes de ses nouveaux employés. La porte s’ouvrit sur la secrétaire qui lui intima d’un air incertain qu’une demoiselle s’étant présentée comme sa fiancée attendait à l’entrée. Isaac resta perplexe un instant, entre l’idée que Kaythlin aurait déjà dû avoir les autorisations pour entrer et le soulagement que la métisse n’avait pas décidé de passer l’accueil en laissant le personnel courir derrière elle. Elle était bien plus sage que lui. Il était submergé de travail et elle, elle avait attendu plusieurs semaine avant de penser venir le déranger sur place… soit c’était important, soit il était réellement temps qu’il prenne une pause pour ne pas briser ce qu’il tentait de construire avec elle avant le déménagement.

D’un geste, il se leva pour se rendre à l’entrée. Il remercia son employée alors qu’il passait à côté d’elle, se rappelant mentalement qu’il devait faire des efforts pour être un meilleur employeur maintenant que son nom était tout ce qui tenait ce bureau. D’un pas rapide, comme s’il avait oublié qu’il n’était pas nécessaire de se presser - et surtout que l’entrée était moins loin que dans les immenses immeubles auxquels il était habitué - il rejoint la brunette en moins de deux. Sa petite fiancée leva les yeux, puis s’excusa de le déranger. Sans réellement savoir ce qu’il devait lui répondre, il resta muet pendant la seconde qui resta en suspend. Bien rapidement, Kaythlin lui demanda de lui faire visiter l’endroit. Par intérêt ou parce qu’il était trop souvent absent? Difficile à savoir à première vue. D’un geste de la main, il lui offrit de le suivre.

-Après toi. Il te faudra une carte d’autorisation pour accéder aux bureaux… puisqu’ici, tu n’es plus une employée.

Il tenta de ponctuer ses paroles d’un sourire, mais ce fut un fantôme qui apparut sur ses lèvres, trop préoccupé. Le jeune Reeves guida sa compagne à travers les couloirs, prenant le temps de lui indiquer les quelques endroits importants. Situé sur un seul étage, l’endroit comportait quelques bureaux pour les quelques employés et assistants, deux studios de photographie, une chambre noire, un département d’imprimerie. D’ailleurs, Isaac compléta la visite de quelques informations qu’il trouvait importantes.

-L’imprimerie est surtout pour les épreuves et les commandes uniques : les commandes en grande quantité devront être envoyées à un imprimeur spécialisé puisqu’il n’y a pas assez de place ici pour le moment. C’est un moindre mal, mais cela augmente légèrement les coûts d’impression dans les contrats actuels…

Le couple arriva enfin à la dernière porte au fond, là ou Isaac avait installé son bureau. C’était plus simple de ne pas être dérangé ainsi, surtout lorsqu’il travaillait tard le soir, ce qui n’avait pas quitté les habitudes de l’homme. Gentleman, le grand brun ouvrit la porte à sa fiancée, la laissant entrer dans son repaire. Bien sur, beaucoup des effets habituels s’y retrouvaient : Son bureau présentant des ordinateurs adaptés pour ses multiples tâches, quelques étagères de références, des classeurs pour ses dossiers et contrats… un futon pour s’il devait dormir sur place et sa fameuse station à thé pour lui permettre de survivre à ses longues journées. D’ailleurs, il en proposa à sa manière à Kaythlin immédiatement une fois qu’il eut fermé la porte derrière elle.

-Je vais refaire du thé.

Sitôt dit, il se dirigeait vers la station.

-Tu peux t’asseoir dans n’importe quelle chaise ou sur le futon.

Revenant vers elle, deux tasses à la main, il humecta ses lèvres, sachant qu’il devrait aborder certains sujets avec elle… et qu’elle était certainement venue le voir pour cela. D’une voix plus douce qu’à son habitude, trahissant bien ses réflexions des dernières semaines, il tenta d’entamer la conversation.

-Il va falloir que tu me dises quand m’arrêter, car on sait tous les deux que je ne prendrais jamais de pause par moi-même…

Prenant place dans une chaise en face de son interlocutrice, le directeur de l’endroit serra sa tasse chaude à deux mains.

-Est-ce qu’il te manque quelque chose? Est-ce pour la maison ou pour ton stage, peut-être?

Le sourire que lui offrit sa fiancée ne suffit pas à rassurer Isaac : il se disait maintenant qu’il y avait certainement quelque chose qui tracassait la jeune femme. Après tout, il était un peu présomptueux d’imaginer qu’elle s’était déplacée jusqu’à son bureau seulement pour voir ses beaux yeux. C’était tout de même un début de savoir qu’elle avait zieuté les alentours et que la métisse avait visualisé des endroits à visiter… cela voulait au moins signifier qu’il n’avait pas à s’inquiéter qu’elle lui annonce que ses valises étaient faites et qu’elle retournait à Londres. Premier pas. Second pas, il pris les devant afin de lui demander si elle manquait de quelque chose. La réponse de sa compagne coulait fluidement jusqu’au fameux “mais”, le fameux objectif qui justifiait sa visite. Une courte pause tint le directeur en haleine, pause durant laquelle son esprit se fit vide. Il n’était pas le genre d’homme à se faire des scénarios : il préférait de loin atteindre et faire face aux faits. L’esprit calculé du jeune Reeves trébucha à la mention d’un possible déménagement en Russie, mais il comprit bien vite que c’était seulement la façon imagée que Kaythlin employait pour s’exprimer. Le vrai dilemme vint. Des réponses concernant la cause de leur déménagement. Le Bahaméen senti un noeud se former dans sa gorge, bien qu’il tenta de l’ignorer. Il n’avait pas le désir d’en parler, même avec elle. Même si elle avait droit à des explications. Même si.. Et puis, Kaythlin connaissait à peine sa famille, alors que même les grandes lignes lui avaient été épargnées depuis tout ce temps. Elle avait eu le malheur de rencontrer Sue, puis elle avait rencontré Bianca et Adams. Avait-elle déjà vu sa demi-soeur et son demi-frère? Son cousin, Shawn, avec qui il avait passé la majeure partie de son enfance? Tout cela roulait en boucle dans l’esprit du brunet qui se demandait s’il lui fallait réellement aller si loin. Peut-être qu’il pouvait simplement lui intimer qu’il avait eu une dispute d’héritage et qu’il avait préféré ne pas continuer suite à la retraite d’Adams. C’était clair, concis et compréhensible. Mais en levant les yeux et en rencontrant les pupilles noires de sa fiancée, Isaac sur que ce ne serait pas suffisant. Cela pourrait combler un vide quelques temps, colmater momentanément les incompréhensions de Kaythlin… mais que ce passerait-il à la prochaine question? Que lui dirait-il lorsque le temps viendrait de s’établir plus sérieusement ensemble et qu’elle n’aurait même aucune idée de qui étaient les Reeves, qui pourraient être présent à leur mariage. C’était trop insécurisant pour passer leur vie ainsi.

Reeves soupira. Une bonne minute avait passée et aucun mot n’avait encore franchis ses lèvres.

Pour se donner le ton, il s’engagea plutôt à répondre à la deuxième question. Pourquoi la Nouvelle-Orléan? Il était si simple de parler de travail… Un peu maussade, un peu consciencieuse, sa voix s’éleva. Calme et claire.

-Mon domaine peut s’exercer dans différentes sphères. La Reeves Corporation fait de la publicité pour beaucoup de compagnies, même si mon domaine attribué était surtout celui de la mode vestimentaire. Seulement, j’ai travaillé longtemps à tisser des liens entre la Reeves corp. et cette sphère. M’y engager encore serait un peu de me battre contre tout le travail que j’ai fais jusqu’ici. Mais, surtout, cela voudrait dire que je devrais travailler sans cesse avec des jeunes femmes comme Victoria et Brooklyn, ce que … je vais tenter d’éviter le plus possible.

Il s’humecta les lèvres, laissant ces affirmations faire leur chemin dans l’esprit de la métisse. Ces deux demoiselles leur avaient fait leur torts, tour à tour, Kay ne pouvait le nier. Et Isaac, lui, avait besoin d’une pause de tout ça. Il avait besoin d’autre chose. Mais il était peut-être encore trop difficile de mettre le reste de sa pensée en mot, en ce sens. Il poursuivit donc : travail, travail, travail.

-Les études de marché de la Nouvelle-Orléans supposent qu’il y a une forte demande pour la publicité événementielle et touristique. Après quelques soumissions, j’ai réussis à signer suffisamment de contrats préliminaires pour satisfaire aux exigences afin que les chiffres d’affaire soient ... acceptables.

Isaac se disait bien que tout cela ne justifiait que leur arrivée et non leur départ. Et encore, il aurait pu choisir d’autres endroits. Mais Il désirait rester en Amérique, puisqu’il était à l’aise avec le marché. Le rythme de vie. La culture. La Nouvelle Orléan se trouvait sur la même côté que Miami, un peu plus éloignée des Bahamas. La température y était semblable, même si le paysage différait un peu. Le jeune Reeves se perdit dans ses pensées une minute, peut-être deux. Il n’avait toujours pas envie d’aborder ses affaires familiales. En relevant les yeux, il croisa le regard de sa fiancée et dût retenir un soupir. Il était probablement légitime qu’il partage cet aspect de à vie avec elle… mais c’était difficile de faire face à son orgueil, de mettre tout cela en mot.

Son esprit tournait en rond. Cela n’allait certainement pas s’arranger avec les murs cloitrés de son bureau. L brunet se leva, puis déposa sa tasse près de la théière.

-As-tu eu le temps de visiter le quartier?

Il prit un instant, suffisamment court pour que Kaythlin ai le temps de lui répondre.

-Je l’ai vu rapidement en venant visiter les locaux, surtout par repérage électronique pour l’étude de marché. On pourrait peut-être trouver un endroit où souper.

Ce n’était pas son genre, il le savait. Il sonnait faux, il le savait aussi. Mais il avait besoin de plus de temps afin de mettre en ordre tout ce qui devait se dire et il se voyait mal fermer la porte à Kaythlin, la renvoyant chez elle sans ce qu’elle était venue chercher. Son pire dilemme, il avait besoin d’apprendre comment s’ouvrir, en quelques minutes… Déjà debout, le grand homme se dirigea vers la porte afin de donner la lancée de leur excursion improvisée. Il se ravisa, reculant d’un pas pour enlever son veston de complet. Être ainsi habillé à l’air climatisé, c’était sa norme, mais il pouvait éviter ce supplément s’il ne faisait que se promener dans la rue avec sa compagne. Il restait tout de même habillé un peu trop proprement pour... peu importe où il iraient. Le directeur de l’endroit tint la porte à la demoiselle et la suivis jusqu’à l’extérieur, prenant soins d’arrêter à l’accueil pour confirmer à la secrétaire que le personnel pouvait le rejoindre en tout temps.

Une grande inspiration d’air frais lui changea instantanément les idée. Le soleil était trop éblouissant pour rester maussade. D’un pas presque léger, Isaac entraîna sa compagne sur les trottoirs qui les mènerait bien quelque part. Si possible, à un endroit inspirant pour discuter.

Isaac apprécia que sa fiancée ne tente pas de le questionner à nouveau une fois à l’extérieur. Elle n’était pas le genre de personne qui vous pousse au pied du mur afin d’avoir ce qu’elle veut et, pour cela, Isaac lui en était reconnaissant. Peut-être était-ce qu’elle avait une grande empathie, peut-être connaissait-elle simplement bien Isaac et qu’elle savait qu’il ne servait à rien de le forcer. Le grand brun parlerait en son temps. Il avait toujours eu besoin de plus de temps que les autres afin de mettre ses mots en place lorsqu’il s’agissait d’affaires personnelles. Kaythlin lui parla alors de galerie d’art avec un grand enthousiasme. Un léger sourire tinta les lèvres de l’homme, qui acquiesça.

-Il devrait bien y avoir des concepts intéressants. Es-tu réellement prête à m’attendre avant de les prendre d’assault?

Elle qui aimait tant ce genre d’endroit. Un sentiment étrange s’empara du Bahaméen. De la… nostalgie? Il se souvenait vaguement de la galerie d’art où la jolie métisse travaillait lorsqu’il l’a rencontrée. Il n’avait pas été très tendre avec elle à cette époque, venant même la voir à son emploi pour la déranger et même la mettre en colère. Il était étonnant qu’il se remémore ces moments avec nostalgie alors qu’il était lui-même souvent en colère contre elle… parce qu’elle l’avait frappé, parce qu’elle refusait de faire attention aux apparences.. surtout pour cette dernière raison. Mais maintenant qu’il la regardait, il se disait qu’il ne l'échangerais pas contre la femme la plus parfaite du monde. De toute façon, il arriverait à trouver des défauts même à une personne parfaite.

Une chaleur s'immisça dans la paume d’Isaac, qui fut surpris sans le laisser paraître. La main de Kay venait de s’y inviter. Les contacts physiques entre lui et elle étaient contenus au minimum, sans que cela n’ai une quelconque raison : il n’avait juste jamais réellement passer le pas d’être réellement à l’aise avec une proximité plus… naturelle. Ou romantique. Entre les notes des cuivres enjoués et la symphonies des voix des mille passants, le jeune Reeves eut l’impression que c’était le bon moment pour se rapprocher. Après tout, leur déménagement était un renouveau, un vrai. Il lui suffisait de… savoir comment faire. L'etape un de ne pas retirer sa main était déjà faite. Comme pour s’en assurer, il serra doucement les doigts de sa compagne un court instant, puis il tenta de ne plus y penser. Il y avait trop à voir, trop à entendre. Les restaurants, de part et d’autre de la rue, ne lui rappelaient en rien ce à quoi il était habitué. Pourtant, cela semblait aussi bien. Le fait qu’il se promenait avec Kaythlin rendait le paysage accueillant et il avait l’impression d’être en vacance, bien que c’était loin d’être le cas. Déjà, perdu dans ses pensées, le brunet ne cherchait plus le fameux restaurant où ils iraient manger. Sa fiancée le sortit donc de son esprit en lui proposant joyeusement un endroit plutôt cozy : un resto-bar avec terrassement sur le toit. Pourquoi pas. Isaac s’avança donc vers la porte d’entrée, entraînant par le fait même la métisse à son tour. S’ils entrèrent, une petite pancarte les retint d’aller plus loin que le portique. “Complet”. C’était ce qui était affiché en belle lettres cursives sur le comptoir d’accueil. Jetant un regard autour de lui, l’homme aperçu un serveur qui s'apprêtait à aller porter des assiettes vides dans les cuisines et le héla poliment. Une courte discussion lui fit comprendre que des places se libereraient dans la demi-heure suivante, mais que le premier arrivé était premier servit, et qu'ils ne prenaient pas de réservation. Reeves soupira.

-Nous allons attendre, merci.

Il n'avait pas réellement envie d'attendre. Tout aurait été réglé si facilement à Miami, dans l'un des cents restaurants où il était reconnu et pouvait avoir des passes-droits. Seulement, Isaac n'avait pas envie d'essayer de payer l'établissement contre leurs propres règles, il ne voulait pas prétendre à un titre qu'il n'avait plus. du moins, pas encore, pas ici. Et il voulait aller dans le restaurant que Kaythlin avait choisi. Se tournant vers elle, il lui offrit un air désolé.

-Allons dehors durant l’attente.

Il allait sortir, mais se ravisa, s’adressant plutôt au serveur.

-Puis-je vous demander un verre d’eau?

La politesse qu’il avait forcé dans sa voix, comme il n’avait pas l’habitude de demander - mais plutôt d’exiger - avait donné l’impression qu’il avait un peu trop réfléchis sa phrase. Il ne pouvait s’en cacher, tenter de se changer allait prendre beaucoup plus de temps que cela. Peut-être qu’il n’y arriverait pas totalement non plus…
Le verre d’eau arriva et Isaac mit le pied dehors, offrant immédiatement le breuvage à sa compagne.

-J’ai su que la chaleur aggravait l’asthme… Je ne sais pas si je dois m’inquiéter pour toi ou pour ton manque de jugement, du fait que tu aies choisis de vivre dans des États aussi chauds.

Le grand brun ne s’était jamais intéressé à la maladie de Kaythlin jusqu’à leur départ de Miami, en grande partie car il n’avait pas pris le temps. Toutefois, en choisissant de déménager en Nouvel-Orléan, il avait fait quelques recherches afin de ne pas choisir un endroit où sa fiancée serait à risque… pour découvrir qu’elle avait été dans un environnement inadéquat tout ce temps. Elle était réellement tête-en-l’air, parfois. L’homme leva la tête vers la terrasse où ils désiraient aller manger. Le toit d’un immeuble n’était certainement pas climatisé non plus. Il devrait prendre pour acquis que la demoiselle savait ce qu’elle faisait.

Plus vite qu’il ne l’aurait cru, le serveur revint leur proposer une table qui venait de se libérer, puis le guida jusqu’au toit. Si Isaac pris place, ce ne fut pas sans un sourire intéressé : Il devrait définitivement faire des photos à cet endroit lorsque l’occasion se présenterait. Ou peut-être pouvait-il prendre quelques échantillons avec son cellulaire. Sortant l’appareil de sa poche, il s’adressa à la jeune métisse.

-Je vais prendre une photo de toi avec le décors, pour mes échantillons. Peux-tu.. relever le menton, un peu?

Ce n’était que pour ses propres reccords, mais il prit ainsi quelques poses. Souriant à la dernière, il la montra à sa compagne en tournant l’écran vers elle. Il eut ainsi une pensée qui ne lui venait pas souvent et décida d’en faire part à Kay.

-tu devrais l’envoyer à Yoko. J’imagine qu’elle s’inquiète pour toi, dans tous ces changements et je ne voudrais pas qu’elle regrette que j’ai rayé le contrat de mariage signé par ton père…

N’était-il pas trop attentionné? Maintenant qu’elle était l< devant lui, malgré qu’il l’ai ignoré durant des jours à force d’être trop préoccupé, cela lui venait pourtant instinctivement. Il se sentait responsable de Kaythlin, comme si le fait de ne plus être sous la tutelle d’Adams lui donnait encore plus de responsabilité. Car d’avoir emmené Kaythlin dans tout ce changement de vie était seulement et uniquement sa faute, et qu’il devait s’assurer qu’elle aille bien. Bien sur qu’il lui devait plus de vérité, mais comment..

Le grand brun pianota sur son téléphone pour envoyer la photo qu’il venait tout juste de prendre sur l’appareil de sa compagne. C’était une jolie photo : Kaythlin avait ce don pour sourire naturellement. C’était bien différent des mannequins qui prenaient la pose… comme elle venait de le lui démontrer en changeant subtilement son premier choix de pose pour donner un cliché plus décontracté. Plus vivant.

En appuyant sur le coeur dans le coin droit de son écran, il remisa cette image dans ses favoris. Il avait fait cela sans réellement se demander les pour et les contres. Habituellement, cette option lui servait surtout à séparer ses échantillons de ses futurs projets. Kaythlin devait peut-être faire parti de ses futurs projets, non? Après tout… Après tout, personne ne s’était réellement attendu à ce que Isaac et Kaythlin se dissocient de leurs parents. Même pas Kaythlin. Le jeune Reeves avait fait cette décision seul, sachant très bien que, de toute manière, sa fiancée avait toujours eu envie de s’émanciper de l’autorité pesante de son père. Reeves, lui se sentait déjà plus léger malgré la charge de travail intense qu’il s’était lui-même imposé. Le travail ne l’avait jamais dérangé, n’est-ce pas?

Surpris de se faire demander de prendre la pose à son tour, mais sans objection, Isaac regarda l’objectif. Il était détendu, donc il se contenta d’un très léger sourire qui était pour lui plus naturel. Il resta silencieux alors que Kay recommençait à écrire sur son clavier. Bientôt, elle lui parla de la réaction de ses parents, terminant par un petit commentaire à mi-voix qui eu tot fait de ramener le presque trentenaire à son séjour à Londres, lorsqu’il avait rencontré Yoko. Elle avait tout de suite semblé agréable au jeune homme, même s’il n’avait pas pensé plus loin. Après tout, il désirait s'éclipser de la vie de sa fiancée à ce moment-là. Ces quelques mois plus tot, presque quelques années maintenant, lui paraissaient si loins. Isaac se permis à son tour un commentaire, mais il le fit de vive voix, toutefois.

-Si on avait su..

Il n’y avait rien de plus à dire. S’il avaient su, ils n’auraient rien fait de plus. Il auraient nié cet avenir, tant ils se repoussaient, puis s’attiraient. Kaythlin n’était certes pas la femme que le Reeves s’était attendu à trouver dans sa vie, mais c’était définitivement la première à avoir brisé tout ce avec quoi l’homme s’était barricadé. Tranquillement, elle lui était devenue plus indispensable qu’il ne l’aurait cru. Le mot “fiancée” roulait bien différemment dans son esprit maintenant, comme s’il avait peut-être une signification après toutes ces années à jouer avec Adams.
Le serveur arriva pour leur commande, interrompant l’esprit d’Isaac. Il aurait aimé alimenter un peu plus la conversation. Bien sur, il ne se sentait pas encore tout à fait prêt pour atteindre le vrai sujet, celui que Kaythlin était venu découvrir. Une inspiration. Il devait commander.

-Le huitres Rockfellers, merci. Je vais aussi prendre aussi un Minth Julep.

Commander de l’alcool n’avait pas été dans les plans de base de l’homme d’affaire, mais il voyait là une belle opportunité de se détendre et peut-être bien d’avoir une excuse pour ne pas retourner travailler jusqu’à l’aube. Il devrait définitivement passer la soirée chez lui … Après tout, s’il s’était installé avec sa fiancée dans une maison, ce n’était certainement pas pour continuer son chemin sans jamais s’y arrêter. Il y avait le travail et les relations, choses qu’il avait maintenant appris à séparer. Il devait en parler à Kaythlin. Quand le serveur acquiesça et tourna les talons, le grand brun humecta ses lèvres. la métisse regardait au loin, alors que lui la regardait sans savoir comment aborder le sujet. “Ça fait du bien de sortir un peu de ta grotte, pas vrai!” Ces mots le sortirent de ses trop profondes réflexions alors que ses yeux tombèrent dans ceux de sa compagne. Isaac se redressa légèrement, s’étira subtilement le dos pour enlever le poid qui semblait peser sur ses épaules, puis rendit son sourire à la demoiselle. Un sourire presque vrai, presque fantôme.

-Je promet de le faire plus souvent quand tout sera enfin bien installé. C’est injuste pour toi que je t'achète une maison pour t’y laisser seule. J’espère que tu ne t’y ennui pas trop.

Tout cela résonnait comme s’il était attentionné, mais il était aussi possible qu’il s’agissait de regret formulé comme quelques formalités. Il s’en voulait qu’elle soit seule, mais il ne pouvait regretter d’être au travail. C’était sa nature. Mais il ne pouvait nier qu’il aimerait prendre le temps de mieux connaître sa future femme, maintenant qu’il était clair qu’il désirait passer les prochaines années avec elle. Le souvenir de leurs quelques baisers et l’accident de la croisière lui brûla presque les joues alors qu’il réfléchissait à une possible proximité. C’était évidemment vers là qu’il désirait aller, sauf qu’il était encore si peu naturel pour lui de faire un pas en cette direction.

-J’aimerais que l’on sorte plus souvent. Ensemble.

Si c’était dit maladroitement, ça avait le mérite d’être sincère. Isaac inspira, passant le bout de ses phalangettes dans ses cheveux.

-Mais je ne sais pas quoi te proposer, sinon des soirées de courtoisie ennuyantes où il faut savoir danser.

Un sourire en coin apparut aux commissures des ses lèvres, alors qu’il fixait sa compagne, incertain. Le serveur arriva avec les rafraîchissements à ce moment, profitant du silence que créait le malaise de son client pour repartir le plus vite possible vers d’autres tables une fois les commandes déposées.

-Kaythlin…

Il devait s’y résigner. Ce ne serait pas réglé tant qu’il ne parlerait pas. Il ne sera jamais proche d’elle s’il ne s’en approche pas. Il fallait peut-être simplement arracher le pansement d’un seul coup…

-J’ai demandé à être déshérité de la compagnie de mon père. C’est pour ça que nous avons quitté Miami. Et que j’ai quitté la Reeves.

Il s'était résigné à lui dire avant même de prendre une goutte d'alcool, c'était déjà ça.. Il surveilla la réaction de la jeune fille. Il savait que Kaythlin ne se sauverait pas en courrant alors qu’il venait de lui annoncer qu’il avait renoncé à des milliers de dollars, mais beaucoup d’autr le feraient. Elle, qu’en pensera-t elle ?

Les questions s’étaient bousculées dans la bouche de Kaythlin, tel qu’Isaac l’aurait prédit. C’était un geste incompréhensible, même pour lui-même. Pour ainsi dire, cela avait été… un suicide professionnel. Mais le brunet espérait que son intuition le mène plus loin que sa raison pour une fois. Ce renouveau ne pouvait qu’être un coup dur, mais il se disait que dans quelques années, tout irait pour le mieux. Peut-être plus tôt, s’il travaillait suffisamment pour compenser. La jeune femme termina sa lancée sur un peu de compréhension concernant leur départ en catastrophe pour déménager en Nouvelle Orléan. Le jeune Reeves hocha simplement la tête, taraudant son verre du bout des doigts, se retenant de s’y suspendre. Pour un homme de fer, têtu, borné, et tout ce que ses anciens employés aimaient dire à son sujet, il lui semblait avoir les épaules beaucoup moins solides dernièrement. Une belle façade.

Sa fiancée lui proposa doucement son aide et Isaac ne put réprimer un sourire.

-C’est noté. Je vais remplir ton agenda suffisamment pour que tu regrettes de m’avoir proposé cela un jour…

Lui jetant un oeil, il se ravisa de laisser cette blague douteuse en suspend.

-Si j’avais le temps de me présenter à des soirées, du moins.

“Mais, je crois que tu avais vraiment besoin de cette soirée”. L’homme d’affaire inspira doucement. Oui, cela lui faisait un grand bien. Il ne s’était pas souvent permis de prendre du temps pour lui dans sa vingtaine et il avait travaillé avec ardeur pour que, finalement, tout cela aille s’échouer dans les mains d’un autre. Et même si Isaac savait qu’Adams n’avait pas fait cela pour mal faire, sa retraite aurait certainement dûe être mieux planifiée que cela. Se voir traité comme un subordonné alors qu’on hérite d’un tier des parts d’une compagnie, ce n’est pas ce qu’on qualifierait de “glorieux” comme travail. Jamais l’orgueil du PDG ne l’aurait permis, jamais il n’aurait pu supporter cela année après années. Il préférait tout sacrifier.

-Oui.

Il n’osait le dire à voix haute, et ce n’était certainement pas le temps, mais Isaac espérait éventuellement travailler moins. Moins que dans les années passées. Quitte à ne pas gagner ses quelques centaines de mille qu’il gagnait d’ordinaire en salaire… mais il ne savait pas “combien moins” il pourrait se permettre. Et puis, il avait des projets coûteux.


-Je n’aurais pas le choix de prendre du temps, à l’occasion. J’ai à peine vu la couleur des murs de notre maison, je ne connais rien de la ville, ce qui ne m’aide pas à orienter mon travail…

L’homme passa une main dans ses cheveux, incertain de s’il devait poursuivre sa phrase, ce qu’il fit tout de même après avoir pesé ses mots.

-Et on à un mariage à planifier.

Son ton s'assombrit pourtant, ce faisant. D’un geste hésitant, il déposa sa paume contre le dessus de la main de sa compagne. S’éclaircissant la voix, il en profita pour s’humecter les lèvres. Sa bouche entrouverte ne laissait s’échapper aucun son, comme en attente. Puis cela vint, d’une voix plus sérieuse, plus “signature de contrat et poignée de main” qu’il ne l’aurait voulu.

-Je.. j’aurais dû t’en parler. Peut-être que tu n’as pas l’intention de… Je veux dire, je n’aurais plus le même salaire. Et je viens de me rendre compte que cela allait t'affecter également.

Sa main lâcha celle de Kaythlin pour venir se poser sur son propre front. Cette fois-ci, il se permit de prendre une gorgée de sa boisson, grommelant à demi-mot. Le Bahaméen avait rarement demandé son avis à sa fiancée, certe, mais il n’avait jamais été question d’argent, ce qui était, il fallait le dire, la principale raison de la popularité d’Isaac auprès de la gente féminine. Sans pièces dans la balance, que valait-il? S’il savait pertinemment que Kaythlin n’était pas ce genre de femme, il avait tout de même un doute quant à sa valeur actuelle. Enfin, il soupira.

-Peut-être que j’ai assumé beaucoup de choses que je n’aurais pas dû.

Isaac écoutait ce que Kaythlin avait à lui répondre. Il était étonné, sans mot. Bien sur, la jeune femme avait toujours eu une sensibilité et une ouverture d’esprit qui déstabilisait sans cesse le grand brun. Était-ce un don, un mode de vie.. Il ne savait pas. Mais pour lui, cela s’était avéré une bénédiction. Isaac ne put s’empêcher de sourire lorsqu’elle mentionna qu’elle voulait être avec lui. Aucune femme n’aurait pu lui dire cela et espérer une réaction par le passé. Pire, ces mots auraient signé l’arrêt de leur relation.. Mais avec Kaythlin, ces mots le rendaient heureux. Il avait tant changé. Elle l’avait tant changé.

Il dut passer une main dans ses cheveux, les renvoyer vers l’arrière, alors qu’il réfléchissait à ce qu’elle lui cuisinerait probablement.. Il n’avait pas l’habitude de la cuisine maison. Autant sa compagne et colocataire tentait de lui faire découvrir sa cuisine à l’occasion, autant avait-il de la difficulté à ‘descendre ses critères’. Il avait eu une cuillère d’argent dans la bouche toute sa vie et cela s’appliquait également à la cuisine cinq étoiles 3 fois par jour. Il avala subtilement sa salive, tentant de ne pas penser plus loin à cet aspect.

Lorsqu’elle lui parla d’ours, l’homme d’affaire leva un sourcil, mais il ne dit rien. Ce n’était pas un fan des surnoms et il se souvenait très bien que les seuls fois ou il s’était mérité un diminutif dans sa vie, la personne était en colère ou tentait de l’amadouer. Il dut balayer ces souvenirs de sa tête : Kaythlin n’essayait certainement pas d’être mesquine en le traitant ...d’ours? Il ne voyait pas tout à fait la similitude avec lui, mais il n’ajouta rien. De toute manière, elle était si mignonne en mentionnant que c’était ‘SON’ ours la seconde fois qu’il se dit qu’il pourrait bien s’y habituer.

-Mademoiselle Gallagher, si je ne vous avais pas déjà fiancé, j’irais lancer tout l’argent qu’il me reste au premier bijoutier que je trouverais pour le faire.

Son visage ne semblait pouvoir divulguer s’il s’agissait d’une blague ou d’un commentaire sérieux tant sa voix était calme et certaine. Alors qu’il n’avait pas pris une bouchée depuis un moment, il se permit de dévorer l’une de ces huîtres. C’était savoureux, il n’y avait pas de mots pour bien exprimer ce fait.

-Il faudra revenir, c’est un bel endroit.. et la nourriture vaut certainement le temps pris en dehors du bureau. Je..

Il voulait la rassurer pour les temps à venir. Même si elle ne semblait pas être inquiète, il ne pouvait s’empêcher de l’être. Du moins, il aurait aimé la rassurer, mais l’évidence qu’il avait encore beaucoup de pain sur la planche pour la soirée lui coupa les mots qu’il avait tenté de prononcer. Il soupira.

-Veux-tu venir faire quelque chose à la Reev.. au bureau, ce soir..? Je ne peux pas.. Je ne peux pas rentrer. Mais peut-être que tu peux installer ton matériel de peinture près de ma table de travail. C’est une maigre compensation, mais peut-être que cela pourrait me rappeler de revenir dormir à la maison plus tard.

En discutant de bon coeur, le repas passa plutôt rapidement. Et si le temps de revenir au bureau arriva rapidement, c’était déjà d’un pas plus entraînant que Isaac se remis à la tâche.