Agacé des dernières rencontres qu’il a fait en osant mettre les pieds dans un bar gay, c’est sur un haut lieu de détente hétéro-normé que Will jette son dévolu ce soir et entre au Johnny’s, après avoir lu assez de commentaires en ligne pour le convaincre que c’est un endroit agréable. L’ambiance quand il entre est à la hauteur de ce que promettent les gens sur internet : il y a du monde, quelqu’un sur scène qui joue de la musique dans un style assez personnel et aucune back-room à l’horizon. De quoi mettre en joie le jeune homme qui ne désire rien de plus qu’une soirée tranquille ailleurs que dans la solitude de son appartement.

C’est un problème qui commence à devenir assez récurent et qui pèse dangereusement sur son moral, la solitude. Certes, il cherche les ennuis aussi ne devrait-il pas être surpris de les trouver, mais ça ne l’empêche pas d’avoir envie de se plaindre. Est-ce de sa faute si les gens qui ont de la répartie manquent cruellement à la population de cette ville ? Non, certainement pas. Toujours est-il qu’il en arrive au point d’envisager sérieusement de passer une annonce sur Craigslist pour trouver un être humain avec de la personnalité. La seule chose qui le retient encore, c’est qu’il est persuadé qu’avec sa chance, la seule personne qui répondra à son annonce sera un serial killer. C’est bien tout ce qu’on trouve sur ce site ces temps-ci, non ? Cela dit, s’il doit mourir un jour, il se voit bien assassiné par un malade mental, c’est totalement son genre. Peut-être qu’il va vraiment poster cette annonce, après tout…

Pour l’heure, il approche du bar et se débat un instant avec les autres clients pour obtenir l’attention du serveur, commande un cosmo parce qu’il faut toujours qu’il s’arrange pour que le monde entier sache dans quelle équipe il joue et s’installe sur le seul tabouret libre qu’il trouve le long du comptoir. Dès qu’il a posé son verre devant lui, son regard file sur les alentours et se pose finalement sur la première personne assise près de lui : une jeune femme aux cheveux châtains qui ne semble pas très au courant de ce qui se fait ou non quand on sort dans un lieu public après vingt heures. Et malgré toutes ses bonnes résolutions, son envie grandissante d’avoir ne serait-ce qu’un fichu ami dans cette ville, le bon sens qui lui dit bien que se sont en grande partie ses approches pour le moins originales qui sont un frein à son épanouissement social, il ne peut pas s’en empêcher, les mots sortent tous seuls, comme s’ils ne venaient même pas de lui. "Qu’est-ce que c’est que ces chaussures ?!" lance-t-il à l’adresse de la jeune femme, ses yeux écarquillés posés sur l’arme du crime.

Il recouvre tout de même rapidement toute sa présence d’esprit, cligne des yeux et se force à poser le regard sur le visage de la femme plutôt que ses pieds. “Désolé, ce n’est pas dans mes habitudes de juger sur l’apparence, mais là…” ment-il effrontément. Elle ne peut pas le savoir de toute façon. “Est-ce qu’on vous a volé vos vraies chaussures ? Vous voulez que j’appelle la police ?” propose-t-il, son ton charmeur amplifiant à merveille le sarcasme dans ses paroles.

Encore une journée compliquée. Même si Leah peut compter sur l'aide de Leandro à l'association et en dehors, la demoiselle en a sa claque de remplir encore tout pleins de papiers. Bien sûr, l'adoption s'apprête à être officielle. Et Leah a carrément hâte à cette idée ! Même si elle ne sera pas maman d'un bébé, elle a noué une relation particulière avec l'enfant qui s'apprête à être le sien. Seulement, toute cette paperasse la rend folle. Et l'ambiance à l'appartement aussi. Massalia ne comprend pas son besoin de passer ce cap. Quant à Ben... Eh bien, devinez quoi, c'est Ben ! Incapable de retenir sa volonté de dominer la vie de sa colocataire... Alors Leah n'en peux plus. Dieu merci, Leandro la soutient comme jamais elle n'aurait pu l'espérer. Et si cette idée lui réchauffe le coeur, elle essaie de faire en sorte que ça ne le lui réchauffe pas trop.

Afin de se vider la tête, elle a prévu de sortir le soir même pour aller boire un verre. Seule. Certains diraient sans doute que c'est triste, et une pointe de machisme apparaîtrait en ajoutant "pour une femme". Mais Leah se fiche bien de l'avis des autres. Elle n'a pas le profil d'une femme qui boit pour oublier ses soucis, mais elle sait très bien se soûler de temps à autre. Certes, elle le fait mieux entourée, en soirée, mais qui ira lui reprocher de partir seule dans des bars de temps à autres ? Vu le nombre de soirée auquel elle a participé, personne n'aurait le culot de le lui reprocher. Du moins, dans son entourage.

Le bar en question, c'est le Johnny's. Pas vraiment voisin de son appartement, mais changer de quartier ne lui pose aucun problème, bien au contraire. Elle est persuadée que c'est le bon choix, en fait. Sauf qu'elle ne s'est pas vêtue de sorte à être mémorable. Elle n'en a rien à faire qu'on la remarque pour être bien sapée et maquillée, ou qu'on la remarque au contraire pour être tout l'opposé. Encore une fois, Leah se fiche bien de l'avis des autres.

Elle a fini tard à l'association ce jour-là et, clairement, elle a filé à peine rentrée chez elle. Il est huit heures passées, c'est vrai, il est tout aussi vrai qu'elle n'est jamais longtemps dehors passé cette heure, mais elle compte bien ne pas s'entendre dire quoi faire et comment le faire. Alors, quand au bar, elle se fait héler par la réflexion d'un abruti, elle ravale son agacement. Elle ne compte pas donner satisfaction à quiconque s'accorderait à lui ruiner le seul moment de plaisir qu'elle aura eu de sa journée. Enfin, sauf quand ses yeux se sont posés sur Leand... Non rien du tout, en fait.

- Celles qu'on met au pied. Affirme-t-elle, tout sourire en se tournant vers le gars qui, visiblement, est sur les starting-blocks de la course du plus chiant de la journée. Si elle se retient de lever les yeux au ciel, c'est pour laisser le temps à son sourire d'apparaître un peu plus dans le douloureux étirement de ses lèvres. Je vous en prie, appelez. Tenez, mon téléphone. dit-elle en joignant le geste à la parole. Précisez-leur que ce sont des chaussures que j'ai volées au premier sans abri que j'ai trouvé dans la rue.

Il y a un bref moment de flottement au cours duquel Will reste comme figé, tandis que la jeune femme tend vers lui son téléphone portable. Il ne fait évidemment pas le moindre geste pour le prendre. Une ou deux secondes entières s’écoulent avant qu’il ne réagisse de nouveau. Il lâche un rire sincère, puis avale une gorgée de son verre quand il est calmé. “Ça alors…” souffle-t-il en jetant un regard en coin à la jeune femme, “tout le monde n’est pas complètement lobotomisé dans cette ville, finalement !” Il y a de grandes chances que la différence vienne surtout de lui, mais pour qu’il accepte de le reconnaître il faudrait le payer. Il n’en reste pas moins que depuis quelques jours, c’est comme si toutes les personnes intéressantes qui se cachaient depuis un an se décident enfin à sortir de leur trou pour lui faire l’honneur de leur présence. C’est, en tout cas, la manière dont il décide de voir les choses pour l’instant. Ce n’est pas parce que Will est capable de se remettre en question qu’il est obligé de le faire, n’est-ce pas ?

“Laissons la police en dehors de tout ça, d’accord ?” propose-t-il comme s’il lui faisait une immense faveur. “Du moment que vous n’avez pas fait trop de mal à ce pauvre homme.” Il est presque déçu que toute cette histoire ne soit qu’un mensonge dont le seul but était de le faire taire. Une criminelle de bas étage, c’est vraiment tout ce qu’il manque à sa vie pour la rendre un peu plus intéressante, mais quelqu’un avec de l’humour fera bien l’affaire aussi, tant pis. Il s’offre une autre longue gorgée de son cocktail, la saveur amère lui arrachant une légère grimace au passage. La bienséance voudrait qu’il laisse désormais cette femme tranquille, car après tout il ne veut rien d’elle et elle ne s’est pas montrée subtile quant à son manque d’envie de se faire prendre la tête ce soir. Malheureusement pour elle autant que pour lui, Will n’est pas vraiment le genre à lâcher l’affaire quand il a décidé qu’il avait quelqu’un dans le collimateur.

“Je vous offre un verre, qu’est-ce que vous voulez ?” demande-t-il, alors qu’il essaye déjà d’obtenir l’attention de l’homme derrière le bar pour passer commande, sans s’encombrer de savoir si elle est d’accord ou pas. Qui refuserait un verre gratuit de toute façon ? Surtout quand il n’y a pas à troquer du sexe en échange. Des types comme Will, elle ne doit pas en croiser souvent dans les bars. Cela dit, elle est venue ici toute seule, à première vue, alors peut-être qu’elle cherche plutôt quelqu’un qui voudra lui payer plus que de l’alcool… à cette pensée, il lève un regard suspicieux vers elle. “Qu’est-ce que vous faites toute seule dans ce bar ?” Poser la question directement étant encore le meilleur moyen d’obtenir la réponse, pourquoi s’en priver ? “De toute évidence, ce n’est pas pour rencontrer l’amour ou vous auriez agressé une femme bien habillée plutôt qu’un sans-abri… Dure journée au travail ? Coeur brisé ?” Au jeu des devinettes, il est souvent très bon, mais plus que de découvrir ce qu’elle fait là, il attend surtout avec impatience de voir de quelle manière fort désagréable elle va l’envoyer sur les roses.

Elle reste interdite un petit moment, attendant sa réaction. Ou plutôt, attendant qu'il tourne les talons et finisse par la laisser seule, face à ses réflexions, se soûler un maximum mais pas trop non plus pour qu'elle retrouve un vrai sourire, bien que truqué par le taux d’alcoolémie. Elle ouvre des grands yeux lorsqu'il se met à rire. Il fallait vraiment qu'elle tombe sur le seul psychopathe de la ville qui viendrait lui parler ? Parce que, justement, si elle n'est pas si bien apprêtée, c'est pour les éviter. Elle finit par siffler le verre d'eau qu'elle avait demandé avant, manquant de s'étouffer à chaque gorgée.

- Une bière, s'il vous plaît. demande-t-elle au barman qui a déjà froncé les sourcils en la voyant faire. Elle commence à boire une gorgée et doit se retenir pour ne pas la recracher subitement après avoir entendu la suite de la phrase du brun. Entre l'amusement et l'agacement. Le rire et la surprise. Il semblerait que non, en effet. Elle le regarde avec insistance, attendant la suite. La main sur son verre, elle est pourtant comme figée dans l'attente d'une nouvelle parole. Mais rien ne vient. Seuls ses yeux se contentent de bouger, observant tantôt les gens derrière eux, tantôt ceux assis à une table. Puis ses doigts. Jusqu'à ce qu'elle finisse par boire à nouveau.

Quel dommage, moi qui espérais me rincer l'oeil. ironise-t-elle alors que son interlocuteur fait une croix sur la possibilité de rameuter les uniformes jusqu'au bar pour de simples chaussures. Très bien. Considérez-moi comme une pacifiste, si cela peut tranquilliser votre conscience. À nouveau, elle boit cul-sec le liquide devant elle, cette fois-ci en grimaçant à de nombreuses reprises. Rien à voir avec un cul-sec d'eau, bien évidemment. Alors qu'elle repose la bouteille sur le bar, elle regarde l'emmerdeur devant elle avant de considérer la chose. D'abord, il n'a pas l'air si détestable que cela. Il s'amuse de son irritabilité, ce qui est un peu agaçant, c'est vrai, mais après cela, ses deux dernières phrases semblaient comme de réels efforts.

Elle hausse les épaules. Partons sur une autre bière ! Elle ne va pas se faire prier pour autant. Même si se faire payer un verre par un mec dont elle ignore les intentions à ce petit quelque chose d'effrayant, il n'a pas l'air si méchant que ça. Plus de gueule que d'actes, apparemment. Mieux vaut se payer soi-même des verres plutôt qu'être entouré de gens qui vous jugent alors que les actes sont davantage critiquables que les vôtres, non ? Elle a beau mentionner ses colocataires, c'est clairement d'eux dont elle parle. Certes, Massilia n'est pas tout à fait à inclure dans le lot puisque son jugement dépend de son humeur et des paroles qui l'entourent. Mais à lui seul, Ben rassemble l'équivalent d'un million de mauvais caractères quand il s'y met. Et dure journée, aussi, en effet. Pas besoin de s'étaler plus. Quant à vous, que faites-vous ici, seul ? Vous cherchez une proie à rendre folle, c'est ça ? Vous feriez mieux de changer, sinon. Je dis ça pour votre bien, évidemment.

De prime abord, Will n’en aurait pas juré, mais il aime bien cette fille. Elle est tout sauf sympathique, pleine de sarcasme et délicieusement bavarde malgré son air renfrogné. Bref, c’est la femme idéale pour lui en quelques sortes. Il voulait s’amuser ce soir et il a le sentiment que c’est en bonne voie, c’est donc avec le sourire qu’il paye la bière de la jeune femme et commande un verre de whisky pour lui, même s’il sait que les mélanges sont fort déconseillés. D’une oreille attentive malgré son air distrait et désintéressé, il écoute tandis qu’elle lui explique ce qu’elle fait là ce soir, toute seule, ravi d’avoir visé juste au moins en partie. “Je ne suis pas là pour chasser.” dit-il quand elle lui retourne sa question et offre une réponse dans le même temps. “Je cherche à me faire des amis, je pensais que mon approche sympathique rendait mes intentions évidentes.” Il tourne un sourire radieux vers elle et lève vaguement son verre dans sa direction comme pour porter un toast.

Il n’a pas l’intention de s’étaler plus que ça sur les raisons de sa présence dans ce bar et auprès d’elle, mais les vagues réponses qu’elle a donné à son sujet ont réussi à attiser sa curiosité maladive. Malgré son égocentrisme légendaire, il est presque sûr qu’elle ne parle pas de lui quand elle sous-entend que des gens la jugent à tort. “Loin de moi l’idée de vous rendre folle, rassurez-vous. Si j’y parviens, ce ne sera que grâce à mon talent naturel.” Clairement, il n’a pas l’intention de la laisser tranquille pour le moment. Mais si elle est toujours assise là, c’est que ça ne la dérange pas tant que ça, pas vrai ? “Alors, vous allez me raconter le fin mot de cette histoire, ou pas ?” demande-t-il joyeusement en se tournant vers elle, visiblement prêt à lui offrir son attention pleine et entière. “Non pas que je n’apprécie pas un peu de mystère dans une histoire qui commence, mais là… Vous en dites trop et pas assez en même temps.”

Ça le surprendrait vraiment qu’elle balance tous ses problèmes sans y réfléchir à deux fois, mais il peut toujours essayer. “Vous avez accepté que je vous paye un verre donc, clairement, ce n’est pas de moi que vous parlez. Alors qui sont ces hypocrites qui vous ont amené jusqu'ici ?” Il avale une longue gorgée de son cocktail sans la lâcher des yeux, impatient qu’elle n’accepte d’assouvir sa curiosité. “Je peux toujours vous raconter mes malheurs pour vous mettre en confiance si vous préférez, mais vaut mieux que vous le sachiez maintenant, je vais continuer de poser la question jusqu’à ce que vous répondiez donc…” D’un haussement d’épaule, il ponctue la menace silencieuse cachée dans ses mots. À elle de voir combien de temps elle veut perdre avec un Will sur le dos, en ce qui le concerne il a toute la nuit devant lui. “Au fait, je m’appelle Will.” ajoute-t-il tout à coup en tendant sa main vers elle. “Et puisque je m’apprête à devenir vraiment relou, je crois qu’on peut directement passer au tutoiement.” Il lui fait un clin d’oeil et attend sagement qu’elle lui retourne les présentations.

Elle ne sait pas trop sur quel pied danser et pourtant, Leah se laisse non seulement payer une bière, mais elle reste sur place, ce qui est totalement inespéré et sans doute stupide de sa part. Mais elle n'en aurait pas fait autrement. Sa place, elle l'a choisie, ce n'est pas pour changer au premier crétin qui vient l'emmerder. Enfin, pour le coup, elle n'est pas trop contre celui-ci, il a l'air d'être un emmerdeur qui cherche à tuer le temps plus qu'autre chose, et elle, elle vient tuer l'ennui. Elle esquisse un sourire narquois, accompagné d'une légère secousse amusée.

- Si c'était le cas, vous vous y prendriez de la pire des façons. Elle le regarde un instant, le temps de le dévisager. Derrière son exécrable masque, il est plutôt mignon, mais Leah a un autre homme en tête. Sympathique, hm ? Vous devez chercher un type bien particulier pour qu'on vous ouvre les bras grands ouverts. Elle lui rend pourtant son sourire, de plus en plus amusée par cette situation qui n'a ni queue ni tête mais dont la particularité lui donne envie d'en profiter.

- Oh mais je ne doute pas que vous y arriviez sans vous donner beaucoup de mal. Après tout, même si elle a très vite compris qu'il fallait qu'elle prenne les choses avec le plus de recul possible, elle ne peut nier que ce type un peu particulier, un peu en phase avec l'anti-héros que tout le monde a envie de baffer, peut être aussi aliénant que ce qu'il doit être attachant. Et Leah ne découvre qu'une infime partie de ce côté "attachiant" qu'il présente. C'est à son tour de lever son verre en guise de toast. Vous en savez désormais bien assez, je pense. Le reste n'est que superflu et désagréable à mentionner. Elle comprend sa curiosité. Elle-même se rend compte à quel point elle floute la situation de sorte à ce qu'on veuille en voir et en savoir davantage. Mais elle n'a aucune envie de faire sa litanie et de se plaindre, surtout pas face à un inconnu.

Elle soupire avec agacement. Pas contre lui, mais contre tout le reste. Le genre qui vous sourit pour vous critiquer dès que vos oreilles sont supposées être assez loin pour ne pas entendre un chuchotement. Non, elle n'a aucune envie de parler de ses colocataires. Elle boit une grosse gorgée de sa bière en espérant noyer cette conversation au fond de la bouteille. Elle hausse les épaules. Faites si cela vous chante, mais vous seriez déçu par le manque d'intérêt de la réponse. Non, elle ne compte pas cracher le morceau. Et si ce gars à l'air tenace, c'est qu'il n'a aucune idée de la ténacité dont peut faire preuve Leah. Elle ne peut s'empêcher de laisser apparaître un sourire en coin. Leah... Rassure-toi, t'es déjà bien assez relou comme ça.

La nouvelle meilleure amie de Will semble vouloir se faire désirer. Il aimerait le lui reprocher, mais ça l’amuse plus qu’autre chose et pour toute réponse à son refus premier d’obtempérer, le jeune homme se contente de lever les yeux au ciel. Et s’il est vrai qu’elle n’a pas l’air trop motivée à lui raconter sa vie dans les moindres détails, elle n’a de cesse de lui offrir quelques teasers chaque fois qu’il ose une question. “C’est ce que font les hypocrites, en effet.” souligne-t-il, loin de se laisser abattre par un tel manque de coopération. “Mais merci pour le rappel de la définition, c’est vrai que je n’ai pas lu le dictionnaire depuis quelques années.” Quand il le dit, ça ressemble vraiment beaucoup à une petite remarque sarcastique, mais ce qui est vraiment triste, c’est que c’est l’entière vérité. Heureusement cette chère Leah ne le saura jamais, n’est-ce pas ? “Bon, très bien, si tu ne veux rien me dire…” reprend-t-il en haussant les épaules. Il n’abandonne pas vraiment, mais si c’est ce que croit la jeune femme, elle sera peut-être un peu plus facile à faire parler plus tard. Dans une ou deux bières, peut-être trois ? Une fille aussi petite, ça ne peut pas tenir l’alcool si bien que ça. Will non plus, cela dit, mais il n’a rien à cacher de toute façon. “Dans ce cas, j’imagine que je vais devoir monologuer sur mes propres problèmes jusqu’à ce que tu craques et que tu me balances tout pour me faire taire !” Son air dramatique est peut-être un peu exagéré, pas vraiment nécessaire, mais il n’a pas non plus envie qu’elle le prenne au sérieux et commence à s’inquiéter réellement.

Il commence par se dire qu’il n’a pas vraiment de problèmes en ce moment et qu’il va donc être obligé d’inventer quelque chose pour soûler Leah jusqu’à la mort, mais… En fait, quand il se met à parler enfin, il n’a vraiment aucun mal à trouver quoi dire et sans mentir, en plus. “Mon copain est Major dans l’armée, il vient de revenir d’une mission d’un mois au Moyen-Orient et on a réussi à se prendre la tête et ne plus s’adresser la parole en seulement… deux heures ? Quelque chose comme ça.” Il se pince les lèvres alors que son regard se perd dans le vide quelques secondes. Tout ça lui prend vraiment la tête, mais ça fait étrangement du bien d’en parler à quelqu’un qui ne soit pas directement Aiden et donc, peut-être enclin à ne pas le prendre pour un monstre. “Et chaque fois que j’ai le malheur de mettre les pieds dans un bar gay dernièrement, je me retrouve avec le mec le plus bizarre du coin sur le dos… Donc, voilà, ce soir j’ai décidé de ne pas m’approcher de quoi que ce soit réservé à ma communauté et de jeter mon dévolu sur une femme pour limiter les risques de finir au lit avec un taré.” Un autre haussement d’épaules vient ponctuer ce triste constat d’à quel point sa vie est assez chiante, ces temps-ci.

Il doit l’être tout autant vu qu’il a décidé de prendre la tête à cette inconnue sans aucune autre raison que parce qu’il n’aime pas ses chaussures. Détail qui ne manque pas de le faire soudainement sourire comme un crétin et secouer la tête. “Le truc le plus excitant qui me soit arrivé depuis deux mois, c’est de me prendre la tête avec un étudiant à la fac à propos d’une paire de chaussures aussi, d’ailleurs. Alors, tu vois, je ne sais pas ce qui cloche dans ta vie, mais je suis sûr que c’est passionnant à côté de mon incroyable existence !” Aucun humain normalement constitué ne peut résister à la tentation de se confier à Will après ça, n’est-ce pas ?

Leah, c'est pas le genre à balancer ses problèmes au premier arrivé. Elle est plus le genre à vouloir régler ceux des autres qu'à accepter d'exposer les siens. Alors, forcément, elle ressent l'insistance qui se lit dans les yeux de son interlocuteur, et ça ne l'aide pas beaucoup à avoir envie de lui raconter quoi que ce soit.

- Eh, oui. "En effet". Elle n'a pas envie d'être particulièrement désagréable. Ce type a surtout l'air d'avoir besoin d'amis pour s'adoucir plus qu'autre chose. Le bon coeur de Leah la pousse à ne pas le rejeter alors que sa raison lui dit de fuir. Et elle reste pourtant assise, le cul vissé sur sa chaise. Elle lève les yeux et grimace. Elle n'a fait que répondre à sa question, le voilà en train de s'en jouer. Elle soupire. Navrée, mais je ne suis pas le genre à tout déballer au premier curieux arrivé - ne le prends pas mal. Son sourire s'agrandit et elle se détend aussitôt. Elle a envie de rire en l'entendant dire ça. Il n'a aucune idée de qui il a en face d'elle. Leah pourrait passer des heures à l'écouter sans dire un mot de sa propre vie. Elle est plutôt le genre à donner des conseils, le genre oreille discrète qu'on apprécie. Tente ta chance, on verra bien si je finis par te faire taire ou pas.

Elle l'écoute parler de ses déboires amoureux et elle compatit. Elle, elle vit avec son ex. Rien de pire. Aïe ! Vous avez réussi à en parler ensuite, ou vous êtes toujours en froid ? Elle l'écoute. Partagée entre le rire et le sérieux, elle se contente de froncer les sourcils quand il parle, essayant de prendre de la distance. Elle ne veut pas lui laisser croire qu'elle se moque de lui, ce n'est pas le cas. Aucun risque avec moi. Elle lève sa bouteille vers lui. Après tout, elle n'est pas particulièrement intéressée et en plus de cela, elle n'est pas plus taré qu'un autre. Enfin, ce qu'elle pense, du moins.

Sourcils haussés, froncés, grimaces, elle passe par toutes les expressions faciales. Cette histoire de chaussures lui rappelle vaguement quelque chose... Sans qu'elle ne sache exactement quoi. Non, je pense que tu gagnes. Tu t'es vraiment pris la tête avec quelqu'un pour des chaussures ? Wow, c'est limite mieux qu'un épisode d'un feuilleton débile à la télévision. Ou comment éluder le fait qu'elle aussi ait plein de choses à raconter, digne de n'importe quel télénovela débile.

Il est bien rare que Will se retrouve dans la position de celui qui parle plutôt que celui qui pose les questions, mais c’est un changement presque agréable. Discuter avec quelqu’un sans arrière-pensée ou sans intention d’énerver son interlocuteur, c’est… rafraîchissant. Peut-être qu’il devrait essayer de faire ça plus souvent, à l’avenir ! Bien sûr, il est un peu déçu que la jeune femme assise près de lui ne soit un peu plus dans le partage, mais ce ne sont rien de plus que ses mauvaises habitudes qui s’acharnent. Et pouvoir vider son sac au sujet d’Aiden, ça fait vraiment du bien. Ne serait-ce parce qu’il n’arrête pas d’y penser et qu’il n’est pas loin de devenir dingue, à force. “On est toujours en froid, pour l’instant.” admet-il, sans cacher l'amertume dans sa voix. “On le sera jusqu’à ce que je revienne ramper à ses pieds, je suppose. Comme d’habitude.” Et il va le faire, il le sait déjà, ignore seulement encore quand et comment il va s’y prendre pour faire taire son ego assez longtemps pour calmer le soldat. Ça l’enrage rien que d’y penser, raison pour laquelle il s’efforce de penser à autre chose, de parler d’autre chose.

Il relève les yeux vers Leah quand elle affirme qu’il n’a rien à craindre avec elle et s’il parvient à sourire brièvement avec sincérité, il retrouve vite un air sérieux, voire même complètement désespéré. “Je n’aurais pas ma première expérience hétérosexuelle ce soir, alors…” souffle-t-il, comme s’il venait d’apprendre qu’il souffre d’un cancer. “Moi qui rêvais de découvrir enfin ce qu’il y a de si merveilleux à coucher avec une femme !” Il ne s’inquiète pas trop qu’elle prenne cette remarque au sérieux, mais peut-être qu’il devrait. Ou bien il n’y a que dans les films que certains mecs désespérés font semblant d’être gays pour endormir la méfiance de leurs victimes ? Cette idée l’amuse, peut-être qu’il devrait tenter ça avec un hétéro, un de ces jours, pour voir si ça fonctionne vraiment.

Will vient conclure son petit laïus dépressif en évoquant très vaguement sa rencontre avec Charmant, mais voit une fois encore tous ses espoirs réduits à néant lorsque la jeune femme lui accorde la victoire. Sérieusement ? Il aurait vraiment préféré que sa vie soit mille fois pire que ça. D’une part pour le rassurer un peu, mais surtout pour la faire parler. Cela dit, penser à Charmant et à leur petite dispute stupide lui redonne le sourire, même s’il n’a rien de très radieux et il va même jusqu’à lâcher un petit rire silencieux quand Leah s’étonne qu’il se soit disputé avec quelqu’un pour une paire de chaussures. “En fait, j’ai un peu embelli la réalité.” avoue-t-il sans gêne. “Il s’est pris la tête avec un mec de l’entretien de la fac parce que le pauvre homme a renversé de l’eau sur ses chaussures. Moi, tout ce que j’ai fait, c’est essayer de lui apprendre les bonnes manières… Et je t’avoue que je suis tombé de haut quand il m’a avoué que toute cette scène n’était que pour une paire de chaussures. Et c’est peut-être un peu cliché pour un homme gay de dire ça, mais je peux t’assurer qu’elles n’étaient même pas de cette saison. Pas de quoi en faire tout un drame, clairement.” Son regard glisse brièvement aux pieds de la jeune femme et il reprend, tout sourire : “Mais beaucoup plus jolies que les tiennes, je peux au moins lui accorder ça !”

Toujours est-il que mademoiselle n’a pas encore lâché un mot de ses problèmes, mais Will commence à comprendre qu’une attaque de front ne marchera jamais. Tant pis, pour une fois qu’il arrive à discuter avec quelqu’un sans avoir envie de tuer l’autre ou lui-même, il compte bien en profiter encore un instant. “Alors, Leah…” souffle-t-il en se redressant, son assurance revenue à la vitesse de l’éclair, “qu’est-ce que tu fais dans la vie quand tu n’es pas trop occupée à agresser des sans-abris ou jouer SOS psy pour les inconnus dans les bars ?” Elle peut bien lui donne au moins ça, un tout petit os à ronger pour calmer sa curiosité maladive sans que ça n’empiète trop sur sa vie privée, non ?

Elle essaie tant bien que mal de renverser le truc pour que ce que ce ne soit pas à elle de répondre aux questions. Bien qu'elle sache pertinemment que l'inévitable finira par se produire et qu'elle devra alors répondre aux questions du gars en face d'elle. Et puis, elle se ravit, elle adore écouter les histoires des autres... Même si, pour le coup, elle a beaucoup plus d'empathie pour l'homme que ce qu'elle ne l'aurait cru au premier abord.

- Oh... ce n'est pas toujours facile, les problèmes dans un couple... renchérit-elle quand il lui dit qu'ils sont toujours en froid... Je te souhaite que ce soit lui qui rampe, cette fois-ci. C'est tellement compliqué d'être toujours la personne qui tente d'arranger les choses. Et ça, elle en sait quelque chose, Leah. Que ce soit en amour ou dans sa famille, c'est toujours elle qui essaie de tout arranger. Même quand, au sein de sa famille, elle n'est pas comprise dans une dispute ou un conflit.

Elle manque de s'étouffer de rire en entendant la réponse qu'il lui sort. Non, en effet, pas ni ce soir, ni avec moi, désolée. Difficile d'expliquer que, même s'il est mignon, elle a jeté son dévolu sur un autre homme... pas forcément libre pour le coup. Elle n'aurait jamais pensé éprouver des quelconques sentiments pour Leandro, mais voilà quelques semaines qu'elle se rend compte à quel point elle adore passer du temps avec lui et à quel point elle n'arrête pas de penser à lui. Tu le sauras peut-être une autre fois, peut-être même avec une femme qui voudra savoir ce qu'il y a de "si merveilleux" à coucher avec un homme, sans doute. Ce serait marrant d'avoir vos versions d'ailleurs. Un petit sourire en coin se dessine sur le visage de la Bell, qui attend de voir la réaction de Will.

Elle roule des yeux en entendant cette histoire. Et avec un peu d'amusement, elle pense à Lane... J'ai un frère qui serait totalement capable de réagir de la sorte dans une telle situation. Ca m'amuse, parce que j'imagine bien la scène, du coup. Une fois encore, elle rit en l'entendant finir sa boutade. Un peu cliché, mais je conçois ! Leah c'est pas le genre à faire une scène pour si peu. Pour le dire brutalement, c'est une gosse de riche. L'argent n'est donc pas un souci pour elle, même si elle fait son possible pour ne pas trop en dépenser pour rien et toujours faire des investissements utiles. Avec son association, par exemple. Alors une paire de chaussure... oui, c'est compliqué à comprendre même si elle imagine bien que tout le monde peut être plus à cran pour ça qu'elle. J'ai envie de te dire que ce n'est pas bien compliqué de faire plus joli que les miennes. Ce sont mes chaussures de travail, pour tout t'avouer. Celles avec lesquelles je cours partout toute la journée. Elle ne s'offusque pas plus de la réflexion du brun. Après tout, jusque là, il a fait pire.

Son sourire ne la lâche pas. Mais elle sait qu'il est l'heure de se jeter à l'eau. Eh bien... Mon quotidien, c'est ça. Enfin, sauf la partie où j'agresse des sans-abris bien sûr. Je travaille dans une association humanitaire... je suis plus ou moins la "PDG" sauf que j'ai un salaire de bénévole, ou presque. En ce moment, je suis en procédure d'adoption d'un enfant que j'ai aidé... Mais mes colocataires - qui logent chez moi, je le précise - me font la misère pour que la procédure avorte. Ils sont prêts à me poursuivre en justice pour que ça n'aboutisse pas et surtout pour ne pas que je les vire de mon appartement. C'était pas une option, honnêtement. Mais ça risque de le devenir.

Ce n’est probablement qu’une marque de sympathie sincère que Will capte dans le ton de Leah, mais il ne peut s’empêcher de prendre ça pour de la pitié et c’est très, très désagréable. Il a sûrement encore des centaines de choses à dire au sujet d’Aiden et de cette relation de plus en plus toxique, mais le coeur n’y est plus du tout maintenant que son interlocutrice semble si désolée pour lui. Il préfère parler de choses idiotes, sans intérêt, comme la terrible éventualité d’une relation sexuelle avec une femme. Contrairement à ce qu’il fait croire à Leah, ce ne serait pas la première fois pour Will, mais il n’y a qu’à voir la grimace de dégoût sur ses traits pour deviner qu’il ne garde pas de très bons souvenirs de cet événement. “Je parie que coucher avec moi pourrait rendre n’importe quelle fille lesbienne ! Même une hétéro convaincue.” souffle-t-il, avec un certain effroi. “Mais si ça arrive un jour, tu seras la première à le savoir, c’est promis.” Il n’a pas besoin qu’elle lui dise pour deviner qu’elle ne veut sans doute pas entendre cette histoire, si tant est qu’elle se produise un jour. Rien que l’idée donne des frissons à Will. Il tente de faire passer ça avec ce qu’il lui reste d’alcool dans son verre et un sujet de conversation encore plus ridicule pour se changer les idées.

Et quoi de mieux que Charmant pour frôler les sommets du ridicule ? C’est un peu triste de se dire que cette dispute est la chose la plus excitante qui soit arrivée à Will ces dernières semaines, mais au moins il arrive à se détendre rapidement et à oublier toutes les choses désagréables qui hantent son esprit ces jours-ci. Son entrain retrouvé, il se redresse même assez brusquement quand la jeune femme lui parle de son frère qui semble tout aussi évolué que Charmant. “Quand on sera devenu les meilleurs amis du monde, toi et moi, faudra que tu m’arranges un coup avec ce frère ! J’ai un faible pour les petits princes qu’il faut recadrer de toute urgence.” exige-t-il, pas très sérieusement. “Et n’essaye pas de m’échapper. Chaussures de travail ou pas, tu as définitivement besoin d’un meilleur ami gay. Tout le monde devrait en avoir un, toi t’auras seulement la chance d’avoir le meilleur disponible sur le marché.”

Il y a fort à parier que ce n’est pas cet argument qui termine de convaincre la jeune femme de s’ouvrir un peu à son tour, mais qu’importe puisqu’elle se décide enfin. Et franchement, Will aime être le centre de l’attention, mais il doit bien admettre qu’elle mérite largement le prix de la plus à plaindre de la soirée… “Quel genre d’association ?” demande-t-il plutôt poliment, pour une fois. Sans doute parce qu’il est trop occupé à la regarder sous toutes les coutures pour trouver le temps de sortir une remarque désobligeante. Dans son monde, les oeuvres caritatives sont un moyen comme un autre de briller en société. Cette fille n’a pas l’air de faire ça pour attirer l’attention, ou alors elle s’y prend vraiment très mal. “Je ne suis pas bien sûr de comprendre, en quoi est-ce que toute cette histoire regarde tes colocataires, au juste ?” poursuit-il sans vraiment attendre qu’elle lui parle de son association. “Envoie les sur les roses, s’ils ne sont pas contents, ils savent probablement où se trouve la porte !” Forcément, c’est facile à dire pour Will qui ne s’encombre que très rarement de politesse. D’un autre côté, il ne peut compter ses amis que sur les doigts d’une seule main et il y a de grandes chances que ce ne soit pas une coïncidence.

Elle a bien remarqué qu'elle a sans doute gaffé, trop entrepreneuse dans la sympathie qu'elle lui marque. On peut dire qu'elle compatit à ce qu'il ressent, mais plus encore, elle sait ce que c'est. Leah ne montre pas de pitié mais elle sait très bien que c'est ce qu'il peut paraître de l'extérieur. Aussi, elle ne force pas quand elle voit qu'il ne continue pas sur leur lancée. Tant pis, après tout. Mais le sujet sur lequel il repart, avec beaucoup d'autodérision, la fait éclater de rire. Je n'irai pas demander, rassure-toi ! Elle rit de plus belle. Ca me convient ! Tu me diras, c'est promis ? La vérité, c'est que Leah se fiche pas mal des conquêtes de Will et de ses histoires de cul. Mais ça la fait rire la légèreté avec laquelle il parle de tout ça, alors même qu'ils ne se connaissent pas, comme si une bière et des piques pouvaient faire d'eux les meilleurs amis du monde. Et des amis, en ce moment, Leah en manque cruellement.

La conversation change encore et ils arrivent à parler de ce gars, qui aurait pu être Lane tant le ridicule de la situation pouvait passer pour le jeune Bell. Et Will continue sur sa lancée. Au moins, il lui aura changé les idées, à Leah, il aura réussi à la faire rire et penser à autre chose que toute la paperasse qui l'attend non seulement pour l'association mais aussi pour l'adoption... et potentiellement toutes ces disputes à venir avec ses colocataires qui n'éprouvent pas la moindre honte à rendre sa vie plus compliquée qu'elle ne l'est déjà. Ahah, mon frère n'a pas besoin de te rencontrer pour être une véritable épine dans mon pied, quand il s'y met. Mais je l'adore quand même ! Juste, pas toujours... Elle tend la main pour qu'il tape dedans. Deal. J'ai besoin de ce genre de moments où les soucis sont dans les poches. Je n'essaie pas de t'échapper, promis !

Elle est peut-être allée un peu loin à raconter ses petites histoires, elle qui préfère écouter et conseiller, l'oreille attentive de toute une famille qui a tendance à s'oublier pour ne pas penser au fait qu'elle existe elle aussi. Et pourtant, parfois, ça lui fait du bien aussi. Une association humanitaire. Je suis partie en mission avec ma soeur il y a une dizaine d'années... et j'ai décidé d'en faire ma vocation. Aider les autres m'aide à avoir un véritable objectif dans ma vie. Me dire que je participe à quelque chose de plus grand que moi. Elle hausse les épaules. Ca ne regarde en rien ses colocataires. Pourtant... Même que ce soit mon appartement, ils y habitent et ne veulent pas voir la moindre trace de vie supplémentaire dedans... et surtout pas un enfant ou un adolescent ! ... Oui, tu as raison ajoute-t-elle dans un sourire timide. Mais elle ne le fera pas pour autant. Vous savez ce qu'on dit ? Trop bon, trop con !

Il n’y a pas que son altercation brûlante avec Charmant qui soit d’une tristesse sans fin dans la vie de Will. Ce moment, là, maintenant, pouvoir discuter avec quelqu’un sans faire semblant d’être un autre et sans qu’on ne prenne la fuite en trois secondes. Ça n’est pas arrivé depuis si longtemps qu’il sent un léger désespoir l’accabler quand il s’en rend compte. On ne peut pas plaire à tout le monde, bien sûr, mais il n’y a rien de mal à rêver que d’autres voient le monde de la même façon que soi, non ? La déprime passe vite, heureusement. Will s’arrange un instant pour que le sujet de conversation ne vole pas très haut. Et après avoir juré solennellement, une main sur le coeur, qu’il raconterait à Leah sa prochaine expérience avec une femme, il repart sur un sujet encore plus dérisoire qui lui arrache un rire bref. Il a souvent été partagé entre l’envie de faire partie d’une fratrie et celle de rester le petit prince adoré de ses parents. Il ne regrette pas complètement la vie qu’il a eu, cela dit et pour l’heure, il est surtout occupé à se sentir profondément vexé que Leah ignore totalement sa demande. “Je me proposais gentiment de lui apprendre les bonnes manières pour qu’il devienne un gentil garçon, mais ok, je vois : on ne touche pas aux frères.” Il essaye vaguement de faire comme si ça lui brisait le coeur, mais sa petite comédie ne survie pas une seconde entière.

C’est sans la moindre hésitation qu’il tape dans la main tendue de la jeune femme et qu’il va même jusqu’à ajouter, à voix haute : “J’avoue que tu es d’une meilleure compagnie que ne le laissaient penser tes chaussures.” Il y a de fortes chances qu’il continue de lui prendre la tête avec ça pour des années encore, si ce petit deal qu’ils viennent de passer à quoi que ce soit de sincère. Par sécurité, Will préfère ne pas trop y croire. On peut profiter d’une bonne soirée sans regretter qu’il n’y en ait pas plus. “Tu vas voir, je suis l’ami dont tu as toujours rêvé sans jamais le savoir.” ajoute-t-il pour la forme. Parce qu’il arrive encore à se vendre pour le moment, mais Dieu seul sait combien de temps ça va durer avant qu’il ne dépasse les limites.

Cela dit, il fait très attention de ne pas aller trop loin quand un sujet plus sérieux se présente. C’est difficile, honnêtement. Will n’est pas homme à se laisser dicter sa vie, même par ses proches et il admire presque la retenue dont Leah fait preuve envers ses colocataires. Il imagine, peut-être à tort, qu’elle a tout de la bonne poire avec ses envies de sauver le monde. “Tu ne vas pas leur dire d’aller se faire voir, pas vrai ?” demande Will pour la forme, parce qu’il n’y a qu’à voir le petit air contrit sur le visage de la jeune femme pour deviner que cette conversation ne changera rien. “Y aussi la solution de faire ce que tu veux de ta vie et, s’ils ont un problème avec la présence d’un enfant dans l’appartement, je suis prêt à parier qu’ils trouveront rapidement un nouvel endroit où vivre. Je ne suis pas juriste, hein, mais je doute qu’ils puissent tellement se retourner contre toi simplement parce que t’as un enfant. Au pire, ils partiront en claquant la porte, ce sera désagréable un moment, mais il parait que quand on devient parent, on se préoccupe plus du sort de son gamin que de ce qu’une bande d’abrutis peut penser.” Il adresse un grand sourire à Leah sur ces derniers mots. Ce ne sont pas ses affaires et elle fera bien ce qu’elle voudra, mais être lui-même lui a bien réussi jusque là et il ne compte pas commencer à se taire maintenant.

Leah sourit à Will, très amusée par sa réflexion sur Lane. Ce n'était pas exactement ce qu'elle entendait par là, mais l'extrapolation de Will l'amuse au plus haut point, elle ne peut pas vraiment le nier. Et l'homme face à elle a une façon si simple et naturelle d'amener la discussion que Leah, dans son éternelle volonté d'intravertie, a du mal à garder sa langue dans sa poche. Non, elle n'est pas des plus bavardes mais, par rapport à son habitude, elle ne tarit pas de paroles. Elle ne peut toutefois s'empêcher de grimacer.

- Dans la famille, ce n'est pas quelque chose qui s'apprend, les bonnes manières... ou du moins vraiment pas facilement. Il suffit de voir les résultats de leurs réunions de famille. Un véritable feu d'artifice de gros mots et de paroles ensanglantées. Rien qui ne vaille le coup de se torturer la santé, c'est vrai, mais c'est le rôle de Leah de le faire quand même. Alors, elle n'a pas forcément les bonnes manières dans le sang, tout comme ses frères et soeurs, mais elle essaie toujours d'agiter le drapeau blanc... qui finit tâcher de noir et de rouge à la fin de chacune de ces réunions.

Elle sourit davantage, retenant un fou rire quand Will tape dans sa main en guise de deal. Si elle pensait juste noyer ses soucis dans un verre durant cette soirée, elle ne pensait absolument pas rencontrer un potentiel ami. Et certainement pas ce genre-là, complètement extravagant et piquant à souhaits. Non, parce que c'est pas le genre de personnes vers qui Leah va naturellement. Mais il faut croire que le naturel revient toujours au galop : chaque fois qu'elle cherche à rencontrer des gens différents des caractères présents dans sa famille... elle trouve toujours les mêmes partout où elle va !C'est pas forcément sympa pour mes chaussures mais... Je prends le compliment ! Elle pouffe légèrement. Elle lui laissera le bénéfice du doute avant tout, oui.

Elle hausse les épaules.

- Je ne sais pas. Je pense qu'à la longue, je finirai par le faire, oui. Mais je ne peux m'empêcher d'espérer que la situation ne se règle par elle-même. Elle sourit timidement à Will, très touchée par l'élan de soutien qu'il vient de lui lancer, même avec une grosse maladresse. Merci.

Même s’il rêverait de prétendre le contraire, Will n’est pas tellement optimiste quand il s’agit des autres. Cette fille, pourtant… Il a vraiment envie de croire que ce n’est pas que l’histoire d’une nuit. Elle ressemble à une adulte et elle a de la répartie, alors malgré ses mauvais goûts en matière de chaussures et ce besoin sous-jacent de sauver le monde qu’il capte dans sa personne, c’est exactement le genre de personne dont il a besoin dans sa vie en ce moment. Quelqu’un de stable, mature, qui n’oublie pas de vivre pour autant. Le problème, c’est bien qu’il manque clairement d’expérience, avec les femmes autant qu’avec les amis. Si c’était un homme, il lui demanderait son numéro sans y réfléchir à deux fois. Et trouverait probablement le moyen de le mettre dans son lit et d’oublier son existence en quelques jours. Là… Il patauge comme pas possible quand la conversation commence à s’essouffler et qu’il ne se sent surtout pas à sa place de lui prendre la tête jusqu’au petit matin sur ce qu’elle devrait faire de sa vie. Il sourit presque comme un gosse timide quand elle le remercie de la sollicitude dont il fait preuve à son égard, de sa manière toute personnelle certes, mais pas moins sincère et Will finit d’être complètement charmé à ce moment-là.

“J’ai hâte d’entendre la suite de cette histoire !” déclare-t-il en retour, son ton exagérément excité. C’est surtout pour éviter que le moment devienne gênant, que d’un merci ils passent à d’autres confidences, finissent par se tomber dans les bras ou Dieu ce que les gens font quand ils partagent un moment. Il aime l’idée qu’ils arrivent à se comprendre aussi simplement que ça et qu’il n’en faille pas plus. Et puis, c’est comme une porte qu’il ouvre à une prochaine fois, pas vrai ? “Je vais devoir t’abandonner là, j’ai un cours demain matin et il parait que ça le fait pas quand le prof a la gueule de bois, va savoir pourquoi…” lâche-t-il, légèrement dépité rien qu’à penser à ce foutu cours qui l’ennuie d’avance. “Mais ne crois pas que t’en as fini avec moi, petite Leah !” Il dit ça comme si c’était une menace, malgré le sourire amusé sur ses lèvres. “Je mets généralement un point d’honneur à éviter les clichés, mais toi et moi, on a rencard pour une journée shopping entre filles, t’as besoin d’une nouvelle paire de chaussures. Ton téléphone ?” Il tend la main vers elle, le regard sérieux, presque réprobateur, jusqu’à ce qu’elle consente à déposer l’appareil dans sa paume ouverte. C’est pratiquement comme avec un homme, au fond, à la seule différence qu’il se sent beaucoup moins à l’aise. Il tape son numéro à la vitesse de l’éclair, l’enregistre dans le répertoire de la jeune femme et fait simplement sonner son propre téléphone une fois avant de rendre le sien à Leah.

“J’appellerais un maximum de trois fois avant d’abandonner, si tu décides de ne pas répondre.” l’informe-t-il. “Mais souviens-toi qu’on vient de passer un deal.” Il cesse de la gronder après ça, remet sa veste et se retrouve presque les bras ballants à lui faire face. “Bonne nuit, future meilleure amie !” la salut-il dans un dernier sourire, avant de s’échapper. Pas sûr que leur relation finisse par aller jusque là, mais alors qu’il quitte le bar et remonte les rues pour rentrer chez lui, Will est presque heureux malgré la journée - voire la semaine - affreuse qu’il vient de passer.