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| Sujet: Dear Daughter, these are words that every girl should have a chance to hear (Helise) - Jeu 25 Juin - 10:21 | L’assistante sociale a appelé ce matin. Toute ma vie, j’ai prié pour que ce moment n’arrive jamais. Je sais que ce n’est pas ce que tu veux entendre, mais c’est la vérité et on ne peut rien contre ça. Ce n’est pas que je ne t’aime pas, je ne te connais pas, mais je suis persuadée que tu dois être une jeune femme incroyable, c’est juste… Je ne sais pas quoi te dire. Et j’ai peur, tellement peur de voir ton visage et de regretter. Il est trop tard pour ça. Je comprends que tu veuilles une explication, cela dit et je te dois bien ça. Alors…
Par où commencer ? J’imagine que tu te fiches de savoir où je suis née ou à quoi ressemble ma famille. Peut-être que non. Ce serait tellement plus simple si je pouvais répondre directement à tes questions, mais je ne suis pas encore prête pour ça. J’espère que tu comprendras.
Ma vie, alors. Née à La Nouvelle-Orléans, famille modeste. Mes parents ont fait de leur mieux, ils n’étaient pas méchants, seulement différents de moi je suppose. J’ai deux petits frères. Je les aimais tellement, si tu savais, mais comme pour beaucoup d’autres choses dans ma vie, je m’en suis rendue compte trop tard. J’étais une gamine timide. Renfermée. C’est ce qu’on disait, en tout cas, mais moi je ne me sentais tout simplement pas à ma place. Comme si je n’étais pas née dans la bonne famille, peut-être que tu vois ce que je veux dire, que tu as ressenti ça aussi ? C’est faux, bien sûr, autant pour toi que pour moi, mais va dire ça à une gosse, hein ? Toute mon enfance, je n’ai rêvé que d’une chose : partir. Je voulais quelque chose d’autre, même si je ne savais pas quoi exactement. Je voulais qu’on me comprenne, qu’on m’accepte comme j’étais. Je voulais faire de grandes choses. Tu as déjà vu “Diamants sur canapé” ? J’adorais ce film, c’était mon rêve : trouver l’amour, être libre, mener la grande vie ! C’est stupide, je sais. Je le sais aujourd’hui, en tout cas.
J’avais quinze ans quand j’ai rencontré Lucas, pendant la soirée du Nouvel An en 2000. C’était incroyable, ce soir-là ! On s’attendait tous à ce qu’avec ce nouveau millénaire survienne quelque chose d’incroyable. Je ne sais pas pour les autres, mais ma vie a changé en tout cas. Je crois que je ne comprendrais jamais pourquoi les parents laissent leurs enfants adolescents organiser des fêtes sans la surveillance des adultes. C’était sûr qu’il y aurait de l’alcool ! J’espère que tes parents veillent mieux sur toi que les nôtres le faisaient à l’époque.
Bref, Lucas… Tu dois comprendre que j’étais jeune et surtout naïve. Personne au lycée ne faisait tellement attention à moi, à l’époque, alors rien que le fait que je sois invitée à cette fête, c’était déjà énorme à mes yeux ! Et quand ce type s’est mis à me parler… Il n’allait pas dans notre lycée, mais je suppose qu’il devait connaître quelqu’un à la fête. Je ne me souviens pas trop de ce qui est arrivé ensuite, j’essaye de ne pas m’en souvenir depuis si longtemps. Je n’oublierai jamais le réveil, cela dit. Le premier jour de l’année 2000, ce lit qui n’était pas le mien, le mal de crâne, l’odeur de l’alcool et cette douleur. J’ai retrouvé mes vêtements sous le lit, je me suis habillée et je suis rentrée chez moi. Je savais que quelque chose s’était passé, mais je ne savais pas vraiment à qui en parler. Pas à mes parents, ça c’était hors de question. Peut-être que si j’avais eu quelques amis, de vrais amis… Je pensais que je n’en avais pas, alors je n’ai rien dit.
On me trouvait déjà différente avant ça. Triste, pas drôle. Après… J’allais mal, vraiment mal. Je ne mangeais presque plus, ne parlais presque plus. Je voulais disparaître. Mourir. Je crois que c’est pour ça que je n’ai pas remarqué tout de suite que j’étais enceinte. Et quand je l’ai enfin compris, il était trop tard pour y faire quoi que ce soit. Mes parents l’ont découvert aussi, bien sûr. Ils étaient fous de rage, anéantis aussi. Mon père m’a forcée à porter plainte, mais… Eh bien, je ne sais pas où est Lucas en ce moment, mais je suis sûre que ce n’est pas en prison. Quand le bébé est né, ma mère voulait le garder, s’en occuper pour moi, à ma place, mais c’était trop pour moi. Je voulais seulement oublier, vivre dans le déni d’une certaine façon. Alors on lui a trouvé la meilleure famille possible et on a repris le cours de nos vies. Presque comme si de rien était. Personne n’a jamais vraiment oublié à la maison, mais on prétendait que si. J’ai terminé le lycée l’année suivante et je suis partie aussi loin que possible.
En Californie, je rêvais de devenir quelqu’un. Ça n’a jamais trop fonctionné. Je n’avais aucun talent, si ce n’est celui de faire ce qu’on me disait, d’être prête à tout pour prouver ma valeur. C’est un peu par accident que j’ai fini dans une agence artistique. Assistante de l’assistante de l’assistante, au début, tu sais ce genre de connerie sans intérêt. Je côtoyais les plus grandes stars, toujours de loin, mais c’était déjà ça ! J’allais à des soirées, à des fêtes, des événements tous les soirs. J’oubliais.
Je m’en suis sortie. Je sais que ce n’est probablement pas ce que tu veux entendre non plus. J’ose à peine imaginer toutes les choses terribles que tu as dû penser en grandissant, quand tu as su que tes parents n’étaient pas vraiment tes parents, que ta mère t’avait abandonné. Ça me terrifie d’y penser, à vrai dire. Peut-être que tu aurais préféré que je laisse ma mère prendre soin de toi. J’étais une gamine et je voulais mener une vie normale, ça impliquait que tu ne sois pas dedans et je suis désolée. J’espère simplement que tu sais que ce n’est pas ta faute si j’ai pris cette décision. J’aurais pu apprendre à t’aimer, j’en suis sûre, mais je n’étais pas encore prête à essayer. Je ne suis pas sûre de l’être encore aujourd’hui. Quand l’assistante sociale m’a dit que tu voulais me rencontrer, j’étais complètement perdue. Tu es toujours ici, dans cette ville où on est nées toutes les deux et j’y suis aussi maintenant. C’est terrifiant. Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? |
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