Depuis le pas de la porte, le spectacle à l’intérieur de l’appartement n’est que désolation. Les murs noircis par les flammes sont une chose, mais le pire vient de l’eau qui imbibe absolument chaque petit recoin du loft, des murs aux bibelots dont tout le monde se fiche complètement. La dernière chose dont Will ait envie, c’est de passer cette porte et de constater avec encore plus de détails qu’il a tout perdu. Malheureusement, une part de lui ne peut supporter l’idée de fermer cette porte et de ne plus jamais jeter un regard en arrière. Alors, sans grande volonté, il se force à investir les lieux et passe trois longues heures à sauver tout ce qui peut l’être.

Quand il sort, à l’issue de cette torture, tout ce qu’il possède au monde tient dans un simple sac de voyage dont la lanière de cuir s’enfonce douloureusement dans son épaule. Quelques vêtements, quelques papiers importants, des petites choses dont il n’a pas vraiment besoin mais auxquelles il tient particulièrement. Sous son bras droit, il transporte aussi le tableau qui était jusqu’alors accroché au-dessus de son lit - ça il n’en a clairement pas besoin, mais c’est un caprice qu’il se permet pour faire savoir à l’univers qu’il n’accepte pas ses conditions.

Il n’a pas envie de passer sa soirée seul dans sa chambre d’hôtel avec les trois pauvres trucs qu’il lui reste au monde, alors il se contente de marcher sans réfléchir vraiment à sa destination. Qui ça intéresse, de toute façon ? La vie n’a plus aucun sens ! Étonnamment, ça lui ferait presque du bien d’avancer comme ça, avec rien d’autre que ses pensées pour compagnie. Tout part en vrille dans sa vie depuis le retour d’Aiden aux Etats-Unis, il avait définitivement besoin d’un moment au calme pour réfléchir tranquillement et sérieusement à ce qu’il est en train de faire de sa vie. Il n’a pas vraiment de réponse claire quand il commence à se fatiguer de marcher, mais il a au moins retrouvé l’envie de voir la vie du bon côté. Et de s’asseoir. Chose qu’il fait en revenant devant chez lui, puis regrette finalement quand il réalise qu’il doit avoir l’air d’un sans-abris, assis seul sur un trottoir au milieu de la rue, avec ses affaires près de lui, ses yeux cernés, sa barbe de trois jours et ses cheveux en bataille. Un vrai désastre. Et quand il y réfléchit bien, il est vraiment sans-abris, pas vrai ? Il peut peut-être rendre le concept glamour avec sa jolie gueule et ses millions de dollars, mais ça n’en reste pas moins vrai !

C’est ce à quoi il est en train de penser quand quelqu’un l’interpelle, le prenant par surprise. Un air coupable s’installe sur ses traits, laissant au moins savoir qu’il est bien conscient que ce qui se passe dans sa tête est ridicule et déplacé. C’est encore pire quand il reconnaît le visage de la jeune femme. “Oh, salut toi.” lâche-t-il, mollement. “T’es encore en train de braquer des SDFs ?” demande-t-il. “Sache que je ne me laisserai pas faire sans me battre. Ces chaussures sont à moi, elles n’iront nul part !”

L’apparition soudaine de Leah manque de peu d’arracher son premier vrai sourire à Will en deux jours. Malheureusement, c’est par une grimace qu’il répond à la jeune femme, juste avant que son regard ne se pose sur la façade de son immeuble rongée par le feu. C’est d’autant plus terrible qu’il peut voir la fenêtre de son appartement, d’ici, et qu’il sait très exactement ce qui se cache derrière. “J’en ai bien peur…” souffle-t-il à l’adresse de la brune. “J’ai pris une chambre à l’hôtel hier soir, mais… ça ne compte pas vraiment comme un domicile fixe, je suppose ?” Quant à savoir comment il va… Honnêtement, il se sent lamentable. Il doit bien reconnaître, pourtant, que ce ne sont que des objets qui ont brûlé et que ce n’est pas si grave. “Ça va.” lâche-t-il donc, sans grande conviction. “Personne n’a été blessé. À part mes vêtements de créateurs et mes livres, je veux dire.” Il essaye vraiment de relativiser, mais c’est plus difficile qu’il n’y paraît pour quelqu’un comme lui. “Ça m’apprendra à vouloir cuisiner tout seul alors que je paye quelqu’un pour le faire.” Clairement, Will n’a pas les mêmes problèmes que le reste du monde. Et il y a de fortes chances qu’il ne soit pas le seul à se trouver lamentable, là tout de suite.

Cela dit, rien ne le force à le rester, pas vrai ? Alors après un dernier soupir dépité, il se force à reprendre le contrôle et se lève pour se planter devant Leah. “Merci d’être venue.” souffle-t-il en pressant l’épaule de la jeune femme. “J’avais pas trop envie de passer une autre nuit tout seul dans une chambre d’hôtel.” Bien sûr, il sait qu’il sera forcé de s’y résoudre à un moment ou à un autre, mais il compte bien être ivre mort quand ça arrivera. Et s’il faut que ce soit ce soir, autant ne pas perdre de temps. Aussi, il ramasse son sac et son tableau et lève les yeux vers Leah. “Voilà ce que je te propose : soit on va à l’hôtel et on défonce le mini-bar, soit on s’achète une bouteille de tequila et on la vide où tu voudras. Et épargne-moi les bons sentiments et les “l’alcool ne résout rien, Will”, je le sais mais j’en ai vraiment besoin, là. Mon appartement en cendres, c’est juste la partie visible de l’iceberg de merde dans lequel je me suis échoué ces jours-ci.” Dire qu’il s’était donné tant de mal pour essayer de devenir un adulte fonctionnel, une meilleure personne, plus stable, plus indépendante, plus ouverte… ça a fonctionné, un certain temps, mais chassez le naturel et il revient au galop. C’est bien ce qu’on dit ? Will en est l’exemple parfait.