Le blanc. L'éternel vide que tu ne saurais remplir. L'oubli. L'incapacité de te rappeler. C'est vrai, ça t'arrivait souvent, ça c'est certain, mais jamais au point où tu ne te rappelais de rien. Comme souvent, avec Lane, la veille, vous étiez partis au Jagger's Dinner pour boire un verre. Comme toujours, vous vous étiez lancés des défis à la con. Cette fois-ci, c'était à celui qui boirait le plus d'alcool. La dernière chose dont tu te souvenais, c'était d'avoir franchi le seuil de la maison et d'avoir lancé un ultime défi à Lane : à celui qui finirait le plus vite sa bouteille de rhum. Après ça, plus rien.
Le réveil est violent : gueule de bois, mal partout, envie de vomir, déshydratation, tout. Et en te levant prendre un verre d'eau pour essayer de faire passer une partie des symptômes... tu te retiens de pousser un cri. Toi et Lane, vous avez dormi sur le canapé, l'un comme l'autre en slip-chaussettes... des cravates autour de la tête et, surtout, sur ton visage, des dessins pour public averti dont le contour est tout rougi. L'irritation, c'est fait. Tu frottes vigoureusement pour essayer d'en enlever un peu. Rien n'y fait. Eh merde.

- LANE ! hurles-tu pour le faire bouger sans t'épargner le mal de tête passager. Qu'est-ce qu'on a foutu hier ?!

La soirée de la veille avait été bien arrosé. Et l'alcool qui coulait dans mes veines, accompagnant allégrement mon sang d'un organe à l'autre endormait mes sens, me laissant dans un quasi coma sensoriel. J'avais beau dormir, je le sentais, et la dose de ce nectar pourtant dangereux si on en abusait, avait été telle qu'il allait me falloir du temps pour la faire partir. La dose d'alcool semblait tenter de prendre possession de l'ensemble de mes membres, décidant pour moi qu'il n'était pas temps d'en redevenir le maître. Je me sentais comme dans du coton, en proie à un engourdissement de chacun de mes membres. J'avais beau être en proie à un sommeil profond, ce sommeil me laissait la connaissance partiel de l'état dans lequel je me trouvais : j'en étais presque pleinement conscient.
Et l'alcool endormant mes sens et ma motricité, j'aurais pu ne pas me réveiller de si tôt si je n'avais pas entendu un cri. Mon nom hurlé me fit ouvrir les yeux.
Le temps de m'habituer à la douleur qui frappait ma tête, écho de ce cri qui semblait se heurter à des tonnes de miroirs sonores, et qui ne voulait pas sortir de mon cerveau, le meurtrissant à chaque résonance.
- Duuuh.. mec, pas besoin de crier comme ça.. disais-je, réussissant à ouvrir les yeux. Réalisant la situation, je grimaçais en sentant Aaron, presque nu sur moi. Je me levais et riais en le voyant. Ah, il avait fier allure ! Enfin, je pouvais bien moquer, en me redressant assez pour voir mon reflet dans le miroir, je laissais mes yeux devenir ronds par la surprise. BON SANG.
Je m'asseyais sur le fauteuil en face, en me frottant la tête d'une main, et essayant de lever la cravate de l'autre.
- J'en sais rien, mais je crois que cette fois-ci, on a déconné. disais-je, en plissant les yeux. Il allait vite falloir qu'on retrouve une contenance, les cris avaient dû alerter le reste de la colocation.. Et j'étais pas prêt à être vu comme ça, dans cet état. Oh, ça non..

Regrettant aussitôt d'avoir hurlé tu enchaînes avec une grimace désolante. Tu ferais pitié à n'importe quel sans abri qui n'aurait pas la chance d'avoir de quoi se laver et se couper la barbe tellement ça se voit que l'alcool t'a mis dans un sale état. Pourtant, tu t'étais juré d'arrêter tout ça. Surtout quand il y avait Jules dans tes pattes... Jules. Depuis qu'elle était partie, plus un mot, ni rien. Et tu t'y étais attaché à ce petit bout de femme chieuse comme pas deux qui refusait de céder à n'importe laquelle de tes avances. Brrr.

- Ouais... je sais. Tu regrettes terriblement. Ce cri qui aux airs de continuité dans ton cerveau comprimé par ce trop plein auquel tu as droit dès que tu te lâches un peu. Et tu te lâches toujours trop, même quand il n'y a pas de raisons. Au quotidien, voilà. Tu fronces les sourcils en voyant ton coloc et camarade de galère pour aujourd'hui essayer d'enlever la cravate qu'il a sur la tête. T'arrives pas à l'enlever ?! Tu soupires. ouais, cette fois-ci, vous avez bien déconné comme vous savez bien le faire, oui.

J'essayais de me souvenir. Mais plus je forçais sur ma mémoire, plus le rappel de l'alcool ingérait hurlait la souffrance de ma tête. C'était insupportable. Peut-être que c'était juste un avertissement de mon cerveau : il valait mieux que je ne me souvienne pas. C'était ainsi, et surement pour le mieux. J'étais fin prêt à oublier. Même si ma curiosité voulait savoir ce que je foutais là, dans cette situation sordide. Bon sang, j'espérais qu'on avait été tous seuls dans la villa. Si quelqu'un nous avait vu comme ça, c'était vraiment la loose et la honte. Pire s'ils avaient pris des photos d'eux dans cette situation. Il allait falloir enlever toutes les preuves.

Aaron s'inquiétait de me voir tripoter la cravate, mais je l'avais tellement bien serrée et nouée qu'elle me comprimait le cerveau, surtout maintenant que je la savais présente sur ma tête, et que je n'arrivais pas à la faire glisser. C'était la première fois de ma vie que j'avais l'impression d'avoir un grand front. Et gros au passage. Je soupirais avant de lui répondre.
- Je crois que non.. disais_je en soupira, tout en triturant la cravate, resserrant très certainement le noeud. Je pense qu'il nous faudrait des ciseaux. Parce que là, je vois pas comment, sinon... affirmais-je, partant à la recherche de l'instrument en question, avant de reprendre.En revanche, il faudrait qu'on s'habille. Et qu'on t'enlève tes décorations faciales, mon pote. Je me retenais de rire, certainement opprimé par la honte qui se développait en moi d'en être arrivé à un tel point.

Tu détestais être dans cet état. Dans l'exercice de se soûler la gueule, c'était peut-être le lendemain matin que tu redoutais le plus... mais comment te priver d'un tel moment exquis sous prétexte que les lendemains sont difficiles ? Aucune chance.

Voir Lane se débattre de la sorte, ça aurait pu être drôle. Ca aurait pu si rire n'avait pas été douloureux, comme un coup de marteau au cerveau. Le moindre bruit te donnait l'impression qu'une cloche résonnait au fond de ta tête. Pour t'être mis dans cet état là, tu t'étais certainement bien fait remballer par une des plus jolies filles présentes... même si tu ne savais pas si c'était le cas, ce qui s'était dit, ni même à quoi elle aurait pu ressembler.

- Désolé mec... mais je prends pas le risque, j'ai tellement mal au crâne que je ne suis pas sûr de bien voir. Tu marquais une pause, comme pour digérer le son que tu venais de produire. On sait jamais Tu écoutes ce qu'il a a te dire, sans vraiment comprendre, déjà passé à autre. Mes décora... Haaaa mais décorations. Oui, il faudrait.

J'appuyais ma main sur mon front, comme dans l'espoir impossible que mon mal de crâne allait s'évaporer suite à ça. Je n'étais pas particulièrement réaliste, je crois.
En regardant Aaron, j'avais envie de rigoler. Mais quand je m'étais vue, j'avais finalement vite ravalé mon éclat de rire. Et, incapables de lever ces cravates qui nous comprimaient le cerveau, il fallait prendre des ciseaux. C'était la seule solution Je regardais Aaron, totalement fané qu'il ne puisse pas m'aider.
- Putaiiiin... disais-je, tout en tirant la cravate, empirant surement les choses.
- Steuplé, il faut vraiment que tu m'aides. Dans le miroir, je risque de faire encore pire. Moi, pour lui, j'étais prêt à couper, oubliant mon mal de crâne pour lui enlever cette cravate de la honte, perchée sur son tour de tête, comme la mienne. D'ailleurs, en parlant de ça, dès qu'il me confirmait pour enlever les marques de marqueurs qu'il avait sur le visage, j'allais chercher le paquet de lingettes démaquillante de Sapphir, de l'alcool modifié, des cotons, et la crême apaisante/hydratante de Tori. Il allait nous falloir au moins ça. Je soupirais, avant de revenir face à Aaron.
- Je te préviens, l'alcool modifié, ça fait pas du bien quand on frotte avec. Ça peut piquer. Et t'as pas intérêt de bouger, que je t'en mette pas sur les yeux ni dans la bouche. Après je me servirai des soins des filles. T'inquiète pas. On va s'en sortir. disais-je, en notant pour moi même qu'il fallait faire vite, et ensuite qu'on aille se faire la décoction de grand mère pour lever la gueule de bois..
- Prêt ?

Chaque réveil te faisait regretter ta faiblesse mais la tentation restait plus forte. Tu aimais tellement ce moment où tu ne contrôlais plus rien, ce moment où ton cerveau abaissait ses toutes dernières inhibitions pour te laisser vivre comme tu es vraiment. Clairement pas l'homme le plus sage et réfléchi du monde.

Ta grimace voulait tout dire. Lane parlait trop fort pour toi. C'était logique vu la détresse que vous aviez à ôter ces foutues cravates. Et la question ne te venait même pas de savoir comment elles étaient arrivées là. Parce que vous connaissant vous aviez forcément suffisamment fait les cons pour les serrer le plus possible alors même que ce n'est pas une bonne idée. Typique de vous.

C'est pas que tu ne voulais pas l'aider, c'est que tu pensais ne pas pouvoir l'aider. T'avais déjà bien du mal à avoir les idées claires, si tu venais à aggraver vos cas, ce serait bien plus catastrophique. Mais il te faisait pitié, tu n'étais pas certain de pouvoir le lui refuser. Déjà que toi aussi tu devais faire bien pitié.

- Okok, ça va. Tu essayais de réfléchir. Où vous aviez mis les ciseaux récemment ? Tu finissais par les trouver dans le premier tiroir que tu avais ouvert. Un coup de chance, très probablement.

Lane revint avec de quoi effacer vos marques. Et alors qu'il t'informait des risques des produits qu'il venait d'amener, comme une arme nucléaire pointée sur toi, tu esquissais un mouvement en arrière. Attends. Les cravates d'abord. Approche. Tu es certain que c'est une mauvaise idée ces ciseaux près de son visage. Dans l'état où tu étais. Mais ça aurait été pire ensuite, mais il fallait bien vous lancer.

Une fois de plus, je passais la main sur mon front. Il allait falloir utiliser la potion magique de Jo' pour les gueules de bois, et rien que d'y penser, j'avais un sale haut le coeur. Mais j'étais pas le seul qui allait y passer. Il semblait qu'Aaron aussi avait un mal de crâne presque aussi puissant que le mien. Et dans le fond, ça apaisait mes craintes.
Mais au moins, je notais pour moi-même qu'il fallait que je baisse d'un ton. Pour ses maux de tête. Mais aussi pour les miens. Je préférais ne pas m'entendre, l'ouie perdue dans les effluves de l'alcool, que d'avoir la résonnance de ma voix désespérée, séchée par l'alcool et surement la cigarette, si c'était une simple cigarette.

Mais j'avais réussi à le convaincre. Ouf.
- Oh super, t'es un vrai frère. chuchotais-je presque, m'entendant à peine, alors que je partais pour revenir avec une malette contenant de l'alcool, des cotons, et les soins des filles, qui ne devraient jamais savoir qu'on les avaient usés de leurs crèmes pour éviter les brûlures, notamment sur le visage d'Aaron. Et alors que j'allais pour lui effacer ses tatouages du moment, il me dit d'attendre pour commencer lui avec la cravate. Oh. Génial, j'allais avoir mon cerveau correctement irrigué ! Même si ça me faisait un peu stresser de voir les ciseaux si proches de mon visage. Je fermais les yeux le temps d'entendre le son des ciseaux qui se refermaient l'un sur l'autre, avant de sentir des cheveux sur mon front au même moment que la décompression. J'ouvrais les yeux de nouveau, et me regardais dans le miroir.
- Mais... Mes cheveux.. disais-je, choqué, en remarquant que la mèche coincée sous la cravate était partie en même temps que le noeud. Une légère larme coula, pendant que je disais psychologiquement adieu à cette partie de mon charme sans appel. J'en voulais à Aaron, et d'ici quelques années, je le lui rappellerai, cette fois-où il m'a défiguré. Je lui prenais les ciseaux, et mettant toute ma volonté pour ne pas lui rendre la pareille, je coupais sa propre cravate.
- Allez, vite. J'entends Tori qui se lève, qu'on se dépêche avant qu'elle nous voie. Ce qui me faisait très vite mettre toute forme d'animosité capillaire de côté.

D'avance, tu bénis tes colocataires et leurs super tuyaux : l'un pour lever la gueule de bois, l'autre pour aider les rougeurs à partir et enfin, le dernier pour le mal de tête engendré par la gueule de bois. Néanmoins, tu sais aussi que si Joana a un super remède pour la gueule de bois, si elle vous voit, elle va vouloir vous faire à manger pour que vous vous sentiez mieux. Et tu as un haut le coeur. Tu n'es plus en mesure d'avaler quoi que ce soit, surtout pas de la part de ta super cousine.

Tu acquiesces simplement quand il te dit que t'es un frère. En même temps, c'est soit lui soit toi qui as embarqué l'autre dans cette délirante soirée qui vous a mis dans un tel état. Et tu sais qu'il n'y a que des frères pour vous mettre dans ce même état. Enfin, certes, il y a des nuances dans ce mot qu'il ne faut pas mettre de côté.

Avec les ciseaux, tout aurait pu être simple. Terriblement simple, même. Mais avec la gueule de bois que tu as, tu as peut-être légèrement lâché du leste et coupé quelques cheveux. Si peu. Pourtant, Lane et son obsession capillaire l'ont remarqué. Tu as une bonne idée de comment il va te le faire payer, mais apparemment... pas.

- Merci, lui lances-tu une fois ta cravate enlevée. La pression sur ton crâne disparaît et ta migraine diminue instantanément. Tu t'actives aussitôt le prénom de Tori lancé. Oui, tu n'as pas besoin qu'elle te voit dans cet état. Ouais, bougeons-nous.

Finalement libéré de ma cravate, j'avait eu un petit mouvement de tristesse envers mes cheveux partis trop tôt. J'en voulais à Aaron, et d'un côté, je me disais que je ne pouvais pas lui en vouloir bien longtemps : les éléments ne courraient pas en sa faveur, le pauvre. Peut-être qu'avec un peux de chance, j'arriverais à faire comme si de rien était, et à rendre ma coiffure tout aussi belle qu'avant.

Mais le temps pressait ! Je versais de l'alcool sur un coton, et commençait à tapoter le front de Aaron, réalisant que.. et bien que ça ne partait pas. Il allait falloir que je frotte. Et ça n'allait sûrement pas lui plaire.
- Je suis désolée, ça va faire mal.. le prévenai-je tout bas, alors que je commençais à frotter un peu plus fort, remarquant que les inscriptions partaient de cette manière, mais que sa peau rougissai plus que ce que j'imaginais ! je soupirais. Heureusement on avait pensé à la lotion de Tori ! Une fois terminé, je l'embaumais de cette lotion, qui normalement devait lui donner une sensation de fraicheur.
-ça va ? demandais-je doucement, tandis que devant le miroir, je m'occupais de mes inscriptions, rougissant comme il fallait ma peau.

Tu sais très bien, en voyant la touffe de cheveux qui s'envole en même temps que la cravate se défait de la tête de Lane, que ton adorable colocataire n'en restera pas là. Tant pis, tu auras fait de ton mieux, tu espères juste que les représailles ne seront pas trop élevées, connaissant Lane.

La revanche ne tarde pas à venir puisqu'il lui faut effacer les inscriptions au marqueur que vous vous êtes faites l'un sur l'autre... ou qu'on vous a faites, tu ignores quelle est la vérité, aucun souvenir ne remonte encore à la surface. Il a tout de même la délicatesse de te prévenir, bien qu'à demi mot, et tu gonfles tes épaules l'air de dire "je n'ai pas peur, je suis fort". Quelle erreur...

- AIIIE OUILLE NOOON STEUPLEEE ARRETE ! Mais Lane continue jusqu'à, à l'en croire, qu'il n'y ait plus rien sur son visage. Avec la lotion de Tori, il se sentait enfin bien et... Comme un baveux, tout heureux, il dit, la voix pâteuse. Ca va... Et comme un fait exprès... Lane enlève les siennes seules, de marques !