Deux rats de biblothèques, des livres et un carillon. ft  Shane

Ça fait un bail que je n’ai pas entendu parler de Quincy. J’espérais le recroiser dans la librairie où on s’est rencontré pour la première fois mais j’ai fait chou blanc. Il a étrangement disparu de la circulation, comme ça, sans un mot. Même son site ne donne pas d’informations. J’imagine que ça fait partie du charme des auteurs connus. Je soupire, les mains dans les poches, le nez en l’air. Mes pas me mènent au hasard dans les rues de la Nouvelle-Orléans. J'ai pu laisser Jay à ses joyeuses occupations du samedi matin avec je ne sais quelle conquête. J’ai entendu glousser dans sa chambre en partant….uuurgh j’en ai encore des frissons désagréables. Le pire, ce n’est pas quand la fille glousse, non le pire, c’est quand c’est Jay lui-même. Ça me met en tête des images que je voudrais n’avoir jamais imaginées.

Le temps semble vouloir être aussi morose que mon humeur ce matin. Heureusement que l’architecture de la ville est faite pour donner un sentiment de chaleur, avec ses briques rouges un peu partout, et ce quelle que soit la météo. Je crois bien qu’il ne fait jamais vraiment froid ici. Mes pensées divaguent vers les yeux magnifiques d’Anya au détour d’une publicité pour un parfum dans une vitrine. Je sens mon cœur qui s’accélère et se serre. C’est difficile. Si difficile de ne pas pouvoir lui dire ce que je ressens vraiment. Je brûle de honte quand je repense à chacun de ces moments où j’ai bégayé en essayant de lui parler et elle, toujours si douce et compréhensive, elle me souriait et faisait comme si de rien était. Je soupire encore en levant mon regard vers la grisaille au-dessus de moi. Il faudrait qu’un jour je me décide. Je veux être avec elle.

Mes yeux cherchent un point d’accroche, un lieu où je pourrais aller. Un endroit pour me changer les idées. Une lueur attire mon attention. Une reliure dorée de livre ancien m’appelle dans la vitrine à ma gauche. Une jolie devanture d’un bleu profond surmontée d’une enseigne où je peux lire Long Story Short. Je hausse un sourcil intrigué. Drôle de nom. C’est comme s’il manquait un mot, ou qu’ils n’étaient pas dans le bon ordre. J’ai trouvé l’endroit. L’endroit pour me faire oublier ma solitude sentimentale et mon incapacité à exprimer mes sentiments. Un lieu où il y a des livres, forcément !

Avec un petit sourire, je m’approche de la porte. Une main sur la poignée, j’entre puis j’inspire. J’aime plus que tout l’odeur des livres, plus les librairies fournissent des vieux bouquins, plus je suis heureux. J’ai toujours pensé que les livres ont une âme qui leur est propre, et je me sens toujours bien entouré dans ce genre d’endroit. Soudain de meilleure humeur, je pénètre enfin dans l’antre de maintes aventures. Je ne suis pas surpris d’entendre le doux bruit du carillon résonner au-dessus de moi. Mes yeux détecte un bel objet avec une sorte de lune à son extrémité. « Bonjour ! » Fais-je un peu au hasard. Je ne vois pas la personne qui tient la boutique. Mon regard se promène sur les étalages où tout est soigneusement rangé.

J’avance entre deux étagères, ma main se promènent sur les dos plus ou moins colorées des vieux livres. Mon regard affuté – grâce à mes lunettes – détaille rapidement les titres et les noms d’auteurs. Beaucoup de classiques par ici. Je suis content, je trouverais sûrement ceux qui manquent à ma précieuse collection. Oh un Maupassant ! J’espère qu’il est traduit, mon français laisse à désirer…J’avance ma main pour m’emparer du célèbre Bel-Ami.

Les matinées étaient – et demeurent – mes moments favoris. Ce matin-là ne fit pas exception. J’ouvris ma boutique avec quelques minutes d’avance. Dans mon sac, un sachet en papier contenait mon petit-déjeuner que j’avais hâte d’avaler. J’abandonnai ma veste sur le porte-manteaux et m’installait derrière le comptoir de bois. Comme d’ordinaire, j’allumai ma vieille radio afin de bercer mon esprit avec du blues et sortis de quoi contenter mon estomac. J’avais pour habitude de préparer mon petit-déjeuner la veille pour le lendemain lorsque je ne recevais personne. Mes yeux brillèrent alors que je rapprochais mon wrap cream cheese/œuf brouillés/épinard de ma bouche. C’était en quelque sorte mon lot de consolation afin de mieux supporter ma solitude et mon échec sur les applications de rencontre le vendredi soir. Je regrettais de ne plus avoir d’ami « régulier » à contacter dans ces moments-là. Tout en ruminant ces idées, j’avalai la dernière bouchée et éteignis la radio afin de me promener dans les allées. Entre temps, un jeune couple était rentré et gloussait niaisement devant les recueils de poésie. Ils n’avaient pas l’air à la recherche de conseil alors je choisis d’aller rôder dans la petite salle du fond, celle contenant les livres d’art.

C’était mon coin préféré ma boutique. Le plafond était légèrement plus bas que pour les autres pièces et les bibliothèques faisaient toute la hauteur du mur. Aucune fenêtre, la seule lumière était apportée par un vieux lustre suspendu. C’était, à mes yeux, comme un cocon d’œuvres magnifiques. Un tabouret n’attendait que moi et je m’y installai afin de bouquiner une de mes dernières trouvailles. Le carillon tinta, le couple disparaissait à travers la vitrine. Le silence revint dans ma boutique tant aimée. Une seconde mélodie me tira de ma lecture peu de temps après. Sans me presser, je glissai le livre à sa place et revenais dans la pièce principale, baignée par la lumière du soleil. Je trouvai mon nouveau client devant différentes œuvres classiques françaises et traduites. Je m’approchai et m’appuyai sur l’étagère.

- Très bon choix ! Dis-je en français, sous une belle couche d’accent. Je repris en anglais. Bon choix. Vous êtes familier de l’œuvre de Maupassant ?

Shane l’avait découvert lors de son année d’échange en France. Il se souvenait du dégoût de ses amis locaux pour l’auteur, ayant été traumatisés (selon leur dire) lors de leur scolarité. Je me permis de détailler mon client, discrètement. Il était plus jeune que mes clients habituels sans faire hipster comme certains visages croisés là. Je lui adressai un sourire amical afin de ne pas passer pour le vieux pervers dans sa boutique étrange. J’entrepris également de me redresser et je furetais dans le rayon à la recherche d’un autre ouvrage que je pourrais lui conseiller.

Deux rats de biblothèques, des livres et un carillon. ft  Shane

Je sursaute au moment où je pose les doigts sur la partie supérieure du livre pour le faire glisser vers moi. Je relève ma tête en rougissant comme un enfant pris en faute. « Oh bonjour ! » Puis je réalise que je n’ai rien compris à ce qu’il a dit. J’essaie de me repasser la phrase prononcée dans ma tête pour l’analyser, en vain. Puis, il reprend la parole. Cette fois je comprends. Je me détends un peu. Vu son allure, son aisance dans l’attitude et son discours, il s’agit du gérant des lieux. J’esquisse un sourire léger, timide en réponse au sien. « Je euh… non, mais j’aimerais bien me remettre aux classiques que je n’ai pas eu l’occasion de lire. » Il se détourne de moi pour se pencher sur les nombreux livres. Je le regarde faire les bras ballants, ma main gauche tenant l’ouvrage pris juste avant.

Cherchant quelque chose à faire pour compenser le silence installé soudain gênant pour moi, je regarde la couverture plus en détails. « Oh c’est une édition bilingue ! » Dis-je avec une satisfaction et un soulagement non dissimulé. Forcément plus chère mais au moins, j’aurais aussi le texte original, une chose importante à mon sens. Je le vois déjà trôner à côté de mon exemplaire du Père Goriot. Une histoire affreusement triste quand on y pense. Pauvre homme. Perdu dans mes pensées, ce sont les mouvements du gérant qui me ramènent à la réalité. Il semble toujours chercher parmi les étagères. « Je hum…je cherche aussi d’autres titres de cet auteur et également et puis de la Science-fiction m’intéresserait également, sauf que j’aimerais découvrir quelque chose de nouveau. Avez-vous quelque chose à me conseiller ? J’ai déjà lu Dune. J’ai déjà lu beaucoup de Herbert en fait. Wells aussi. » A vrai dire je crois que j’ai lu quasiment tous les auteurs les plus connus que ce soit en SF ou en Fantasy.

Mon regard se fait curieux, j’attends avec impatience ses propositions. Je sens soudain l’excitation du futur acquéreur de livres m’envahir. J’ai le sentiment que je vais repartir avec au moins une dizaine de livres et je m’en réjouis infiniment. Je vois déjà d’ici le regard curieux puis déçu de Jay. Ah encore des bouquins ? fera-t-il déçu. Je pensais que t’avais ramené à bouffer. Ajoutera-t-il.  Je vais peut-être passer acheter un truc à manger avant de rentrer du coup. Encore une fois, je divague. C’est que Jay prend énormément de place dans ma vie. Je soupire. Pourvu que sa conquête l’occupe suffisamment ce matin pour que j’ai pas besoin de le babysitter…. J’aimerais bien trouver le temps d’aller répéter aussi. Et il faut que j’aille voir Tata Marguerite pour de vrai… Aller aller, tu penseras à tout ça après, concentre-toi sur le bouquiniste. Il a l’air sympa en plus.

Je l’avais surpris dans sa contemplation mais j’espérais ne pas le déranger. Je comprenais l’envie de certains clients de vagabonder dans les allées sans être interrompu par ma personne. D’un autre côté, j'aimais venir à leur rencontre et discuter des livres et leurs auteurs. Je n’en avais pas l’occasion hors de ces murs. Manifestement, mon interruption ne l’avait pas contrarié. Malgré une légère timidité, il me sourit et répondit. Je l’écoutai me parler de ce qu’il avait lu tout en sélectionnant quelques livres, mes préférés, mais abordables. Un sourire apparu sur mon visage en l’entendant s’exclamer devant une édition bilingue. Il n’avait peut-être pas compris ma phrase en français mais s’intéressait tout de même un minimum à cette langue.

Je lui tendis les trois ouvrages déjà sélectionnés. Il s’agissait d’œuvres classiques françaises. Nana, de Zola (dont les descriptions détaillées me transportaient dans la France de cette époque), Tous les hommes sont mortels de Simone de Beauvoir (pas le roman idéal les soirs de déprime, mais d’une beauté magistrale) et l’indémodable Étranger de Camus. Je m’éloignai un peu, m’engouffrant dans la section science-fiction. Je savais très bien ce que j’allais lui conseiller : l’auteur que je refourguais à chaque personne ayant le malheur de me dire SF tant ses livres étaient liés à des bons moments de ma vie. Je réapparus moins d’une minute plus tard, les bras si chargés que je dus faire un signe de tête en direction du comptoir. « Venez, je vais vous montrer tout ça. » J’y étalai mes nombreux trésors et invitai l’homme à déposer ce que je lui avais mis dans les bras.

La lumière traversait la large vitrine et venait éclairer les différents ouvrages. Mes yeux brillaient de passion. Cet homme m’avait, sans le vouloir, lancé sur un sujet duquel j’adorais discuter, voir monologuer. J’espérais pour lui qu’il avait la journée de libre. En tout cas, c’était lui qui m’avait demandé conseil et j’allais me faire un plaisir à lui répondre. Mes doigts parcoururent les diverses couvertures à la recherche du candidat parfait pour démarrer. Ma concentration ainsi que mon bonheur transparaissait sur mon visage d’habitude peu expressif. Je faisais ce métier avant tout pour transmettre mon amour pour les livres.

N’arrivant pas à choisir, je m’adressai à lui : « De quel livre voulez-vous entendre des louanges en premier ? Vous avez là ma plus fine sélection ! ». Mes romans préférés gisaient là et je comptais bien les défendre bec et ongles jusqu’à ce qu’il reparte avec, au moins, la moitié d’entre eux.
 

Deux rats de biblothèques, des livres et un carillon. ft  Shane

J’étais tombé sur un passionné. J’ai vu la lueur dans son regard, j’ai presque entendu l’engrenage se mettre en branle alors qu’il réfléchissait aux livres qu’il allait me présenter. J’ai senti le battement de mon cœur s’accélérer sous le poids de la curiosité. Le voilà qui dépose des ouvrages soigneusement choisis au-dessus de l’exemplaire que j’avais moi-même tiré du lot alors que je tends les bras pour les recevoir. Et puis, je le vois s’éloigner dans une autre section de la librairie. Je lui suis en trottinant, hypnotisé par ses longs cheveux noirs cascadant sur ses épaules. N’importe quelle fille ou gars qui aiment avoir les cheveux longs serait jaloux là. Il me sort de mes considérations capillaires en se retournant vers moi, arborant fièrement une pile de livres de science-fiction.

Mon enthousiasme rejoint le sien alors qu’il me propose d’aller vers le comptoir pour m’exposer ses trouvailles, je me mets à franchement sourire. « Avec plaisir ! » Mes yeux détaillent déjà la moindre parcelle de couverture disponible à leur vue. Mais les mouvements de mon hôte m’interpellent. Voilà que j’ai l’impression de voir un musicien s’apprêter à jouer. Par des gestes fluides et élégants, il entreprend de choisir le premier ouvrage à me présenter. Et moi, comme le plus sage des spectateurs, je lui offre toute mon attention, remontant légèrement mes lunettes aux montures rectangulaires sur l’arrête de mon nez, pour être certain de ne rien manquer du spectacle.

Finalement, le droit de choisir l’heureux élu me revient. Au hasard, ou pas vraiment en fait, je désigne un ouvrage à la couverture représentant un vinyle qui pour moi, sort du lot.« Disons celui-là ? Est-ce que cela parle de musique ? » Il est évident que mon cerveau ne m’a pas fait des appels par rapport à cette couverture par simple coïncidence. Après, les illustrations peuvent aussi être trompeuses…Le gérant des lieux va bien évidemment s’empresser d’appuyer ou contredire mon hypothèse mais je me sens déjà curieux de lire cette histoire, d’autant que le titre accrocheur me laisse entrevoir d’énormes possibilités. Je guette dans le regard de Shane un début de réponse.

C’est un homme comme on en voit peu. Resplendissant, éblouissant de par sa passion qui l’anime et l’alimente en énergie. Il semblerait que je me sente plutôt à l’aise avec lui, si bien que je ne suis pas pressé d’avoir sa réponse, mais au contraire, patient, satisfait de laisser planer un peu de mystère.