Comme chaque année, les flocons avaient fait leur apparition en Nouvelle-Orleans. Et comme chaque année, le manteau enneigé de la ville lui donnait l'impression d'un grand bol d'air frais. La meilleur période de l'année, c'était maintenant. Il allait pouvoir passer les fêtes avec ses enfants, et avec un peu de chance, il pourrait avoir Constance avec eux au repas.

C'était ces moments en famille, avec les gens qu'il aimait, et qui l'aimaient aussi, qui lui permettait de tenir malgré la pression que représentait le restaurant chaque jours. Le bonheur enthousiaste de revoir ses trois enfants attablés autour de lui. Même s'ils venaient accompagnés. Depuis le départ de Lauren, ils se sentait comme un papa triste, un papa abandonné, même si Sierra venait au moins une fois par semaine l'aider avec les papiers du restaurant. Il était heureux pour chacun d'eux : ses trois enfants avaient une vie, ils étaient en train de suivre leur propre voie, et chacun avec brio, chacun vivait comme ils l'entendaient, et ils semblaient tous les trois épanouis. Mais d'un autre côté, il avait la mélancolie des moments passés avec eux. Lui, il restait seul dans la journée. Et tout ce qu'il espérait parfois, c'était une réponse par sms qui tardait à venir. Et c'était normal, ils avaient leur propre vie, Sullivan.

Forcément, les repas de Noel préparaient les moments si merveilleux des retrouvailles, ramenaient les souvenirs de leurs enfances respectives, et créait de nouveaux si précieux qu'il les gardait jalousement comme un secret jusqu'à l'année d'après. Même si d'autres se créaient entre temps, il était tellement rare de les avoir tous les trois en même temps, avec ses deux filles qui ne se lançaient pas de piques pour l'occasion. C'était comme si la magie des fêtes avait arrêté le temps, dans un silence de paix. Et il adorait ça.

Mais plus encore, il aimait les préparer. Discuter du repas. Discuter des cadeaux. Discuter de ce qu'ils pourraient faire. De la décoration. De tout ce qui pouvait faire la soirée se passer pour le mieux. C'était ça, le meilleur esprit de Noel qu'il ne puisse connaître : se préparer à leur donner de l'amour tout plein, pour que si quoi que ce ne soit arrive entre temps, ou qu'ils ne puissent pas se voir de l'année, ce soit au moins suffisant pour laisser un souvenir ancré, en attendant qu'ils ne puissent s'en faire de nouveaux. Et ça mettait en joie le cœur de Sullivan.

Il était au restaurant, et il venait de finir le service, passant un coup de balais dans la salle, lorsqu'il entendit la sonnette retentir, tournant la tête vers la porte, devant laquelle il vit son aînée apparaître. Il posa le balais, et alla saluer sa fille d'une rapide étreinte, en essayant de ne pas la salir avec son tablier tout usé. «Sierra !» fit-il en lui souriant, l'invitant à s'asseoir sur une des banquettes. «Je suis content que tu sois venue. Tu veux boire quelque chose ? Manger, peut-être ?» Il ne pouvait pas s'en empêcher : il était Sullivan, un peu oppressant tant il voulait toujours que tout aille pour le mieux. S'il avait pu lui faire une liste exhaustive de ce qu'il avait à boire ou manger, il la lui aurait faite. Mais c'était lui tout craché.

Typiquement sa période préférée, Noel représentait le partage. Et les traditions qu'on lui avait sans cesse apprises, il les avait conservées pendant toute sa vie, il les avait répêtées, améliorées, et surtout, très soigneusement observées pour pouvoir les inculquer à ses propres enfants. Dans le fond, c'était tout ce qu'il demandait, lui, d'avoir un moment agréable avec chacun de ses enfants, et tous à la fois. Et seul Noël pouvait le lui permettre.

Et bien sûr, la préparation de Noel était tout aussi importante !Il avait commencé à prévoir le repas de Noel avec ses employés. Cette année encore, le restaurant qui était à quelques mètres de sa maison, leur servirait de lieu d'accueil de Noel. Avec un avantage à ses yeux : Normalement, Constance serait là. Et il allait également avoir tous les petits amis et petites amies de ses enfants, puisqu'ils étaient invités. Mais c'était également une sacrée source de stress. Parce qu'il ne connaissait strictement rien à leurs goûts, régimes alimentaires ou restrictions. Et c'était le plus difficile, sûrement. Respire Sullivan, on n'y est pas encore. Oui, et puis c'était pas comme s'il avait encore mille et une autres choses à penser. Mais il avait encore le temps. Juste une semaine. Une semaine qui suffirait.

Sierra venait d'arriver, et il en était ravie. Ils avaient beau ne pas toujours avoir de rendez-vous, la visite surprise de n'importe lequel de ses enfants méritait toute son attention. Même s'il en était encore à fermer le restaurant après le service du midi. Après une série d'embrassades, elle lui confirmait qu'effectivement, elle avait faim. «Il doit me rester un peu de Gumbo de ce midi. Sinon du velouté de potiron et du chapon roti. Qu'est-ce qu'il te ferait plaisir ma chérie ?» demanda-t-il, tout à coup beaucoup plus prêt à s'affairer pour faire réchauffer tout ça. «Tu veux boire quelque chose, sinon ?? ajouta-t-il, désormais en route pour la cuisine, juste à temps pour l'entendre lui répondre.