BOUM BOUM. Qu'est-ce que je faisais là ? Mes tympans allaient finir par lâcher. Il était possible de laisser ses voisins écouter de la musique aussi fort? J'en doutais. En tout cas, ce n'était pas dans le quartier des Îles Vénetiennes que je trouverai un voisin aussi compréhensif. La vie la nuit faisait partie du City Park. Ce n'était pas un endroit que je fréquentais généralement. Pour être honnête, je ne savais même pas ce qui m'avait vraiment poussée à venir. Les rumeurs à la faculté? Les gens de mon amphithéâtre qui étaient venus jusque dans la boulangerie-pâtisserie où je travaillais pour me proposer de me joindre à eux ce soir-là? Non, honnêtement, ce n'était même pas une bonne raison. Peut être avais-je simplement voulu m'intégrer. Pouvoir dire que je n'étais pas ce genre de ratée qui aurait dû suivre un BTS et basta. Mais voilà, quand c'était moi, c'était bien plus compliqué. J'étais la fille anorexique aux amis avec une santé bien moins durable que la mienne et qui ne feraient pas long feu.
Alors autant dire que je me sentais privilégiée avec cette fête. Tout le monde en parlait et était persuadé que ce serait LA fête du siècle de la ville. Pourtant, le nombre de présents étaient considérablement inférieur à celui de ceux qui en parlaient.
Je ne savais même pas pourquoi on m'avait invitée. A tous les coups, c'était un peu comme dans ces films d'ados où on invite la fille la moins populaire de tous les temps pour la piéger. Mais vu comment j'étais ignorée, je doutais fortement que ce fusse mon cas. Debout dans un coin non loin du bar improvisé, je m'approchais légèrement pour prendre l'un des shooters préparés par le barmaid. Rapide sourire. Son regard dubitatif faillit me refroidir. J'étais majeure, que j'en ai l'air ou non, je m'en fichai. Je bus le shooter que j'avais en main d'une seule traite avant de m'asseoir sur le tabouret le plus en coin. Avec un peu de chance, les gens m'ignoreraient, je trouverai une chose à faire aussi vaine fusse-t-elle, ou je m'en irai, vannée par l'inutilité de la soirée pour moi. Les fêtes n'étaient pas mon milieu naturel. Je préférais la tuile en innox au dessus de la cuisinière par toute température extérieure, concentrée sur quelque chose qui m'occupait l'esprit et ce peu importe la situation. Pourtant je me retrouvai là, sans connaître personne, sans être même sûre de réussir à m'amuser. Autant dire que c'était vraiment mal parti pour le coup. Dans un soupir, je passai la main dans mes cheveux. Je finirai bien par trouver quelque chose à faire pour m'amuser. Jouer les allumeuses, par exemple... Même si ce n'était pas vraiment mon genre non plus. Je secouai la tête. Non, décidément, je ne savais pas ce que je faisais là...

Je me sentais nulle. Je n'aurais pas dû venir. Après tout j'étais la fille qui faisait des beignets et que l'on croisait une fois ou deux en pâtisserie quand les autres étaient en pause. Si je continuais ainsi, j'allais me trouver toute seule toute la soirée et finirais par m'endormir là où je m'étais posée. La fille saoulée par l'ennui plus que par l'alcool. Ma réputation -déjà presque inexistante- allait en prendre un sérieux coup.

J'étais prête à me lever quand un garçon s'assit à côté de moi. Bien qu'il m'ait parlé, je mis un certain temps, peut être cinq secondes de trop, avant de tourner la tête vers lui. « Nouvelle? Dans les fêtes tu veux dire? Alors, oui, plutôt. » Je n'allais quand même pas m'amuser à dire que j'étais là, à la Nouvelle-Orléans, depuis que j'étais toute petite mais que les gens me voyaient peu à cause de mon anorexie. Non, je refusais catégoriquement d'en parler. Quitte à me faire des amis, autant ne pas les faire fuir tout de suite non plus.
Il me tendit la main. Sans réfléchir, je la saisis. Je souris. Titi... c'était horrible oui. J'affichais une moue peu convaincue. « Je pense que je vais t'appeler Thiago. » dis-je alors avant d'afficher un immense sourire. Autant l'appeler par son prénom. Non? « Moi c'est A... India », me repris-je à toute vitesse. Tout le monde m'appelait Alize. Surtout ceux qui me connaissaient en tant qu'anorexique. Et sans que je ne veuille savoir pourquoi, je n'avais pas envie que les gens ici m'appellent comme tout le monde.

Inutile et lassante comme une poupée de chiffon, je restais assise là où j'étais, attendant que les choses se passent.
Ce qu'elles ne tardèrent pas à faire d'ailleurs.

Il était venu me parler. Il devait être le mec le plus canon de la fête. Oui, d'accord, je n'avais peut être pas regardé tous les mecs, mais à mes yeux, il l'était et de loin. « M'y habituer? » Je grimaçai. Mince, ça voulait dire que je serai obligée d'en faire plusieurs. Euuh ... Attendez... J'ai pas dit que j'y retournerai non plus. Je préférais tellement passer mes nuits soit à dormir soit devant le four, avec la pâtisserie, mon plus grand amour depuis qu'on m'avait traînée dans tous ces centres pour me soigner de mon dégoût maladif de la nourriture. Si son rire m'avait fait largement sourire, son sourire à lui m'avait probablement faite rougir. Oui, définitivement, je devais être stupide. C'était donc là tout ce que j'étais capable de faire? Moi qui pensais avoir du répondant, je m'auto décevais, il fallait le faire.
Je lui adressais un immense sourire. « Egalement ! » En général, je n'étais pas ravie de rencontrer des gens. Jusque là, ils étaient tous des gens comme moi, malade et n'assumant pas, et c'était déplaisant de voir des gens agir comme vous, vous montrant ce que vous faisiez de mal sans avoir ce but de pointer vos défauts.
J'éclatais de rire. « Je pense que je serai capable de retrouver le chemin du retour même avec un coup dans le nez... mais sinon, un verre de tequila ira parfaitement. » Après tout, je n'étais peut être pas habituée des fêtes, mais j'avais réussi à me faire apprivoiser de l'alcool avec mes camarades de chambre en centre d'anorexiques et boulimiques.