La rénovation de son appartement avance bien trop lentement au goût de Will. Ca le rend légèrement dingue - nerveux, dit-il quand il monologue trois heures à ce sujet chaque fois qu’il en a l’occasion. Il n’a pas remis les pieds dans une cuisine depuis le soir de l’incendie. Alors, il cherche de nouvelles occupations, de préférence qui n’impliquent pas la sécurité d’autres personnes. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé à revenir régulièrement au Centre LGBT de la ville, où il s’est engagé comme bénévole deux ans plus tôt et où il n’a quasiment jamais mis les pieds depuis. Mieux vaut tard que jamais, pas vrai ? Les responsables ont eu l’air de se dire la même chose, vu qu’on l’a laissé s’impliquer dans quelques activités sans aucun mal. Aujourd’hui, il s’est porté volontaire pour distribuer des tracts avec d’autres membres de l’association. Oui, il a été le premier surpris en s’entendant dire qu’il était disponible, mais pourquoi pas finalement ? Et puis, comme la zone qu’on lui a affecté n’est pas très loin de chez lui, ça lui laisse l’occasion de surveiller les ouvriers et de finalement prouver qu’ils ne font pas du tout leur travail. Enfin ça, ce sera juste du bonus.

Il arrive à l’heure au rendez-vous à Jackson Square et a même accepté de porter le t-shirt affreusement mal coupé, mais sur lequel est imprimé le logo de l’association, qu’on lui a filé avec le carton rempli de tracts. Et quand il repère l’autre personne affublée du même t-shirt, il va jusqu’à coller un grand sourire sur ses lèvres au moment de s’approcher. C’est pour dire à quel point il est déterminé à faire les choses biens ! “Salut, je crois que je suis ton binôme !” lance-t-il en arrivant devant la jolie brune. Il aurait préféré un homme, mais bon, il parait qu’il est là pour travailler, pas pour draguer, même s’il voit mal pourquoi il ne pourrait pas joindre l’utile à l’agréable. “Je m’appelle Will !” se présente-t-il en tendant une main à la jeune femme. Il trouve qu’il commence à devenir vraiment doué avec cette histoire d’agir comme un humain normal et équilibré, amical et toutes ces conneries. “Alors, ça fait longtemps que tu fais des trucs pour l’asso ?” Franchement, il mérite des félicitations. “Tu veux qu’on se mette chacun à un coin du square ou on reste ensemble au milieu ? J’ai jamais fait ce type d’action avant, donc euh… Si jamais t’as de meilleures idées, fais-toi plaisir !” C’était franchement plus simple quand sa façon de militer consistait surtout à exister et laisser des journalistes lui prendre la tête. Pour ce qui est du contact avec le… “public”, il a surtout de très mauvais souvenirs. Enfin, tout ça, c’est de l’histoire ancienne, pas vrai ? Aujourd’hui, il n’y a aucune raison que ça se passe mal, surtout qu’il est dans le bon état d’esprit pour faire en sorte que ça marche.

( Pando )

Candelaria. C’est le nom de la jolie brune. Will le note dans un coin de son crâne, pas très convaincu de réussir à s’en souvenir longtemps, mais il aura au moins essayé ! Il va même jusqu’à lui offrir un grand sourire alors qu’elle serre sa main. Et, plus incroyable encore, il essaye de discuter avec elle alors que rien ne l’y oblige. “Ça fait deux ans que je paye ma cotisation… Mais je viens seulement de commencer à venir.” admet-il, quant à savoir depuis quand il appartient au centre. “J’ai été pas mal occupé…” ajoute-t-il, comme pour se justifier. Il ne s’éternise pas non plus sur la question, peu désireux de devoir admettre encore plus de détails qui lui donneraient l’air beaucoup moins sympathique et essaye de les mettre plutôt dans le vif du sujet. Il laisse même Candelaria décider de la répartition, vu qu’il n’est clairement pas l’expert de la situation. “Parfait, faisons comme ça !” Honnêtement, elle n’a pas l’air de savoir plus que lui ce qu’ils doivent faire, mais il s’en fiche un peu à vrai dire. Le but du jeu, c’est de s’occuper l’esprit, qui ça intéresse qu’ils distribuent assez de tracts ? Alors sans plus tarder, Will retire le plastique qui recouvre les flyers et en enlève une bonne poignée qu’il donne à la jeune femme avant d’en prendre pour lui.

Le reste est plutôt facile. Certes, il doit coller un sourire amical sur ses lèvres et supporter le fait que la moitié des gens passent devant eux sans même les regarder, mais… au fond, ce n’est pas si différent que les nombreuses soirées mondaines auxquelles on le force à participer depuis qu’il sait se tenir droit. Et pendant au moins un quart d’heure, il fait cela à merveille. Ça semble court pour la plupart des gens, mais pour Will ça relève sincèrement du miracle. Malheureusement, avant qu’il ne puisse s’en vanter auprès de sa partenaire, il croise le regard d’une femme et c’est donc tout naturellement qu’il s’en approche, flyer tendu vers sa cible comme il le fait depuis le départ. Qu’elle ne veuille pas de son tract est une chose, qu’elle se sente obligée de le regarder comme s’il s’apprêtait à lui filer la peste… “Je ne suis pas contagieux, vous savez ?” lui lance-t-il, de manière très sympathique, trouve-t-il. “On est en plein milieu d’un lieu public, il y a des enfants, ici, monsieur ! Vous êtes obligé d’imposer vos horreurs ? Vous devriez avoir honte !” Pour être complètement honnête; Will n’a même pas regardé ce qu’il y avait sur les flyers qu’ils distribuent. Par acquis de conscience, il le fait maintenant et ne voit rien d’autre que des infos pour une association qui héberge des mineurs rejetés par leurs familles. Et ok, il y a deux garçons sur le flyer, ils se tiennent très proches l’un de l’autre, mais c’est à peine s’ils se touchent… “Mes horreurs ? Vous plaisantez ?” De toute évidence, ni Will ni la femme n’ont quoi que ce soit à gagner avec cette conversation, mais aucun ne semble prêt à descendre de ses grands chevaux.

( Pando )

C’est toujours la même histoire ! Chaque fois que Will essaye de bien se comporter, quelqu’un l’en empêche. Il n’y est pour rien, dans une situation comme celle-là, personne ne peut laisser couler. Personne ne devrait, en tout cas. Cette femme n’a pas le droit de l’insulter en pleine rue et espérer s’en sortir. Ok, peut-être que le mot insulte est un peu exagéré, mais à peine. Il croise les bras sur sa poitrine et se redresse pour se tenir bien droit, la surplomber de toute sa hauteur, dans l’espoir qu’elle se sente un tout petit peu impressionnée et décide de lâcher l’affaire la première. Malheureusement, ce n’est pas du tout ce qui se passe et, au contraire, la femme prend une posture similaire à la sienne. Ça le rend presque triste, en fait, parce qu’il comprend qu’elle croit vraiment à ce qu’elle dit, qu’elle pense être dans son bon droit et ne voit pas du tout où elle se trompe. Il est triste pour elle, triste pour lui, mais surtout furieux. Avant qu’il n’ait le temps de lui expliquer en quoi ses remarques et son comportement sont inadmissibles, cela dit, Candelaria débarque et, un bref instant, Will se sent seulement coupable. Il aurait préféré ne pas l’embarquer dans cette histoire, elle a l’air gentille et mérite certainement de mener sa vie en paix. La jolie brune ouvre la bouche et, juste comme ça, la culpabilité de Will s’envole pour laisser la place à un grand sourire, bien heureux de s’être trouvé une partenaire de galère qui ne se laisse pas faire. “L’aide dont les gens comme vous ont besoin, c’est celle d’un professionnel !” rétorque la femme en posant son regard dégoûté sur Candelaria. “Y en a marre, de vous ignorer et de vous laisser répandre vos inepties sans arrêt ! Quelqu’un doit vous dire en face ce qu’on pense tous et s’il faut que ce soit moi, alors tant pis, ainsi soit-il !” Honnêtement, elle a de la chance d’être une femme, c’est à peu près tout ce qui empêche Will de l’attraper par les épaules pour la secouer jusqu’à faire entrer un peu de bon sens dans son crâne. “Vous savez, chère madame,” souffle-t-il à la place, un air mauvais sur le visage, “d’après mon expérience, les gens les plus prompts à exprimer leur opinion comme vous le faites, sont souvent ceux qui cachent des pensées pas très saines et des désirs homosexuels refoulés. Vous devriez peut-être prendre l’un de ces flyers ou aller payer une petite visite à ce professionnel dont vous parlez. Un psychiatre, je suppose ? Ca vous ferait un bien fou !” D’après son expérience, cette histoire d’attaquer ce qu’on voudrait être est surtout un gros cliché, mais il obtient le résultat qu’il désirait malgré tout : la pauvre femme est folle de rage et il est presque sûr qu’elle a très envie de le frapper, elle aussi.

( Pando )