J'étais rentrée aux Etats-Unis depuis quelques semaines seulement. Et je voulais déjà repartir. Certes, ma famille m'avait manqué. Mais je ne voyais plus l'utilité de rester là, comme ça, à ne plus pouvoir rien faire. Et puis voyager avait été une des meilleures expériences que j'avais jamais vécues auparavant. Alors si c'était pour apporter mon aide et me rendre utile, je ne pouvais rêver mieux. J'avais passé tout ce temps avec Luna, la fille aînée de ma mère -puisque de mon père, j'avais deux autres sœurs aînées- et j'avoue que notre relation a été renforcée par cette "aventure", bien que j'ai toujours été proche de ma famille, qui qu'elle soit.
Luna et moi avions décidé de créer notre association. Ce n'était peut être pas un métier à réellement parler, mais être bénévole pour aider, c'était e que j'aimais faire, peu importe d'être subventionnée par un patron et simplement par l'Etat ... ou les dons des personnes qui se sentaient prêtes à agir. C'est dans ce contexte que j'avais été amenée à côtoyer quelques temps les hôpitaux. J'avais fait les hôpitaux alentours et plusieurs fois le New-Orleans. C'était d'ailleurs dans ce dernier que je me rendais. En revenant d'Amérique Latine, j'avais trouvé un petit garçon qui faisait la manche avec sa maman... Tous les deux avaient l'air bien mal en point. Ce pourquoi je les avais amenés tout droit à l'hôpital après les avoir persuadés de me laisser faire.
Je me retrouvais donc à l'accueil pour demander si je pouvais les voir. J'avais rencontré la première fois une jeune infirmière qui s'était occupée d'eux en attendant la venue d'un médecin. Caterina. Une italienne, me semble-t-il. Après être passée dans la chambre qu'ils occupaient, je me retrouvais justement face à cette infirmière. Je lui souris et la saluai. « Bonjour! »

J'avais beau avoir été en mission humanitaire tout ce temps, dans un hôpital, je ne me sentais pas vraiment à ma place. Personne n'était, à ma connaissance, mort dans ma famille ni à l'hôpital (excepté Liam qui passait le plus clair de son temps là bas quand il se cassait quelque chose ou quand il croyait s'être cassé quelque chose à la suite d'un entraînement) pour x raison. Les seuls moments où j'avais côtoyé ce genre d'endroit avaient été durant les deux ans, presque trois, passés à voyager pour des missions. Ce n'étaient pas des souvenirs heureux que j'y avais, mais quand ce genre de passage permettait une sortie en pleine forme pour la plupart des cas, j'étais tout de même reconnaissante.

En entendant l'infirmière m'assurer que l'enfant allait bien, je lâchai un soupir soulagé. Cependant, je me crispai quelque peu en entendant ce qu'il en était pour la mère. Je craignais le pire. C'était dans ces cas là que je me demandais si mon "intervention" pouvait servir à quelque chose. L'infirmière dû se rendre compte du fait que je n'étais pas vraiment à mon aise puisqu'elle me proposa d'aller boire un café. Je ne savais pas si elle parlait d'un café à l'extérieur ou bien à l'intérieur de l'hôpital, mais tant que je m'éloignais un peu de ces chambres qui puaient le désespoir, je ne faisais pas la difficile. « Oui, merci. Je crois que moi aussi, j'ai besoin d'en boire un... »

Et j'avais raison. J'avais besoin de boire un café. Je me doutais que Caterina en avait plus besoin que moi. Elle travaillait vraiment à côté. Moi, ce que je faisais, c'était certes quelque chose que j'adorais, mais dans une ville comme la Nouvelle-Orléans, je ne pouvais pas vraiment être débordée, ni même avoir commencé super tôt dans la journée et finir super tard dans la soirée. Je passais simplement mon temps à organiser des choses qui aurait pu paraître complètement futiles à d'autres. Alors je ne préférais pas me plaindre face à des gens que le travail exténuait vraiment.

Nous nous dirigeâmes vers la cafétéria. J'aurais dû me douter que Caterina était trop débordée pour sortir de l'hôpital. Tant pis, tant que j'avais droit à un café digne de ce nom, je ne ferai pas non plus ma difficile, ce n'était pas mon genre.
Je haussais les épaules. « Non, pas particulièrement... » C'était vrai. Avec l'occupation que j'avais en ce moment, je pouvais plus me plaindre d'être fatiguée à force de ne rien faire qu'autre chose. « Ta journée ? » Je la regardais. Ma question tombait sous le sens. Elle avait l'air suffisamment fatiguée pour avoir eu une journée des plus difficiles. « Bah écoute, ça va, et toi?  » Une fois encore, elle avait l'air tellement fatiguée que j'imaginais déjà le "non" arriver à vitesse grand V.

Caterina bailla. Elle avait l'air vraiment fatiguée, et, comme elle me le précisa, elle n'avait pas besoin de répondre à ma question pour que je me rende compte combien elle était crevée. Je n'arrivais pas trop à m'imaginer le travail d'une infirmière. Je m'en doutais quelque peu, faute de fréquenter la meilleure amie de mon frère, June, qui était également infirmière, mais impliquant moins de tâches que le job d'un docteur, je ne pouvais pas vraiment savoir si c'était vraiment fatigant. Et regarder Grey's Anatomy ne pourrait pas m'aider plus que cela. C'était probablement même plus qu'inutile en fait.
Je grimaçai. Je pouvais tout de même comprendre ce que c'était que d'être overbooké et de devoir en faire plus que ce que c'était humainement possible. « Tu bosses jusqu'à quelle heure aujourd'hui? » demandai-je, pas certaine de ne pas avoir touché un sujet légèrement sensible si jamais elle finissait vraiment très tard...

Je voyais bien que Caterina était préoccupait par le temps qui passait. Elle ne cessait de regarder sa montre et je commençais sérieusement à me demander si je ne devrais pas en faire autant pour lui donner un coup de main. Mais je n'avais rien à faire et ça reviendrait à me presser pour finir et ... me tourner à nouveau les pouces. En fait, je n'avais quelque chose à faire que lorsque Luna m'appelait pour une urgence en comptabilité ou autre chose. Pourtant, elle savait bien que je détestais cette partie du travail. Mais elle était plus douée pour soigner que pour s'occuper des parties ennuyeuses. Alors que moi, je me forçais à m'occuper un peu de tout n'ayant aucune réelle spécialisation dans le domaine. Ni dans rien puisque je n'avais jamais réellement su en quoi j'étais vraiment douée, n'étant ni sportive, ni artiste. Non, ma vocation, comme disait ma mère, c'était d'aider. Sauf que ce n'était pas ce qui constituait un vrai travail, alors j'étais perdante d'avance.

Rapidement, je compris que mon amie n'avait aucune réelle idée de l'heure à laquelle elle finissait. C'était peut-être une part des "joies du travail" auxquelles elle se devait de se plier... « Ah oui, d'accord... » Bêtement, c'était tout ce que j'étais capable de répondre à cela. Si l'humanitaire demandait beaucoup d'attention et de présence, et parfois bien peu de sommeil, il ne s'agissait déjà plus de la même cour de récréation. « Moi ? Eh bien, pas grand chose... je me sens un peu inutile parfois, ici... ça n'a rien à voir avec les autres pays... » Je me tus, souriant en pensant que, même si Caterina n'avait peut être jamais voyagé, elle devait se douter que ce n'était pas la même chose. Autrement dit, je parlais probablement pour ne rien dire. Mais ça ne me dérangeais pas outre mesure...

J'avais peur que Caterina ne prenne mal mon mal-être de me savoir inutile. Mais en même temps, je ne pouvais m'empêcher de penser que si elle avait choisi d'être infirmière, c'était aussi pour aider les autres et se sentir utile. Sauf si c'était sa vocation, auquel cas je me plantais totalement. Mais j'aimais à penser que les gens n'étaient pas tous des égoïstes qui ne se souciaient que d'eux-mêmes. D'autant que j'appréciais vraiment Caterina et que l'associer aux égoïstes était assez difficile pour moi.

J'ouvris les yeux si grand face à sa demande que j'eus l'impression qu'ils étaient prêts à sortir de leur orbite par l'étonnement. Je risquais d'être assez longue dans mon récit, et je n'aimais pas parler plus que quelqu'un d'autre. J'estimais que nous avions tous droit à la même parole alors faire des récits extrêmement longs face à quelques petites interjections me paraissait totalement injuste. Oui oui, j'étais une folle psychorigide, c'est vrai. « Hmmm? Que veux tu que je te dise? » Je haussais les épaules, n'attendant pas de réponse à cette question. « Luna -ma soeur- et moi, sommes allées dans les pays d'Afrique centrale quand nous nous sommes engagées dans l'humanitaire. Ce sont des beaux pays, mais la misère y est oppressante. Nous ne nous chargions que de donner de la nourriture, peu à peu aux habitants pour les réhabituer et qu'ils puisse prétendre à une bonne nutrition. Notre mission là bas a duré un an. Année pendant laquelle Luna a décidé de faire un stage en médecine pour leur attribuer les soins qu'ils méritaient. Cependant, elle n'a pu le faire vraiment que quand nous sommes allées en Asie... je me contentais de l'assister pour me rendre utile. Et pareil pour l'Amérique latine. Tu sais, là bas, je me sentais à ma place et j'avais un but... » J'espérais une nouvelle fois qu'elle comprenne. Quasiment toute ma famille était artiste dans un domaine. Même Liam qui était footballeur était considéré comme un artiste! Insensé, je sais. Mais moi je n'avais jusque là jamais eu l'occasion de prouver ce que je valais. J'eus une rapide moue avant de baisser la tête. Sincèrement, j'aurais pu plus développer mon discours. Mais j'étais trop honteuse de ne pas savoir quoi demander à Caterina de me raconter que je n'avais pas osé.

Je me sentais vantarde, ce que je n'étais pas, et ça ne me plaisait pas du tout, mais alors à un point, vous n'imaginez même pas. Alors voir l'air admiratif sur le visage de Caterina a quelque chose de culpabilisant. Un peu comme si ce que je lui racontais était un mensonge, même si ce n'était pas le cas. Je ne savais pas si je préférais vraiment la Nouvelle-Orléans aux autres pays où j'avais été. En fait, je croyais même que c'était totalement l'inverse. Mais retrouver l'endroit où j'avais été forcée d'emménager dix ans auparavant pour accueillir dans ma famille deux sœurs aînées et qui était devenu, en quelque sorte, mon second foyer, avait quelque chose de rassurant. Je me sentais chez moi, mais d'une autre façon que pendant ma mission. Comme si c'était réellement chez moi.

Je haussais les sourcils face à la réflexion de Caterina. Je ne m'étais pas attendue à cette interprétation là. Je secouais alors la tête de gauche à droite. Elle n'avait pas compris où je voulais en venir, mais je ne pouvais pas lui en tenir vigueur. Elle était fatiguée, ça ne se voyait que trop bien. « Oh non », souris-je « Je ne me sentais pas à ma place en Amérique latine, mais plutôt en mission, dans tous ces pays que j'ai visités, aimés et en quelque sorte aidés. Mais bon... » Avouer que j'étais tout de même bien à la Nouvelle-Orléans, à voix haute, était assez difficile. Je préférais me le dire intérieurement plutôt que de l'exprimer. Alors pour toute réponse, je me contentai de sourire, espérant que mon amie serait trop fatiguée pour se rendre compte qu'il y avait autre chose.

Un petit sourire sur les lèves, je ne pus m'empêcher de lâcher un petit ricanement quand Caterina se frappa le front. Ce n'était pas très intelligent de ma part, certes, mais ç'avait été si naturel que je n'y avais pas vraiment fait attention avant de m'entendre. J'aurais pu être de plus en plus mal à l'aise à raconter ma vie à cette pauvre louloutte, mais visiblement, elle était bien trop fatiguée pour parler. Puis pour une fois que j'avais un auditoire, je n'allais pas non plus me plaindre. Moi, la fille discrète, un peu coincée, sans amis.

Je ris de la façon qu'elle avait à me pousser à finir ma phrase, bien qu'au fond de moi, je soupirai. « Eh bien... Malgré tous les défauts de la ville, tous ces gens qui se préoccupent plus de leur petit confort que de la vie des autres... » Devais-je l'admettre? « Je me sens chez moi ici. » Et voilà, c'était dit! Je soupirai cette fois si bruyamment que j'en sursautai. J'avais beau venir de Paris en France, aimer ma ville et mon pays natals plus que tout au monde, c'était à la Nouvelle-Orléans que ma famille s'était retrouvée complète.