L’université de Tulane est presque désertique en cette période de fêtes, abandonnée à son sort tandis que ses occupants profitent de leurs derniers jours de liberté. Will lui-même n’a aucune raison d’être là, ses congés ne prenant fin que dans quelques jours, mais le retour imminent de son soldat sur le territoire américain le rend beaucoup trop nerveux. Ici, au moins, il a droit à un bon compromis entre tranquillité et compagnie, assis seul sur le rebord d’une fenêtre, le nez plongé dans un livre dont il ne se sort que quand quelqu’un passe dans le couloir. On ne lui parle pas, c’est à peine si on le regarde, mais il n’a pas l’impression d’être un lion en cage, enfermé dans son appartement pourtant plutôt spacieux. Observer les autres de loin est l’une des nombreuses étranges occupations qu’il apprécie tout particulièrement. Et il est gâté aujourd’hui quand, après une bonne demi-heure de solitude totale, il relève les yeux vers deux hommes qui semblent se disputer à quelques pas de l’endroit où il se trouve.

L’air de rien, alors qu’il regarde les pages du livre posé sur ses genoux, il écoute attentivement l’échange. Son visage se transforme au rythme des mots qui fusent entre les deux hommes. De l’extérieur, le plus jeune a l’air d’un véritable enfoiré, le genre de petit prince qui se croit mieux que tout le monde et qui n’a pas honte de le dire à qui veut bien l’entendre. La description qu’il s’en fait n’est pas étrangère à Will et lui arrache un sourire, alors qu’il se tapit un peu plus contre le mur comme s’il espérait se rendre invisible. Il n’est pas bien sûr de pourquoi tout cela se produit, mais ce qu’il sait, c’est que celui qui, à vu d’oeil, doit être un étudiant, mérite une bonne leçon de civilité.

C’est peut-être juste un peu hypocrite de sa part, lui dont la réputation n’est plus à faire en ce qui concerne les agressions gratuites. C’est vrai qu’il lui arrive parfois de se montrer désagréable avec les étudiants, mais est-ce de sa faute s’ils sont tous complètement crétins ? Et celui-là ne fait que prouver à Will ce dont il est déjà convaincu. Il y a une différence énorme entre remettre à sa place un gamin qui en a besoin et considérer un employé comme un moins que rien. C’est l’une des premières leçons qu’on apprend quand on a grandi parmi les privilégiés : ne jamais agacer le personnel. Dieu seul sait ce que peut inventer un employé à l’honneur bafoué. Et oui, Will a bel et bien appris cette leçon dans la douleur. Ni ses parents ni son grand-père n’ont eu pitié de lui quand la cuisinière des Burbank a mis du sel dans son café. Ce n’est arrivé qu’une seule fois, heureusement. Et puis, d’accord, il n’est peut-être qu’un simple chargé de T.D, personne de très important dans cette université, mais ça reste quand même un peu son rôle d’éduquer ces jeunes idiots, non ? La politesse est tout aussi importante que la physique. D’après lui, du moins.

Alors il attend sagement que l’employé s’éloigne, furieux. Quand il n’y a plus que l’étudiant au milieu du couloir, Will se redresse un peu et s'éclaircit la voix pour signaler sa présence.  “Tu ne devrais pas parler comme ça aux gens.” lâche-t-il en guise de salut. Son air est neutre, il va même jusqu’à afficher un très léger sourire en coin qui démontre à quel point tout ce qu’il souhaite est d’aider le jeune homme à devenir une meilleure personne, tâche pour laquelle il s’estime plus que qualifié. Il quitte son perchoir après ces quelques mots et s’approche tranquillement, s’arrêtant à un ou deux pas du jeune homme. “Il n’y a rien de plus détestable qu’un beau garçon qui prend les autres de haut, crois-en mon expérience.” Brièvement, alors qu’il observe attentivement le jeune homme face à lui, Will se demande pourquoi il n’essaye pas de suivre un peu ses propres conseils, parfois. Hormis avec ce pauvre Jasper, qui aujourd’hui s’arrange pour ne jamais le croiser dans un couloir de la fac, il n’a pas souvenir d’avoir eu une seule conversation qui se soit bien passée depuis qu’il travaille ici. Les rares personnes sur ce campus qui ont assez de temps à perdre pour se soucier de lui le détestent, fait dont il est parfaitement conscient. Ça lui donne presque envie de calmer le jeu avec celui-là, mais finalement à quoi bon ? “Tu as de la chance qu’on ne soit plus au lycée, ou je t’aurais donné des semaines d’heures de colle pour ça.” plaisante-t-il, à moitié sérieux quand même. “Qu’est-ce que ce pauvre homme t’a fait, au juste ?”

Ce n'était pourtant que de l'eau. Mais ça m'avait mis hors de moi. L'eau souillée qui salissait désormais mes chaussures me donnait l'impression que tout un monde étais en train de s'effondrer. Irrémédiable erreur de cet homme de ménage qui aurrait tout de même pu regarder où il jetait son seau afin de le jeter au bon endroit. Et la bonne réponse aurait été "TOUT SAUF MES PIEDS". Qu'une bande d'incompétents s'occupent de l'entretien de la faculté, passe encore. Qu'un abruti s'amuse à déplacer sa saleté sur mes vêtements, ça risque pas de passer. On pourra dire ce qu'on veut, ce gars est un vrai con. Non mais d'accord, il faut aller au quota d'handicapés dans la société, j'ai rien contre ça. Après tout, on a tous un handicap plus ou moins prononcé sur certaines choses. Enfin, non, pas moi, mais c'est encore autre chose. Mais il faut pas être con pour laisser aller de la merde sur les autres. Et si j'étais allé jeter un seau dans la boue, et que je vous l'avez lancé dessus, hein ? Vous auriez été heureux ? Hein ? lui jetais-je en pleine figure, bien fier de l'effet que ça avait sur lui. Crois moi mon p'tit gars, tu vas pas t'en sortir comme ça. Tu mériterais de laver mes chaussures jusqu'à ce que chaque centimètre brille plus que ta tête d’œuf. pestais-je encore, tandis que ma victime passait du rouge de honte au blême, tentant de s'excuser chaque seconde, ce que je ne le laissais pas faire, ne le laissant pas même répliquer. Il s'était pris pour qui, lui ? Tu sais au moins combien ça coûte, des chaussures comme ça ? Crois-moi, t'as pas le salaire pour payer. Evidemment, c'était faux, j'avais beau essayer de faire des efforts pour passer pour le prince de Louisiane, je ressemblais plus au prince d'une Favela. Mais j'avais envie de le faire se sentir mal pour ce que lui, m'avais fait me sentir mal en ayant mes chaussettes toutes mouillées.

Et finalement, l'homme avait décidé de rebrouisser chemin, juste après que je lui ai dit que sa place était désormais en jeu. Bon vent ! Il allait pas me manquer, lui. Si j'avais eu plus d'influence, je l'aurais vraiment fait virer. Il ne méritait que ça, ce con ! Même s'il était parti d'un pas furibond, c'était le moindre mal.
Et j'étais fier de moi, comme jamais auparavant. J'allais m'en aller tout heureux de ma pas BA du jour. Jusqu'à ce qu'il arrive. C'était un personnel enseignant, mais pas un prof. J'y comprenais rien à sa place dans l'université, mais d'avance, ça m'agaçait.
Je prenais un air nonchalant, en cachant à peine ma fierté. Et je devrais leur parler comment, alors ?C'était plein d'arrogance et de mépris. Mais si ces gens travaillaient dans une université, c'était pas pour autant qu'ils avaient un métier intéressant. Eux avaient raté leurs études, pas besoin de destabiliser les autres dans les leurs.
Je pouvais pas m'empêcher de sourire d'un air mieilleux, et pas du tout agréable pour les autres, je le savais. Mais il me faisait quoi, là ? De la drague ? Bah alors monsieur du personnel encadrant ! C'est pas très pro, tout ça. Mais ça me faisait doucement rire.
Ses menaces me firent haussé les épaules. Et sourire. Vous savez, ça ne me fait pas peur, les heures de colle. Et puis, il me semble qu'on n'est pas vraiment au lycée, Monsieur. Disais-je, d'un ton détestable. Quiconque m'aurait parlé comme ça se serait surement pris une giffle. Mais lui il avait pas intérêt de s'y risquer.
Je détournais la tête un instant, trop fier pour dire quoi. Et puis, est-ce que ça le regardait ? Non, je crois pas. otez moi un doute mais... En quoi est-ce que ça vous concerne, en fait ?Je lui offrais mon plus beau sourire : celui du petit Bougre, espérant que la séduction fonctionne pour qu'il me lâche. Après tout, j'avais utilisé tous les bons agruments !

Des petits crétins qui ont essayé de faire les malins, Will en a croisé des tas. C’est presque ce qu’ils font toujours, les pauvres malheureux à qui il a l’envie d’accorder un peu de son temps au détour d’une journée. Avant de disparaître en pleurant. Peut-être qu’il exagère ce dernier point, les larmes sont rarement de la partie, mais la colère et l’abandon, toujours. Le calme par lequel lui répond cet étudiant, cela dit, il le trouve… rafraîchissant. Il adore les livres, mais rien de tel qu’une petite joute qu’il est certain d’emporter pour s’occuper et se changer les idées un moment. Ravi, il commence donc par ignorer la question que lui renvoie sa future victime. Il n’est pas à l’abri de quelques faux pas, mais ce piège-là est trop grossier pour qu’il s’y laisse prendre. La seconde remarque du blondinet, quant à elle, étire le sourire qu’il n’essaye même plus de cacher. “Il me semble que c’est exactement ce que je viens de dire.” fait-il remarquer, en même temps qu’il arque un sourcil. “On vient à peine de commencer à discuter et tu ne m’écoutes déjà plus. Ça me briserait presque le coeur.”

Il a l’air de bien s’en remettre, en tout cas et ne semble pas particulièrement gêné de se mêler de quelque chose qui, de toute évidence, ne le regarde vraiment pas. Il sourit de plus belle en réponse à celui dont le jeune homme le gratifie, n’essayant même pas de cacher le plaisir qu’il prend à ce petit jeu. “Tu sais que, même si je ne peux pas te donner d’heures de colle, je peux quand même m’arranger pour que tu aies des ennuis, pas vrai ?” s’enquiert-il alors qu’il croise les bras sur sa poitrine, prend ses aises au cas où l’étudiant s’imaginerait qu’il peut se sortir de cette conversation facilement. Pour une fois qu’il tombe sur quelqu’un qui a un minimum de répondant, hors de question qu’il lâche son os avant de l’avoir entièrement rongé. “On n’est pas dans une série pour ado, même si Papa et Maman ont les moyens de payer une nouvelle bibliothèque à la fac, des sanctions disciplinaires ça fait mauvais genre dans un dossier. Et je parie que ce ne serait pas très compliqué de convaincre le type que tu viens d’agresser gratuitement de témoigner.” Il attend une réaction ou bien utilise le silence pour amplifier l’effet dramatique de cette menace qui n’en est pas vraiment une, difficile de faire la différence avec Will.

Toujours est-il qu’il laisse quelques secondes passer avant de reprendre la question, son air sérieux envolé au profit d’un nouveau sourire probablement pas aussi enjôleur que ceux dont ce gosse semble avoir le secret. “Enfin, heureusement pour toi je ne vais rien dire pour le moment, alors à moins que tu te portes volontaire pour les heures de colle, il faut croire que tu vas t’en sortir !” Sait-on jamais, après tout il a encore quelques heures à tuer avant de se rendre à l’aéroport, qu’il les passe à lire ou à autre chose, c’est du pareil au même. “Je veux quand même que tu me dises ce qu’il t’a fait. Simple curiosité. À te voir, je sens que c’est une histoire excellente.”

J'était toujours bien énervé. Le gars était vraiment qu'un abruti sorti d'un placard à balais. Suffisait juste de voir ou d'entendre son allure pour le comprendre. Un aveugle s'en serait rendu compte. Il n'avait vraiment aucune chance d'être mieux vu ou d'être apprécié à quelque valeur que ce ne soit. Et pourtant, même en sachant tout ça, j'envisageais ma vengeance. L'homme allait subir des cataclysmes auxquels ils n'était pas prêt. Tant pis pour lui, il n'avait qu'à pas humilier ses élèves, et encore moins quelqu'un comme moi. Fallait être stupide pour ne pas se rendre compte que je faisais partie de ceux qu'on ne voulait pas avoir contre soi. Et pourtant, c'était dur aussi de m'avoir dans son camp.

Mais apparemment, il n'était pas le seul à ne pas le comprendre. Ce gars là, sûrement encore un technicien ou un analyste, je ne savais pas vraiment cerner son boulot, qui essayait de me faire peur... Oui, de faire peur à moi.. Non mais comme si ça avait la moindre chance de fonctionner. Il était tant de se réveiller, monsieur le laborantin. Je croisais mes bras sur ma poitrine. Il était sérieusement en train de me faire une morale. Mais faut dire que c'est pas comme si ça m'inquiétait. Ou que j'allais me repenter. Non non non, ça marchait pas comme ça. Que l'homme de ménage revienne, qu'il me lave les chaussures, sèche les chaussettes, et à partir de là, je demanderai pardon. J'arquais un sourcil pendant que boucle d'ébène me parlait. J'aime bien, boucle d'ébène, ça lui allait bien comme surnom, bien qu'il n'ait pas les cheveux assez long pour que ça ne fasse de réelles boucles. D'ailleurs, peut-être qu'une fois longs, il n'y aurait plus de boucles..Quel humour, c'est rafraîchissant. soupirais-je, au bord de l'ennui.

Les menaces... comme si ça me faisait peur. Je lui rirais bien au nez, à ce je-ne-sais-quoi. Les menaces ça m'avait toujours fait rire. Au pire, mes études s'arrêtaient là. Mais bon, après avoir travaillé pour de gros contrats comme pour le Tales of the Cocktails, qui avait été un total coup de chance, d'ailleurs, j'avais un curriculum vitae bien rempli. Et ça me fichait pas du tout la trouille d'arrêter la faculté, ou d'avoir un mauvais dossier. Quand les entreprises regardaient un CV, ils ne regardaient pas les bulletins de faculté. Ou peut-être que si, un peu. Mais ils appelaient aussi les anciens employeurs. Et c'était là que résidait ma chance. Et finalement, je lui jetais un regard de défi, avant de laisser mes lèvres s'étirer en un sourire de deux mètres de long. Vous savez, vous ne me faites pas peur. Ce serait dommage pour moi, mais allez-y. J'en rirais encore tellement, s'il savait que mes parents s'en fichaient totalement de moi à l'université. Que vu le nombre d'enfants qu'on était, même s'ils avaient les moyens d'acheter une bibliothèques, ils ne se le permettraient jamais. Au moins, j'avais réussi mon but : me faire passer pour le prince de Tulane. J'étais fin prêt pour établir un règne de peur, avec cet argent fictif. Une fois de plus, j'haussais les épaules. Qu'il témoigne, alors, n'est-ce pas ? Mon sourire m'aurait agacé si j'avais été lui, mais il aurait aussi agacé n'importe qui d'autre. J'étais serein, et restais plutôt poli face à cet homme, malgré mon arrogance. J'adorais être comme ça. Et jusqu'alors, je ne suis jamais tombé sur quelqu'un qui me dépassait. Les gens perdent toujours patience. Il allait finir par en faire de même.
Très bien, alors pourquoi m'en parler ? A quoi bon faire pendre des heures de colle au bout de mon nez si c'est pour ne jamais les mettre en pratique ? Ou des menaces de me réduire à néant dans cette fac, un nom oublié dans la base de donnée, si c'est pour ne rien en faire ? Finalement, il avait l'air plutôt loin de perdre patience, et de nous deux, c'était à ce demander si ça n'était pas moi qui la perdrait en premier. Eh bah tant mieux. bougonnais-je, tout à coup moins joyeux. Et pour cause il voulait que j'explique ce que l'homme venait de faire. Je soupirais, et soufflais en même temps. En fait, vous êtes bouché quand je vous dis que ça vous regarde pas, non? je jetais un coup d'oeil au plafond, soufflant de nouveau, agacé. Il a vidé son seau d'eau sale sur mes pompes. Mes nouvelles pompes qui m'ont couté un bras. Elles n'étaient pas "si" chères, mais suffisamment pour que ça m'agace. Et il a fallu attendre trop longtemps pour des excuses qui étaient loin de suffisante.. Ça vous va, comme ça ? ajoutais-je, un peu plus agressif que je ne lesouhaitait.

Will ne sait pas si son humour est rafraîchissant, mais il est presque sûr que ce type n’en a pas beaucoup. Quoique se faire réprimander comme un gosse par le crétin en chef du coin ne doit pas aider à prendre les choses avec légèreté, on peut au moins lui accorder ça. Ce qu’il a, en revanche, c’est une attitude particulièrement détestable qui lui donne ce petit air de prince capricieux qu’une personne moins tranquille que Will rêverait sûrement de remettre à sa place. Lui trouve ça surtout amusant, un peu ironique aussi et si l’heure était à l’introspection, il aurait sûrement pas mal de leçons à tirer de cet échange. Il faut bien admettre que c’est assez désagréable de se confronter à quelqu’un comme ça, mais il n’est pas assez hypocrite pour s’en offusquer. C’est peut-être une blague cosmique, un retour de karma ou autre délire de ce genre auquel il ne croit pas de toute façon. L’arroseur arrosé, l’emmerdeur emmerdé à son tour. Et, assez tristement, le truc le plus marrant qui lui soit arrivé depuis une éternité. Il aurait presque pitié pour le jeune homme. Presque. “Peut-être que j’avais envie de voir comment t’allais réagir ?” propose-t-il quand ce dernier s’inquiète de savoir pour quelle obscure raison Will perd son temps à faire des menaces en l’air. “Ou peut-être que ça m’éclate d’essayer de terroriser des étudiants au hasard, va savoir ! On se fait plaisir comme on peut.” Des raisons, il en trouve facilement en tout cas. De là à savoir si elles sont bonnes, c’est une autre histoire. Ce qui est sûr, c’est que tant que ça l'agacera à ce point, Son Altesse n’aura pas la moindre explication sérieuse. “Mais visiblement tu n’es pas inquiet pour ton avenir, j’en prends bonne note.” conclue Will, tout sourire.

Sourire qui se transforme en véritable rire quand le moment qu’il attendait tant se présente enfin et que le jeune homme lui explique quel crime horrible a commis l’homme de ménage. Ça ressemble vraiment à une blague, malheureusement le chercheur a l’air d’être le seul à s’amuser. Il s’efforce de retrouver son sérieux rapidement, peu désireux de faire fuir sa proie alors qu’il commence tout juste à s’amuser. Et, il doit bien l’avouer, un peu éberlué que ce soit la vraie explication. “Tu plaisantes, non ?” demande-t-il, feignant assez mal l’incrédulité, en toute objectivité. “Tu vois, je savais que ce serait une bonne histoire, mais là, tu dépasses toutes mes espérances.” Il secoue la tête, à la fois désabusé et amusé. Est-ce qu’il a déjà aussi crétin que ça, sérieusement ? C’est bien possible, en fait, mais il n’est pas prêt à l’admettre pour le moment. “Je comprends mieux pourquoi tu ne voulais pas me le dire, c’est dur de garder ses grands airs après ça, non ?” Il voit bien que non, même si monsieur le Prince Charmant a l’air de perdre pas mal de son calme olympien. Serait-ce une légère touche d’agacement qu’on voit là dans sa moue ? Le round est à peine entamé et il commence déjà à perdre patience, c’est un peu décevant.

Ce qui l’est d’autant plus, c’est que cette possibilité a un effet tout aussi dramatique sur Will. Il n’a pas vraiment envie que la seule personne qu’il ait croisé ici avec un peu de répondant se mette à le fuir à son tour, il n’a donc plus le choix que de calmer le jeu. À sa façon du moins. En commençant par décroiser ses bras qui retombent le long de son corps. “Allez, fais pas cette tête,” demande-t-il, “ça nous arrive à tous de perdre notre calme pour des broutilles.” Son regard glisse sur le jeune homme, s’arrête brièvement au sol avant de repartir dans l’autre sens. “Et puis, c’est vrai que ce sont de très belles chaussures.” Il est obligé de se mordre les lèvres pour ne pas se remettre à rire, ce qui est vraiment un très gros effort qu’il fait pour ce type et qui ne sera hélas pas apprécier à sa juste valeur. “Tu vas dire que je me mêle encore de ce qui ne me regarde pas, mais t’es sûr que c’est juste les chaussures, ton problème ? Tu m’as l’air quand même assez nerveux.” Non pas qu’il en ait réellement quelque chose à faire, mais c’est une personne qu’il ne connaît pas encore, un tout nouveau mystère à percer à jour en quelques sortes. Le tout est de savoir combien de temps ça va lui prendre.

Dans le fond, je savais pas si j'étais plus en colère, satisfait, ou juste amusé de la situation. Même si je trouvais assez ironique que l'homme qui me parle, avec ce sarcasme, soit la pour me faire des reproches. Très vite, après quelques respirations, je reprenais mon calme, et mon sourire. Dans le fond, je m'en foutais tellement de cette fac, et de ce... pseudo prof ? qui essayait de m'effrayer. Juste moi. Et beh c'est pas comme si il étais tombé sur le mauvais numéro. J'espère au moins que ma réaction est à la hauteur de vos espérances, alors. soupirais-je avec un sourire en coin. Il était loin de m'effrayer. En plus, il avait une tête d'adolescent. Ou d'étudiant. Alors c'étaient pas ses grand mots qui allaient commencer à me faire frémir. A moins que ce ne soit plutôt le petit jeu de "j'en ai rien à faire" qui s'installait entre lui et moi. Je vous souhaite que ça marche un jour. En tout cas, c'était pas ce qui était en train de se passer pour moi. Il perdait absolument toute sa crédibilité.

Finalement, je lui avais cédé une réponse, et lui avais rapidement, en baclant la chose, raconté le différend qui venait d'avoir lieu entre l'homme de ménage et moi. Je levais un sourcil à sa réponse. Pas du tout. Il a eu ce qu'il méritait, ça ne vous regardait juste pas. Je pense qu'il est assez grand, et moi aussi pour régler ses problèmes avec moi sans que vous n'interveniez comme le grand chef sioux.. Puis bon, les tatas de la cantines qui séparaient les enfants, un peu ça allait, non ? Même si je pense que la charlotte transparente lui irait à ravir. En y pensant, je faisais la moue, me retenant de me mettre à rire en imaginant la scène de cet homme avec la charlotte et le petit peignoir de tata tout rose, avec des crocs blanches. Crédibilté perdue, pour le coup.

Mais je ne supportait pas qu'on me manque de respect. Que ce soit l'autre cotorep avec son eau dégueulasse, ou ce gars sorti de nulle part, qui voulait se montrer comme le roi du monde. Juste en cas, c'était moi, le roi du monde. Enfin, presque. A quelques choses près. Mais j'était déjà mieux que quasiment tous ceux dans cette faculté. Malgré ce que semblait en penser belle-gueule face à moi. Ne pouvant repousser un rictus, j'arguais. Des chaussures au top, même. Certes, de qualité moyenne, mais j'avais eu du mal à trouver la paire. Et puis la question était surtout à la sensation d'avoir les pieds dans l'eau, qui était loin d'être agréable. A cela, ajoutez le fait que désormais, elles grinçaient au sol, et ça faisait le PIRE mélange de sensations que la terre avait connu quand il marchait.

Je soupirais face à sa réflexion. Il allait pas me lâcher, c'était ça ? Bon, tant pis, j'allais devoir m'y faire. Je ne parlerais plus sans la présence de mon avocat.Oui, seulement les chaussures pourquoi ? Ce qui était faux, il y avait tellement de choses qui me crispaient que bon fallait dire que j'étais pas au top, et à bout de nerfs. Et se défouler sur le premier con qui passe, dieu que ça faisait du bien. Dommage que le second soit moins con, et touche du doigt où ça pouvait faire mal. Mais de toute façon, j'étais sûrement né en étant sur les nerfs, à bout de souffle. Ça n'allait pas changer. Mais au moins, une chose était très relaxante : on parlait de moi, même si je ne donnait guerre d'informations à mon sujet.

Il n’aura pas fallu grand chose pour remettre le Prince Charmant sur les rails et lui redonner l’envie de faire le malin. C’était même presque trop facile, d’ailleurs, mais le fait que le chercheur soit le même genre d’emmerdeur l’aide beaucoup à tirer les bonnes ficelles. Ce qui est vraiment malheureux, ici, c’est que Will s’interroge sincèrement sur ce qui peut le mettre d’aussi mauvaise humeur. Il n’avale pas vraiment l’excuse des chaussures mouillées, beaucoup trop ridicule pour ne pas être qu’un petit grain de sable qui cache une montagne de problèmes. En plus de ça, il reconnaît une paire de chaussures de luxe quand il en voit une et ce n’est pas le cas de celles-là, il pourrait lui en offrir dix paires si l’étudiant demandait gentiment. Il sait aussi qu’à moins de viser juste du premier coup, il n’arrivera probablement pas à déstabiliser assez l’étudiant pour qu’il crache le morceau. Une seule tentative, c’est trop peu pour un mec comme celui-là. Il doute encore plus de pouvoir retenir l’attention du jeune homme assez longtemps pour forcer son chemin jusqu’à la vérité. C’est déjà une énorme surprise qu’il soit encore là. Voilà le problème quand on veut avoir le dernier mot à tout prix : on perd souvent du temps pour des choses qui n’en valent pas la peine. Quoique Will en vaille largement la peine, c’est juste qu’il ne le montre pas et qu’à moins d’un miracle, cette conversation ne risque pas de le montrer sous son meilleur jour.

“Comme je te le disais, j’ai de l’expérience en ce qui concerne les petits merdeux qui aboient sur tout le monde pour un rien.” explique-t-il, avec une étonnante patience, quand le jeune homme s’inquiète de savoir pourquoi il s’interroge sur sa petite crise de colère. Ça ressemble plutôt à un caprice. Ce type lui fait vraiment l’effet d’un petit garçon capricieux qui boude et se roule par terre dès qu’on refuse de lui dérouler le tapis rouge. Alors que franchement, il n’a pas besoin de l’exiger, aucun doute que sa gueule d’ange doit lui ouvrir bien des portes. Will lui aurait ouvert celle de sa chambre sans hésiter, il n’y a pas si longtemps que ça. Ce n’est pas ce qu’il cherche pour le moment, même si ses véritables motivations semblent plutôt obscures. “Et même si je dois admettre que t’es plutôt convaincant dans le rôle du Prince Charmant à l’extérieur, Pourri à l’intérieur… J’ai envie de croire que même toi, t’as un peu plus de profondeur que ça.” Il se retient de justesse de ne pas tapoter l’épaule de l’étudiant dans un geste faussement compatissant, clairement condescendant. “Alors, tu vois, d’une personne exécrable à une autre, je t’offre généreusement une oreille attentive et une épaule pour pleurer. Faut bien se serrer les coudes entre connards, tu ne crois pas ?”

Dans sa bouche, même les insultes plus ou moins directes pourraient passer pour un compliment. Il faut dire qu’il n’a pas vraiment l’intention d’être blessant quand il dit ça. C’est seulement ce que pensent la plupart des gens quand ils tombent sur quelqu’un dans leur genre, pas vrai ? “Mais peut-être que je me trompe sur ton compte, après tout. T’es peut-être rien de plus qu’une jolie coquille vide, ça arrive. Trop fier pour accepter une main tendue, en tout cas, c’est évident.” Les dés sont désormais jetés. Will ne croit pas trop à sa victoire, mais la partie lui semble au moins un peu serrée. Il attend de voir le résultat, sait-on jamais, mais prépare déjà sa révérence au cas où ça ne donnerait vraiment rien d’intéressant.

J'avais failli manquer à ma patience sadique, si légendaire. C'était comme ça qu'Aaron appelait ça, quand on s'était rencontré. Et finalement, il avait dû faire avec. Et aujourd'hui, il adorait me voir perdre patience sans le montrer, mais surtout, à cause de quelqu'un d'autre que lui. Et puis, apparemment mes piques ne le dérangeaient plus. Je regardais l'homme face à moi, d'un air à la fois de défi et de jugement. Sourcil relevé, j'avais l'habitude de prendre cet air pour montrer que je me sentais bien supérieur à mon interlocuteur.
J'avais lancé fièrement ma phrase, et j'étais parti sur l'idée que plus rien ne pouvait me rattraper ni me toucher. Et sa petite phrase me fit sourire. J'étais peut-être un merdeux, mais il me démangeait la langue de lui sortir une connerie que je pourrais regretter. C'étais sourire en coin que je me décidais de me redresser. Vous avez l'habitude ? Parce que vous vivez constamment avec vous-même, j'imagine ? J'étais très satisfait de moi-même d'avoir pu poser une telle réflexion. Certes, il fallait pas être un génie de la répartie, mais ça prouvait que j'en avais plus qu'à peu près 90% de la population qui n'aurait jamais pensé sortir quelque chose comme ça. 90% de mous, c'est une bonne moyenne, pour des assistés, non ?
J'avais cette attitude désinvolte, bras croisé, épaules laissées en arrière, comme si j'attendais la révélation ultime de ce rabat-joie de première. Et encore, il avait eu de la chance, en me croisant : c'était pas lui qui avait fait partir le gars en nous séparant. Sinon, il aurait pris plus cher que le peu que j'acceptais de lui donner. Je laissais un large sourire s'installer sur mes lèvres, tandis que plus rien ne pouvait plus changer. Est-ce que j'avais envie de larmoyer sur ses épaules ? Non, si c'était ce qu'il cherchait, autant aller regarder du côté des petits victimes intellos qui savaient à peine sortir le nez de leurs bouquins. Il était qui, mis à part le pot de colle du jour, qui se la jouait gros méchant ? Et si vous vous trompiez ? Que j'étais vraiment ce stéréotype là que je vous vends ? Le sourire ne m'avait pas quitté. Il s'était même élargie devant la dernière phrase du gars. Finalement, j'avais raison. Il avait l'habitude d'être avec lui-même, et c'était triste. Je lui souhaitais de voir plus souvent d'autres gens que lui-même.
J'émis un petit rire en l'entendant essayer de conclure. Il essayait de me faire courber l'échine. Ha. Bien tenté, j'avais failli me laisser prendre au jeu en ouvrant la bouche, avant de me rétracter, avec un sourire satisfait. Heureusement, je l'avais vu venir à temps. . On dirais que vous avez tout compris sur mon compte, alors. Je me redressai, étirant mon dos, avant de conclure. . C'est bon, vous avez fini avec votre morale à deux balles ? Je peux y aller...? je marquais une pause mentale, avant d'ajouter, rendant encore plus désagréable mon sourrire. . Si vous le voulez bien Monsieur ? Méfait accompli ! Je souriais, mon sac remis sur mon épaule, prêt à partir et pas à grande enjambée, non, pour mieux profiter de l'instant.

Le sourire de Will menace de devenir radieux lorsque l’étudiant lui balance une petite pique qui ne manque pas de potentiel. Il se sent presque comme le fier parent d’un petit oisillon prêt à prendre son envol. C’est bien trouvé, parfaitement vrai, le seul petit problème, c’est qu’il ne l’a jamais caché et ça amoindrie pas mal la victoire de son opposant. Ça ne semble pas le perturber plus que cela, en tout cas, car il continue sur sa lancée, offrant généreusement son soutien au jeune homme qui n’en veut évidemment pas. Will n’avale pas le coup de la jolie coquille vide. C’est pourtant vrai qu’à première vue, monsieur le Prince Charmant a toute la panoplie du crétin superficiel qui ne mérite pas qu’on s’y attarde. Hélas, Will se trompe rarement sur les gens, ils sont tous un peu pareil, lui le premier. Cela dit, il ne va pas forcer ce type à agir comme un être humain normal, il est bien placé pour savoir que ça ne sert à rien et donne rarement le résultat désiré. Il n’y a qu’à voir comme le jeune homme devient de plus en plus incisif pour deviner que non seulement, il va bientôt perdre patience, mais qu’en plus il n’a aucune intention de tomber dans le panneau. “Je ne suis pas en train de te faire la morale.” corrige Will, malgré le manque d’intérêt flagrant de son interlocuteur. Il n’en montre pas beaucoup plus lui-même.

Cette conversation a failli être passionnante, mais malheureusement et comme souvent, ça ne se termine pas comme le chercheur l’espérait. Au moins, il n’a pas perdu sa bonne humeur en route, ce serait un véritable drame. “Mais bref, bien sûr que tu peux y aller. Je ne t’en ai jamais empêché, tu sais ?” Il hausse les sourcils, assez surpris que ce type se soit réellement senti obligé de lui faire l’honneur de sa présence aussi longtemps. Pour quelqu’un qui prétend ne pas se laisser impressionner par quelques menaces sur son avenir à l’université, il a une drôle de façon de montrer son indifférence. Enfin, peu importe. Il n’a aucune raison de s’en faire d’une potentielle autorité que Will pourrait avoir ici et ce dernier ne compte certainement pas le retenir de force. Il se retourne donc pour retourner jusqu’à la fenêtre où il était installé avant de se mêler de la vie d’un inconnu, se retourne vers l’étudiant après à peine deux pas. “À un de ces jours, Prince Charmant !” lance-t-il en lui faisant un geste de la main.

Il récupère son livre et va même jusqu’à l’ouvrir, mais préfère regarder l’étudiant s’éloigner plutôt que de se replonger immédiatement dans sa lecture, lève les yeux au ciel malgré un sourire qui persiste au coin de ses lèvres alors qu’il osberve l’autre qui se pavane de sa démarche assurée. Il a rarement croisé de crétin plus détestable que celui-là dans cette fac qui semble pourtant en être pleine. Et il était temps, vraiment.