Elle qui s’était juré de ne jamais mettre les pieds dans une université – ben oui, son rêve à elle n’était pas de devenir ingé son ou un truc encore plus compliqué -, venait tout juste d’en pousser la porte. Comme ça, sans pression. L’espace d’un instant, elle avait imaginé que des mecs aux gros bras de la sécurité se jetteraient sur elle pour lui faire reprendre le chemin en sens inverse mais ce ne fut pas le cas. Premièrement parce qu’ils avaient sans doute des choses plus intéressantes à faire et ensuite parce qu’elle faisait tout sauf tache dans le décor. A tel point que personne ne relevait les yeux sur son passage, ni les professeurs ni les étudiants, elle se fondait parfaitement dans la masse. Ce qu’elle faisait là ? C’était très simple : ce matin-là, elle s’était réveillée avec l’envie de faire des comparaisons entre le vaudou haïtien, celui qu’elle connaissait le mieux, et le vaudou de la Louisiane. Ça lui prenait des fois, sans crier gare. Comme elle avait une journée de libre et qu’elle ne pouvait pas la passer en bonne compagnie parce que justement, ce n’était pas le cas de tout le monde, Keo avait pris la décision de partir à la recherche de réponses à ses questions. Puis c’était l’occasion de découvrir un peu mieux la ville, aussi, elle qui n’y vivait que depuis quelques mois et n’avait pas réellement eu le temps de l’explorer.

Sa première idée avait été de prendre sa Coccinelle et de sillonner le centre-ville à la recherche d’une sorte de boutique. Il devait bien y avoir quelque part en ville un endroit où l’on pouvait se procurer de la poudre de brique, des grigris, des bougies spéciales et ainsi de suite, c’était forcé. Le hic, c’est qu’il fallait encore savoir où chercher. A l’aide de son nouveau téléphone, la rouquine avait surfé le net mais n’avait pas trouvé grand-chose digne d’intérêt. D’accord, les propriétaires de cette boutique n’allaient certainement pas crier sur tous les toits ce qu’ils faisaient, bien que ce soit de notoriété publique que la Louisiane soit une terre de vaudou mais dans ce cas, on pouvait également croire qu’elle était une terre de Vampires et autres conneries de ce genre. Oui mais le vaudou était une religion, au même titre que n’importe quel religion et pas juste une chimère. Tout ça pour dire qu’elle n’avait rien trouvé de concluant et qu’il faudrait qu’elle interroge les bonnes personnes. Bon, eh bien si elle ne pouvait parler à de vrais adeptes, il y avait tout de même d’autres solutions, comme les historiens, par exemple. Ils ne s’y connaissaient certes pas autant et croyaient sûrement assez peu mais ça en valait la peine.

Voilà comment elle avait atterri en ces murs. Car oui, quel meilleur endroit pour trouver des historiens que dans une université, quand ils ne sont pas sur le terrain comme Indiana Jones, hein ? Arpentant les couloirs bien trop austères à son goût, la demoiselle cherchait à présent une classe d’histoire, donc. Peu importe laquelle, peu importe qui enseignait et elle croisait les doigts pour qu’un cours soit bien en train de se donner, sinon ça voudrait dire qu’il faudrait qu’elle revienne et ça ne la tentait guère. C’est alors qu’elle passa devant une classe où étaient attroupés des étudiants un tout petit peu plus âgés qu’elle. Elle s’approcha à pas de loup et capta leur discussion sur le cours qui allait se donner d’une seconde à l’autre. C’était comme de trouver le graal ! En tout cas ce le fut pour un autant parce qu’une fois à l’intérieur et ledit cours commencé, Keo se rendit rapidement compte que le sujet principal ne l’intéressait pas le moins du monde. Cela dit, elle ne pouvait pas quitter la salle sans se faire remarquer puis elle s’était donné tellement de mal pour arriver là que ça serait dommage. Mais il fallait qu’elle s’occupe, alors.

La jeune femme sortit une mini-trousse de son sac et en sortit un flacon de vernis. Tant qu’à faire, autant s’occuper de sa manucure, hein, ainsi elle se faisait pas remarquer et en plus, elle ressortirait de là avec des ongles parfaits. Du moins c’est ce qu’elle pensait jusqu’à qu’un raclement de gorge répété lui fasse relever la tête en direction du prof. Le regard de celui-ci parcourait la salle mais ne s’était pas arrêté sur elle, ça ne pouvait donc pas venir de lui et c’était une chance. Keo se contenta d’hausser les épaules avant de se remettre au boulot quand l’autre se racla la gorge une fois de plus. Oh mais c’était pas possible, ça, elle avait chopé une laryngite, ou quoi ? Si seulement… en fait, le son provenait d’une fille sur sa droite qui, de toute évidence, était outrée qu’on puisse ne pas écouter un cours d’histoire. Ce qu’elle ne faisait pas non plus puisqu’elle était plus occupée à la juger. Encore une miss-je-sais-tout, chouchoute de tous les professeurs, qui ne pouvait pas se mêler que de ses oignons, pathétique. D’un regard, elle tâcha de lui faire comprendre qu’elle ferait mieux de ne pas l’emmerder sous peine de… quoi exactement, elle n’en savait trop rien mais c’était comme ça qu’il fallait agir avec ces individus, quand le silence dans la classe lui fit comprendre que tout le monde les regardait. Sans exception. Ah bravo, c’était malin ! La rouquine essaya alors de se faire toute petite, pas des plus évidents pour elle qui était plutôt grande.

Lorsque Keo remarqua que le prof ne la regardait pas elle mais l’autre bêcheuse, elle put souffler et reprendre sa manucure. Mortel le sujet de ce cours, heureusement qu’elle avait une occupation, sinon elle serait morte d’ennui depuis longtemps. Pourtant, ce n’était pas faute de vouloir rendre tout ça plus intéressant, elle voyait bien que ce type se débattait pour faire en sorte de captiver ses élèves mais il faisait face à des bâillements de tous les côtés. Dans tous les cas, plus personne n’osa moufeter et le cours se poursuivit interminablement jusqu’à ce que la cloche sonne enfin. Right on time, son vernis était sec. La jeune femme attendit que tout le monde se soit envolé, ce qui ne prit pas tant de temps que ça, moins que pour s’installer en début d’heure en tout, puis rassembla ses affaires et se dirigea ensuite vers le prof qui lui prenait tout son temps, bien moins pressé que ses élèves de sortir de là. Avant d’oser prendre la parole, elle observa un moment la classe. Ça ne ressemblait même pas à la classe d’histoire dans laquelle elle avait passé des heures au lycée. Celle-là avait des murs couverts de cartes de toutes les époques possibles et d’estampes, sans doute achetées au marché aux puces ou même tout simplement données.

« Excusez-moi, j’espère que je ne vous dérange pas. Je voulais simplement avoir plus d’informations sur l’histoire de la Louisiane et notamment tout ce qui touche à l’esclavagisme et au vaudou. »

C’est qu’elle causait bien quand elle le voulait. Surtout quand elle voulait vraiment quelque chose, en fait. Cela dit, le professeur devait se demander ce qu’elle fichait là. Enfin, à condition qu’il ait seulement remarqué qu’elle ne faisait pas partie de ses élèves. Ce n’était pas qu’elle en doutait, mais il avait peut-être tellement d’étudiants dans ses cours qu’il ne pouvait pas se rappeler de tous ? Pas moyen de savoir, Keo ne parvenait pas à décrypter l’expression de son visage. En tout cas, il n’avait pas l’air furax qu’elle se soit incrustée et c’était bien tout ce qui importait, au final. Quoi qu’il en soit, elle était bien élevée et elle n’avait pas non plus envie de l’accaparer de trop, même s’il semblait qu’il n’ait pas d’autre cours, là tout de suite, alors autant en profiter.

« Je sais bien que je n’ai rien à faire ici alors que je ne suis pas inscrite, mais je voyais pas trop où aller sinon. Puis si vous n’avez pas le temps, peut-être que vous connaissez quelqu’un susceptible de m’aider ? »

Autant jouer franc jeu, de toute façon ça serait pire si elle se faisait passer pour une étudiante. Puis jusqu’à preuve du contraire, elle ne pensait pas que ça soit écrit quelque part que l’entrée était strictement interdite aux personnes non-inscrites. Une fois qu’elle eut ça bien en tête, Keo se détendit au point d’esquisser le mouvement de s’asseoir sur le bureau mais y renonça de justesse. Détendue c’était bien, il fallait juste faire un peu attention à ne pas tomber dans le sans-gêne non plus.

Bon, une fois que le professeur eut accepté sa demande, Keo put souffler. Apparemment, ça lui faisait même plaisir de parler d’histoire avec quelqu’un que ça n’embêtait pas. Comment ça ? Elle qui avait toujours cru que les historiens de tous horizons formaient une espèce de cercle très fermé auquel on ne pouvait accéder, et les imaginait se réunir dans une cave aménagée spécialement pour l’occasion pour prendre un verre de brandy, elle était déçue. Mais elle n’en dit rien et écouta très attentivement ce qu’il avait à dire au sujet du vaudou. D’après ses dires, il n’était pas expert en la matière et la jeune femme savait qu’à moins de trouver un pratiquant, ce qu’elle avait cherché en vain tout l’après-midi, il était difficile d’être un expert mais ça ne l’empêchait pas de trouver fascinant ce qu’il lui expliquait. Puis elle irait se coucher moins bête puisqu’elle avait sauté les origines même du vaudou pour directement passer aux îles des caraïbes. Et personne ne lui jetterait la pierre car tout sonne bien mieux quand on y ajoute un peu de caraïbe. La rouquine sourit lorsque le professeur lui conseilla de ne pas se faire avoir par les poupées vaudou qu’on pourrait lui vendre. Oh ça, ça faisait bien des années qu’elle faisait les siennes.

« C’est fascinant, et vous connaissez des gens qui pratiquent ? »

Parce qu’elle ne renonçait pas à l’idée d’en rencontrer, ça sûrement pas, si elle n’en trouvait pas à la Nouvelle-Orléans, alors elle n’en trouverait nulle part car un voyage à Haïti ou ailleurs en dehors du pays était carrément inenvisageable pour le moment, faute de moyen. Keo finit pas s’asseoir à moitié sur le bureau, après tout, si ça dérangeait ce monsieur, il n’avait qu’à le lui dire tout simplement et croisa les bras, cherchant une question pertinente tant qu’elle avait sous la main quelqu’un qui s’y connaissait un tant soit peu.

« Et aussi, est-ce que vous savez s’il y a eu des différences entre le vaudou du Bénin et celui d’ici ? Je parle pas juste des poupées ou même du côté magique mais dans la religion dans sa globalité. Je sais pas, d’autres Dieux… ? »

Mais là, elle n’avait même pas besoin qu’on lui réponde pour savoir qu’elle en demandait trop à quelqu’un qui ne s’y connaissait pas suffisamment. Cette conversation était sympa tout en étant quelque peu frustrante, en fait. Tant de questions pour si peu de réponses. La rouquine leva les mains pour faire comprendre à son interlocuteur qu’elle-même avait compris qu’elle demandait trop de détails.

« Bon alors, comment vous expliqueriez que ça ait survécu à tout ça ? »

Là elle tenait une super question. C’est vrai, quoi, tant de religions polythéistes s’étaient éteintes pour elle n’avait jamais trop compris quelle raison, à vrai dire, c’était incroyablement pompeux de n’avoir qu’un seul et unique Dieu pour tout. Sans compter que les dernières religions polythéistes provenaient de pays où la population était plus que dense, comme l’Inde ou la Chine, ceux-là résistaient encore et toujours à l’envahisseur monothéiste, bien que celui-ci gagne du terrain.